Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/313

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ne s’était pas évanouie et qu’elle se fût débattue, nous serions restés tous les deux au fond du gouffre.

Et, tandis que je nageais, une anxiété me serrait à la gorge. J’appelais Jacques, je cherchais à voir au loin ; mais je n’entendais que le grondement, je ne voyais que la nappe pâle de la Durance. Jacques et Babet étaient au fond. Elle avait dû s’attacher à lui, l’entraîner dans une étreinte mortelle. Quelle agonie atroce ! J’aurais voulu mourir ; j’enfonçais lentement, j’allais les retrouver sous l’eau noire. Et, dès que le flot touchait à la face de la petite Marie, je luttais de nouveau avec une énergie farouche pour me rapprocher de la rive.

C’est ainsi que j’abandonnai Babet et Jacques, désespéré de ne pouvoir mourir comme eux, les appelant toujours d’une voix rauque. La rivière me jeta sur les cailloux, pareil à un de ces paquets d’herbe qu’elle laissait dans sa course. Lorsque je revins à moi, je pris entre les bras ma fille qui ouvrait les yeux. Le jour naissait. Ma nuit d’hiver était finie, cette terrible nuit qui avait été complice du meurtre de ma femme et de mon fils.

À cette heure, après des années de regrets, une