Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/34

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à un rendez-vous d’amour, avec des désirs tout sensuels pour l’eau froide. Elle avait un petit frisson de peur exquis, depuis qu’elle savait un homme au Château. S’il ouvrait une fenêtre, s’il apercevait un coin de son épaule à travers les feuilles ! Rien que cette pensée la faisait grelotter, quand elle sortait ruisselante de la nappe, et qu’un rayon de lune blanchissait sa nudité de statue.

Une nuit, elle descendit vers onze heures. Le Château dormait depuis deux grandes heures. Cette nuit-là, elle se sentait des hardiesses particulières. Elle avait écouté à la porte du comte, et elle croyait l’avoir entendu ronfler. Fi ! un homme qui ronfle ! Cela lui avait donné un grand mépris pour les hommes, un grand désir des caresses fraîches de l’eau, dont le sommeil est si doux. Elle s’attarda sous les arbres, prenant plaisir à détacher ses vêtements un à un. Il faisait très-sombre, la lune se levait à peine ; et le corps blanc de la chère enfant ne mettait sur la rive qu’une blancheur vague de jeune bouleau. Des souffles chauds venaient du ciel, qui passaient sur ses épaules avec des baisers tièdes. Elle était très à l’aise, un peu languissante, un peu étouffée par la chaleur, mais pleine d’une nonchalance heureuse qui lui faisait, sur le bord, tâter la source du pied.