Page:Zola - Travail.djvu/117

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qu’on vole beaucoup, depuis cette maudite grève… On m’a parlé d’une femme qui avait forcé le comptoir d’un boucher. Tous les fournisseurs se plaignent que des rôdeurs s’emplissent les poches à leurs étalages… Et voilà donc notre belle prison neuve qui reçoit des locataires, n’est-ce pas monsieur le président ? »

Gaume allait répondre, lorsque le capitaine repartit avec violence.

« Oui, le vol impuni engendre le pillage, l’assassinat. L’esprit de la population ouvrière devient épouvantable. Hier soir, vous tous qui étiez là comme moi, n’avez-vous pas senti cet esprit de révolte, une menace qui passait, une terreur dont tremblait la ville ?… Du reste, ce Lange, cet anarchiste, ne vous a pas mâché ce qu’il comptait faire. Il vous a crié qu’il ferait sauter Beauclair et qu’il en raserait les décombres… Puisqu’on le tient, celui-là, j’espère qu’on va le saler proprement. »

La verdeur de Jollivet gêna tout le monde. Ce souffle de terreur dont il parlait, que les autres avaient senti passer comme lui, la veille au soir, à quoi bon le rappeler, le réveiller au travers de cette table si aimable, chargée de si belles et de si bonnes choses ? Un froid circula, la menace du lendemain gronda dans le grand silence aux oreilles de ces bourgeois inquiets, tandis que les valets maintenant, offraient des truites de rivière.

Delaveau, qui sentait le silence devenir gênant, finit par dire :

« Lange, un esprit détestable… Le capitaine a raison, gardez-le puisque vous le tenez. »

Mais le président Gaume hochait la tête ; et, de son air sévère, la face froide, sans qu’on sût ce qu’il y avait derrière cette rigidité professionnelle :

« Je dois vous apprendre que, ce matin, suivant mon conseil, après un simple interrogatoire, le juge d’instruction s’est décidé à relâcher cet homme. »