Page:Zola - Travail.djvu/302

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travers desquelles souillait la peste. L’odeur âcre du cabaret de Caffiaux le hantait, lorsqu’il passait une heure dans la grande salle claire de la maison commune, où l’alcool était défendu. Le bel ordre des magasins coopératifs le fâchait également, lui donnait le besoin de dépenser son argent à sa guise, chez des marchands de la rue de Brias, qu’il traitait lui-même de voleurs mais avec lesquels il avait la joie de se quereller. Et plus Luc insista, en lui montrant la déraison de son départ, plus Ragu s’obstina, dans la pensée que, si l’on tenait tellement à lui, c’était donc qu’il nuisait en s’en allant.

«  Non, non, monsieur Luc, ça ne peut pas s’arranger. Peut-être bien que je fais une bêtise, je n’en ai pourtant pas l’idée… Vous nous aviez promis monts et merveilles, nous devions devenir tous des richards, et la vérité est que nous ne gagnons pas plus qu’ailleurs, avec des embêtements en plus, selon mon goût.  »

C’était vrai, la répartition des gains, à la Crêcherie, n’avait pas atteint jusque-là un chiffre sensiblement supérieur aux salaires de Abîme.

«  Nous vivons, répondit vivement Luc, et n’est-ce pas tout de vivre, lorsque l’avenir est certain  ? Si je vous ai demandé des sacrifices, c’est dans la conviction que le bonheur de tous est au bout. Mais il faut de la patience et du courage, il faut de la foi dans l’œuvre, et beaucoup de travail aussi.  »

Un tel langage ne pouvait toucher Ragu. Une seule expression avait frappé, il ricana.

«  Oh  ! le bonheur de tous, c’est bien joli. Seulement, je préfère commencer par mon bonheur à moi.  »

Luc lui dit alors qu’il était libre, que son compte serait réglé, et qu’il s’en irait quand il voudrait. En somme, il n’avait aucun intérêt à garder un méchant homme, dont la présence finirait par être d’une contagion funeste. Mais le départ de Josine lui déchirait le cœur, et il resta un