Page:Zola - Travail.djvu/312

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les frères se dévorer, en s’entravant eux-mêmes dans leur marche  !

Luc rentra très triste de ces continuels heurts, qui étaient autant d’obstacles à son œuvre. Dés que deux hommes voulaient agir, ils ne s’entendaient plus. Puis, lorsqu’il fut seul, son cri lui échappa, le cri qui sans cesse gonflait son cœur.

«  Mais ils n’aiment pas  ! S’ils aimaient, tout serait fécondé, tout pousserait et triompherait sous le soleil  !   »

Morfain également lui donnait du souci. Il avait en vain essayé de le civiliser un peu, en lui faisant abandonner son trou de roche pour descendre habiter une des petites maisons claires de la Crêcherie. Et le maître fondeur avait toujours refusé avec obstination, sous le prétexte qu’il était là-haut plus près de son travail, en continuelle surveillance. Luc s’en remettait complètement à lui, le laissait conduire le haut fourneau, qui fonctionnait à l’antique mode, dans l’attente des batteries de fours électriques l’œuvre que poursuivait Jordan, sans se lasser jamais. Mais la vraie cause de l’entêtement de Morfain à ne pas descendre parmi les hommes qui peuplaient la Cité nouvelle, c’était le dédain presque la haine où il les tenait. Lui, le Vulcain des temps primitifs le conquérant du feu, l’ouvrier écrasé plus tard sous le long esclavage, donnant son effort en héros résigné, finissant par aimer la grandeur sombre du bagne où le destin le courbait, s’irritait de cette usine dont les ouvriers allaient être des messieurs, avares de leurs bras, remplacés par des machines, que des enfants bientôt conduiraient. Cela lui semblait petit, misérable, ce souci de peiner le moins possible, de ne plus se battre avec le feu et le fer. Il ne comprenait même pas, il haussait les épaules, sans une parole, dans les longs silences qu’il gardait pendant des journées entières. Et, très seul, très orgueilleux, il restait au flanc de sa montagne, régnant sur le haut fourneau, dominant