Page:Zola - Travail.djvu/313

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l’usine, que quatre fois en vingt-quatre heures, régulièrement, les coulées éclatantes couronnaient de flammes.

Une autre raison encore fâcha Morfain contre ces temps nouveaux qu’il voulait ignorer, dont le souffle n’avait pas même effleuré sa rude peau tannée par le travail. Et, cette fois, chez ce silencieux, le cœur dut saigner affreusement. Sa fille, Ma-Bleue, dont les yeux bleus étaient le bleu de son ciel, cette belle et grande créature qui était la ménagère aimée, depuis la mort de la mère, devint grosse. Il s’emporta, puis pardonna, car il se disait qu’elle se serait mariée un jour. Mais où il n’eut plus de pardon, ce fut lorsqu’elle lui avoua le nom de l’homme, le fils du maire, Achille Gourier. Depuis des années, la liaison durait, les rencontres par les sentiers des monts Bleuses, les nuits passées sur des couches odorantes de lavande et de thym, aux grands souffles libres des nuits étoilées. Achille, rompant avec sa famille, en jeune bourgeois que sa bourgeoisie dégoûtait et ennuyait, avait prié Luc de l’embaucher à la Crêcherie, où il était devenu dessinateur. Il brisait tous les liens, il aimait où et comment il lui plaisait, résolu à travailler pour la femme librement choisie, évoluant en fils conquis de la vieille société condamnée, allant à l’âge nouveau. Et ce fut là ce qui angoissa Morfain, jusqu’à lui faire chasser Ma-Bleue comme une fille perdue. Elle s’était laissé séduire par un monsieur, il n’y avait plus dans son cas que rébellion et diablerie. Tout l’antique édifice croulait, pour qu’une si belle et si bonne fille en eût ébranlé elle-même une des charpentes, en écoutant, en aguichant peut-être le fils du maire.

Puis, comme Ma-Bleue, mise à la porte, s’était naturellement réfugiée chez Achille, Luc dut intervenir. Les deux jeunes gens ne parlaient même pas de mariage. À quoi bon  ? ils étaient bien sûrs de s’aimer et de ne jamais se quitter.