Page:Zola - Travail.djvu/35

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aux cartes, dans l’épaisse fumée des pipes, où les becs de gaz ne faisaient plus que des taches rouges. Et, dès le premier regard, il reconnut à une table voisine Ragu et Bourron, face à face, se parlant violemment dans le nez. Ils avaient dû commencer par boire un litre ; puis, ils s’étaient fait servir une omelette, des saucisses, du fromage ; de sorte que, les litres se succédant, ils étaient très ivres. Mais ce qui intéressa surtout Luc, ce fut la présence de Caffiaux, debout près de leur table, causant. Lui, avait commandé une tranche de bœuf rôti, et il mangeait, il écoutait.

Ce Caffiaux était un gros homme, gras et souriant, à la face paterne.

« Quand je vous dis que, si vous aviez résisté trois jours de plus, vous auriez eu les patrons à votre merci, pieds et poings liés !… Sacré bon Dieu ! vous n’ignorez pas que je suis avec vous autres moi ! Ah ! oui, ce ne sera pas trot tôt, lorsque vous m’aurez fichu par terre tous ces bougres d’exploiteurs. »

Ragu et Bourron, très excités lui tapèrent sur les bras. Oui, oui ! ils le connaissaient, ils savaient bien qu’il était un bon, un solide, mais, tout de même, c’est trop dur à supporter, la grève, et il faut toujours que ça finisse par finir.

« Les patrons seront toujours les patrons, bégaya Ragu. Alors quoi ? faut bien les accepter, en leur en donnant le moins possible pour leur argent… Encore un litre, père Caffiaux, vous allez le boire avec nous. »

Caffiaux ne dit pas non. Il s’installa. Il était pour les idées violentes, parce qu’il avait remarqué que son établissement, après chaque grève, s’était élargi. Rien n’altérait comme les querelles, l’ouvrier exaspéré se jetait dans l’alcool, l’oisiveté rageuse habituait les travailleurs au cabaret. Et, d’ailleurs, en temps de crise, il savait être aimable, il ouvrait de petits crédits aux ménagères, il ne