Page:Zola - Travail.djvu/40

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bouche en bouche, la pièce de cent sous prise dans le comptoir de Dacheux, la boîte de sardines enlevée à l’étalage de Caffiaux. Mais, surtout, les tranchets, volés à Laboque soulevaient les plus graves commentaires. La terreur épandue gagnait les gens sages, était-ce donc que les révolutionnaires s’armaient, qu’ils avaient projeté quelque massacre pour la nuit, cette nuit d’ouragan qui pesait si noire sur Beauclair ? La grève désastreuse avait tout désorganisé, la faim faisait se ruer les misérables, l’alcool des cabarets leur soufflait la démence dévastatrice et meurtrière. Et c’était ainsi, par l’immonde chaussée loueuse, le long des trottoirs gluants, tout l’empoisonnement et toute la dégradation du travail inique du plus grand nombre pour la jouissance égoïste de quelques-uns, le travail déshonoré, exécré maudit, l’effroyable misère qui en résulte, le vol et la prostitution qui en sont comme les végétations monstrueuses. Des filles blêmes passaient, des ouvrières de fabrique séduites par quelque galant puis glissées au ruisseau, de la basse chair à plaisir, sordide et douloureuse, que des hommes ivres emmenaient dans les flaques enténébrées des chantiers voisins, pour quatre sous.

Une pitié croissante, une révolte faite de colère et de douleur envahissait Luc. Où donc était Josine ? dans quel coin d’ombré affreuse était-elle allée tomber, avec le petit Nanet ? Et, tout d’un coup, il y eut des clameurs, une rafale sembla passer sur la cohue, la fit tourbillonner, l’emporta. On put croire que c’était l’assaut donné aux boutiques, la mise à sac des provisions étalées aux deux lords de la rue. Des gendarmes se précipitèrent il y eut des galopades, des bruits de bottes et de sabres. Qu’était-ce donc ? Qu’était-ce donc ? Et les questions se pressaient, volantes, balbutiantes, dans la terreur accrue, et les réponses se croisaient, affolées.

Puis, Luc entendit les Mazelle qui revenaient, en disant :