Page:Zola - Travail.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des gens comme nous peuvent jamais être misérables  !   »

Suzanne, qui était restée assise, avait senti croître son horrible tristesse. Un instant, elle venait d’avoir la naïve espérance de corriger cet homme, et elle s’apercevait que toutes les tempêtes, les révolutions pouvaient passer sur lui, sans qu’il s’amendât, sans qu’il comprît même les temps nouveaux. L’antique exploitation de l’homme par l’homme était dans son sang, il ne pouvait vivre et jouir que sur les autres. Toujours, il resterait un grand enfant mauvais, dont elle aurait plus tard la charge, si la justice faisait jamais son œuvre. Alors, elle n’eut plus pour lui que beaucoup d’amère pitié.

Pendant cette longue conversation, Paul n’avait pas bougé, écoutant ses parents, de son air doux d’intelligence et de tendresse. Dans ses grands yeux pensifs, passaient visiblement toutes les émotions qui agitaient sa mère. Il était en communion constante avec elle, il souffrit de ce qu’elle souffrait, en voyant l’époux et le père indigne. Et, comme elle s’aperçut de sa gêne douloureuse, elle lui demanda  :

«  Où allais-tu donc, mon enfant  ?

— Mère, j’allais à la Ferme, où Feuillat doit avoir reçu la nouvelle charrue, pour les labours d’hiver.  »

Boisgelin eut un gros rire.

«  Et ça t’intéresse  ?

— Mais oui, mon père… Aux Combettes, ils ont des charrues à vapeur qui font des sillons de plusieurs kilomètres, dans leurs champs mis en commun, devenus un champ immense. Et c’est superbe de voir la terre retournée et fécondée, jusqu’aux entrailles.  »

Il s’enthousiasmait avec une passion juvénile. Sa mère souriait, attendrie.

«  Va, va, mon enfant, va voir la charrue nouvelle, et travaille, tu t’en porteras mieux.  »

Les jours qui suivirent, Suzanne remarqua que son mari