Page:Zola - Travail.djvu/586

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gros son existence d’ouvrier errant, révolté contre le travail, paresseux et jouisseur. C’était toujours le fruit gâté du salariat, le salarié rêvant la destruction du patron, uniquement pour prendre sa place, pour écraser à son tour les camarades. Il n’y avait pas d’autre bonheur, une grosse fortune gagnée, mangée dans la joie d’avoir su exploiter la misère du pauvre monde. Et, violent en paroles, lâche quand même devant le maître, travailleur malhonnête, ivrogne incapable d’une besogne suivie, il avait ainsi roulé d’atelier en atelier, de contrée en contrée, se faisant chasser de partout, s’en allant lui-même en des coups de tête imbéciles. Jamais il n’avait pu mettre un sou de côté, en tous lieux la misère était devenue son hôtesse, chaque année de plus lui apportait une déchéance nouvelle. Et, quand l’âge vint, ce fut miracle en effet, s’il ne mourut pas de faim et d’abandon, au coin d’une borne. Jusqu’à près de soixante ans il travailla, obtint encore de petites besognes à faire. Ensuite, il s’échoua dans un hôpital, dut finir par en sortir, puis retomba dans un autre. Depuis quinze années, il s’entêtait à vivre ainsi, sans trop savoir comment, au petit bonheur des rencontres. Maintenant, il mendiait, il trouvait le long des routes le morceau de pain, la botte de paille nécessaires. Et rien en lui n’avait changé, ni la rage sourde, ni la furieuse envie d’être le patron et de jouir.

«  Mais, reprit Bonnaire, qui retenait le flot de questions montant à ses lèvres, tous ces pays que tu as traversés doivent être en révolution. Ici, je sais bien, nous avons marché vite, nous sommes en avance. Cependant, le monde entier est en marche, n’est-ce pas  ?

— Oui, oui, répondit Ragu, de son air blagueur, ils se battent, ils refont la société, ce qui ne m’a pas empêché de crever de faim partout.  »

En Allemagne, en Angleterre, surtout en Amérique,