Page:Zola - Travail.djvu/659

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bassesses de l’argent et des convenances. Lorsque deux amoureux, la chair en fleur, se donnaient le baiser des fiançailles, par une nuit tiède, ils étaient bien certains de céder à la passion seule. L’un d’eux ne pouvait plus se vendre pour la dot de l’autre, et les familles n’avaient sûrement pas maquignonné leur accouplement, comme on mène une femelle à l’étalon, en vue d’un commerce.

Et c’était le plein amour, le sens d’amour développé, épuré, assaini, devenu le parfum, la flamme, le foyer même de l’existence. Et c’était l’amour épandu, général, universel, naissant du couple pour passer à la mère, au père, aux enfants, aux parents, aux voisins, aux citoyens, aux hommes de l’humanité entière, en des ondes de plus en plus élargies, en une mer d’amour qui finissait par baigner le monde. La direction était comme l’air pur dont toutes les poitrines se nourrissaient, il n’y avait plus qu’un même souffle de dilection fraternelle, et elle seule avait fini par réaliser l’unité tant rêvée, la divine harmonie. L’humanité équilibrée enfin comme les astres, par l’attraction, la loi de justice, de solidarité et d’amour, voyagerait désormais heureuse, au travers de l’éternel infini. Et telle était la moisson sans cesse renaissante, l’immense moisson de tendresse et de bonté, que Luc, chaque matin, voyait pousser de partout, de tous les sillons qu’il avait si largement ensemencés, de sa ville entière, où, dans les écoles, dans les ateliers, dans chaque maison, et jusque dans chaque cœur, il jetait la bonne graine, depuis tant d’années, à pleines mains.

«  Voyez donc  ! voyez donc  ! disait-il en riant parfois, le matin, lorsque Josine, Sœurette et Suzanne restaient groupées près de son fauteuil, devant la fenêtre grande ouverte, voyez donc  ! des arbres ont encore fleuri depuis hier soir, et il y a des baisers encore qui semblent s’envoler des toits, comme des oiseaux chanteurs… Tenez  ! là-bas, à