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Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/92

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ces petites douleurs lancinantes. Aucun grand sentiment n’est susceptible de s’élever, on est tout dévoré de ces médiocres souffrances, qui vous rongent et vous convulsionnent et qui font le patient se dresser ainsi qu’une bête harcelée par la piqûre des insectes : il brise ses chaînes et se rue droit devant lui, comme un aveugle. Le malade veut s’arracher à son lit de torture, mais il lui est impossible de fuir en arrière : on ne peut plus « se recommencer enfant, avec calcul[1] ». Les voyages, les rêves n’agissent qu’à la façon de stupéfiants : au réveil le martyre redouble. Une seule route semble s’ouvrir, celle qui mène en avant, droit à l’anéantissement. Dans ces mille petites souffrances, la volonté n’aspire qu’à en trouver une qui puisse être mortelle. Pour ne pas se consumer à petit feu, elle souhaite fondre d’un seul coup. Le malade, comme fait celui qui, dans la fièvre, déchire ses plaies, veut que cette douleur, qui l’accable sans pouvoir l’anéantir, s’exaspère et s’envenime jusqu’à pouvoir en mourir. Il s’enorgueillit jusqu’au bout d’être la propre cause de son anéantissement. Il ne permet pas que la douleur ne soit qu’une série de piqûres d’aiguilles ; il se refuse à « pour-

  1. « S’amoindrir » (les Débâcles).