Aller au contenu

Pour lire en bateau-mouche/31

La bibliothèque libre.

Les solutions héroïques

L’homme aux 400 belles-mères. — Une idée maternelle. — Le nouveau jugement de Salomon.

Depuis le temps déjà lointain où j’ai voulu

R. I. G.

ces chroniques fantaisistes dans ce journal, j’ai plutôt

V. G. T.

c’est pourquoi je suis, avec la chaleur, aujourd’hui, un peu

N. R. V.

et pourquoi j’ai résolu de raconter des petites histoires, toujours archi-véridiques, mais héroïques en même temps, et qui vous remontent un peu le moral comme à une simple

D. I. T.

Autrement dit, aujourd’hui, pour mes lectrices légèrement neurasthéniques, et pour moi-même, je vais essayer de remplacer le traditionnel flacon de sel par quelques souvenirs un peu plus émoustillants.

Ceci dit, je commence par la plus empoignante de mes informations : au commencement de cette année, un simple correspondant du Times dans l’Afghanistan à recueilli, parmi les nouvelles apportées au bazar de Peïchaver par les caravanes arrivant de Kaboul, des informations dont il ressort que l’émir aurait divorcé récemment d’avec toutes ses femmes, sauf quatre ou cinq.

Il a donné à ses épouses divorcées la permission de se remarier comme elles le voudraient, et a promis à celles qui ne s’y résoudraient pas de leur faire une pension suffisante pour assurer leur existence. Il a lancé en même temps une proclamation ordonnant à ses sujets de ne plus avoir que quatre femmes ; ils devront divorcer d’avec celles qu’ils ont actuellement. La proclamation menace de peines sévères quiconque n’obéirait pas à cette prescription qui est dans les lois mahométanes.

Seulement, comme ses 400 ex-belles-mères étaient furieuses de voir ainsi leurs filles abandonnées et rejetées, un peu défraichies dans la circulation, elles formèrent un vaste complot, connu aujourd’hui dans tout l’Orient, sous le nom de conspiration des belles-mères, et résolurent de tuer l’émir.

Heureusement qu’une femme ne sait jamais garder un secret plus de soixante-dix-sept secondes, et le brave Émir fut bientôt averti que ses jours allaient se trouver en danger, sous le fallacieux prétexte qu’il avait voulu avoir ses nuits tranquilles.

Sa situation était grave, tendue même : l’Émir ne perdit pas la carte et se dit : puisque l’on ne veut pas que je supprime la polygamie dans mes États, je vais la remplacer incontinent — c’est bien le mot de la situation pour ces dames — par la polyandrie, et il fit appeler 400 officiers de son armée et par ordre, il leur fit épouser les 400 ex-belles-mères, les 400 mères de ses 400 ex-femmes, mariées, veuves ou non, et immédiatement il eut la paix et la tranquillité, et même un mois après, ses 400 ex-belles-mères qui voulaient le tuer, revenaient à de meilleurs sentiments et pleines de reconnaissance lui envoyèrent un superbe cadeau.

Maintenant il paraît que les seuls braves gens qui ne sont pas si contents, ce sont les 400 officiers qui ont épousé les 400 belles-mères : ils menacent même de faire un complot militaire, comme de simples colonels serbes, si leur temps matrimonial ne leur compte pas double, comme les campagnes !

Il y a là une question budgétaire qui embarrasse fort le pauvre Émir. Il ne peut pas cependant rappeler ses 400 femmes ! Je vous tiendrai au courant des incidents ou accidents subséquents, s’il arrive à s’en produire.

Maintenant, dans un autre ordre d’idées, voici celle non moins héroïque qui naissait dans la cervelle d’une brave femme qui allait voir mourir sa fille le 3 mai dernier — je précise — près de Milan, en Italie et qui voulait la sauver quand même :

Une garde-barrière de la ligne de Varèse, devant se trouver à son poste, avait abandonné — pendant quelques instants sa fillette, âgée de quelques années. L’enfant étant sortie de la maison alla vers un puits, grimpa sur la margelle et disparut.

La mère, s’étant aperçue de l’accident, poussa un cri auquel, hélas ! ne répondit qu’un écho lointain.

Seule dans un endroit désert, la pauvre femme ne savait comment faire pour sauver la petite imprudente ; le devoir était là, double, impérieux et tragique ; elle ne pouvait pas abandonner son poste ! Et cependant son cœur de mère lui disait qu’elle ne pouvait pas laisser non plus mourir son enfant. Elle eut alors une idée : elle déplia le drapeau rouge, qui donne le signal d’alarme aux trains en marche et le planta près de la voie.

Un train parut à ce moment. Le mécanicien, ayant aperçu le signal, renversa la vapeur et le convoi s’arrêta. Le personnel et les voyageurs se précipitèrent sur la voie, la garde-barrière leur apprit l’accident.

Un courageux voyageur descendit dans le puits et en retira la fillette qui ne donnait plus signe de vie. Mais, grâce aux soins qui lui furent prodigués, la petite put bientôt être rappelée à la vie.

Je ne sais pas si la femme fut récompensée ou réprimandée par une compagnie de chemin de fer plus ou moins égoïste. Je ne veux savoir, ni ne retenir que le geste, comme l’on dit aujourd’hui, en revenant au sens littéral des vieux fabliaux du Moyen-Age ; et je sais bien que devant ce geste héroïque, cet acte sublime d’amour maternel, j’ai tout bêtement pleuré comme un veau et beaucoup de dames à qui je contai la chose, ont fait de même.

Maintenant est-ce bien comme des veaux qu’elles ont pleuré ? J’avoue que, dans mon âme et conscience, je n’oserais l’affirmer.

Mais voilà qui est encore tout à la fois plus rigolo et plus pathétique, si j’ose m’exprimer ainsi ; écoutez un peu :

C’est le 31 mai dernier que l’on a trouvé, non loin de Berlin, sur la berge du Havel, le cadavre d’un homme. À l’endroit précis où l’on a fait cette sinistre trouvaille, quatre communes différentes se rencontrent. Chacune d’elle prétend que le cadavre se trouve sur le territoire de la voisine ; aucune ne veut encourir les frais que comportent le transport et l’inhumation. Toutes ont invoqué les tribunaux administratifs. Les dossiers grossissent, et le cadavre, en putréfaction complète, continue d’empester la contrée.

On se souvient de cette histoire, légendaire en Allemagne, d’un bouton manquant à une tunique de soldat, dans un régiment : on avait dû faire une enquête, et, enfin, au bout de dix ans, la dite enquête, dont on avait perdu le point de départ, remplissait huit ou dix wagons de rapports et de paperasses, et personne n’y comprenant plus rien, il fallut bien ordonner une vaste enquête officielle pour arriver à débrouiller la première enquête et y comprendre quelque chose, si c’était enfin possible.

Heureusement que les tribunaux administratifs, après le troisième mètre cube des rapports de l’enquête, se sont souvenus à temps de l’histoire du bouton et, pour éviter semblable catastrophe, ils ont pris une résolution héroïque, en s’inspirant de ce bon Salomon. Et si le fils de Bethsabée les sauva si à propos, c’est qu’il y avait un juif parmi les juges qui s’écria :

— Si nous imitions l’exemple de ce petit Salomon ?

Et immédiatement d’enthousiasme, ils condamnèrent les quatre communes à couper le macchabée en quatre portions égales et à procéder sans délai chacune à l’inhumation de leur portion respective, en brûlant deux kilos de sucre !

Avouez que l’on ne manque pas d’esprit en Allemagne !

Et maintenant, chères lectrices, que j’ai

R. I. G.

cette petite chronique à la gloire des actes héroïques de mes contemporains, je me sens moins

N. R. V.

et je vais aller me reposer, c’est-à-dire

V. G. T.

pendant huit jours en Normandie, d’où je vous adresserai ma prochaine chronique.

Je vous en prie, mes chères lectrices, blondes

D. I. T.

ne vous montrez pas trop sévères pour cette modeste, mais si véridique et parfois si touchante chroniquette

M. E.

de mon cœur.

Me voici arrivé au bout de ma tâche, et j’espère bien qu’après avoir lu les nouvelles près

C. T.

vous ne trouverez pas que je vous ai trop

K. O. T.

Et je n’ai plus qu’à prier très humblement mes braves typos de ne rien

F. A. C.

et je signe :

P. V.

P.S. — À la semaine prochaine pour

L. U. Q ! E.

Si je ne suis pas

D. C. D.