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Premier péché/2

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Notre Chambrette


Sorties du couvent, le matin même, cœur léger, esprit content, délivrées d’un poids : celui de la discipline, elles s’installèrent avec leur bagage scientifique, — très facile à caser, — dans une immense mansarde. On avait étendu des catalognes, sur le plancher raboteux, mais entre les lès, on voyait le bois, et un bois brut, avec une infinité de nœuds. Que de gens avaient marché là avant ces pauvrettes… Ce n’était pas gai. Pour atteindre les fenêtres, il fallait grimper sur une chaise ; d’un côté, il est vrai, l’on voyait le grand fleuve, et mélancoliquement, elles lui accordèrent un long regard, qui disait bien : « Tu nous consoleras, toi ! »

C’est qu’elles l’aimaient tant, ce beau fleuve ; ce vieil ami toujours cher, que de leurs confidences d’enfants il avait reçues !… de jeunes filles ? Ces yeux fixés sur l’horizon insondable, elles songeaient à cette part de leur âme qui suivrait peut-être le courant… Et tristement, elles se détournèrent. Deux petits lits, tout près l’un de l’autre, et plus loin, une immense couchette à ciel. Ce sera pour les amies, fit Lizette, qui avait des instincts hospitaliers. Puis, avisant une espèce d’anfractuosité, très sombre, la pauvrette ajouta : « Ça me fait peur, ce coin noir. »

— Ne dis rien, fit l’autre, plus brave, moi je trouve tout cela charmant ; ça vous a un petit air bohème !… J’ai toujours rêvé de vivre dans une mansarde ! Une mansarde… et son cœur ! Et nerveusement, elle riait. C’était laid, tout à fait, cette grande chambre triste, où les ravalements occupaient une si grande place. Aussi le papa, en les installant, leur disait dans de bons baisers :

— Mes chéries, ce n’est pas beau, mais que voulez-vous, il n’est pas facile de trouver, ici, une bonne maison où des fillettes de votre âge seront bien traitées… La maîtresse de pension est excellente.

Puis, s’attendrissant : Mes petites, ce n’est pas gai, lorsqu’il n’y a plus de maman !

Il s’enfuit pour ne pas pleurer.

Pas de maman ! C’était toute leur vie, cela. Sans cesse, elles avaient senti la tristesse du berceau si vite déserté. Pas de maman ! Mon Dieu, comme elles comprenaient l’horreur de ces mots, petits oiseaux frileux qui n’avaient jamais eu de nid ! Avoir appris à voler seuls… et sur leurs ailes, les pauvres sentaient encore des meurtrissures… Elles avaient au cœur des trésors de tendresse enfouis pour jamais. Est-ce que l’on donne cela à d’autres ? C’était leur cimetière, et une tombe blanche disparaissait sous les immortelles… Et toujours ce deuil terrible briserait leur vie, elles auraient, sans cesse, des larmes à donner à la douce vision, qui hantait parfois leurs rêves, pour caresser de ses lèvres le front des petites abandonnées…

— « La caisse est là, sœurette. Regardons, veux-tu ? Nous y trouverons toutes ces choses que notre petite mère aimait ? »

À genoux, elles soulevèrent le couvercle pour regarder ces précieuses reliques, qu’on leur confiait. Le premier objet : un album.

Elles l’ouvrirent avec émotion, et sur la première page, lurent le suprême adieu de la chère morte. C’était un testament d’amour ; il parlait de Dieu, d’amour filial et d’amour patriotique, car cette mère expirante rêvait, pour l’avenir, ses enfants toujours fidèles à trois cultes : la religion, la famille et la patrie :

« Du ciel, je vous regarde et je vous aime…

Il n’y avait plus rien, la plume avait peut-être glissé dans le dernier soupir.

Les fillettes sanglotaient pendant que de leur gorge contractée s’échappait, en un déchirement, ce seul mot : Maman ! Maman !

C’était la première fois que la mère leur parlait, cette voix d’outre-tombe, suavement, disait de grandes choses.

Le cher petit cahier !… T’en souviens-tu, Lizette ?…