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Premier péché/3

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La Fête Nationale


Restons Canadiens ! Il y a deux cents ans nos pères le disaient à leurs fils, et la génération d’aujourd’hui se groupe encore, et pousse ce cri qui résume la fierté, l’amour et les espérances de notre race : restons Canadiens !

Avec quel enthousiasme n’avons-nous pas célébré, hier, notre fête nationale ; lui avons-nous bien dit à notre chère patrie, comment nous la chérissons, et combien nous sommes heureux d’être nés sur son sol, d’être les enfants qui l’aiment passionnément ! Aussi comment ne l’aimerions-nous pas ? ne nous est-elle pas doublement chère, des regrets d’un passé bien mort, sans espoir de le voir revivre un jour, et des espérances d’un avenir que nous bâtirons nous-mêmes, y mettant toute la fierté des traditions ancestrales ?

Nous avons du sang dans les veines, du plus noble ! Nous avons de la foi et de l’amour au cœur, et dans l’âme, toutes les hautes aspirations, et c’est ainsi que nous marcherons solidement groupés, les yeux fixés sur l’horizon éclairé du flambeau de tous les saints espoirs. Oui, marchons résolument, nous avons l’intelligence et nous avons la force ; pourquoi nous attarder en route ? n’avons-nous plus la vaillance des preux qui étaient nos pères ; n’avons-nous plus la croyance des saintes créatures qui ont veillé sur le berceau de la race canadienne-française ?

Oui, nous avons tout cela, nous avons le souvenir du passé, nous avons le culte de la patrie, nous avons l’amour du pays qui envoya à la terre canadienne, les créateurs de notre race ; nous avons foi en l’avenir et d’ailleurs ne nous sentons-nous pas une nation sortie de l’enfance, et prête maintenant à poursuivre tous les nobles buts ?

Hier, dans l’air électrisé, passait une brise d’enthousiasme, tout le souffle de la nation canadienne qui exultait, célébrant sa fête à elle, bien à elle ; avec pompe nous l’avons chanté notre Canada, hymne de joie d’un peuple en liesse, promenant son bonheur, voulant le crier à tous les échos, et éprouvant l’impérieux désir de dire ses chants patriotiques. Le ciel rayonnait de la fête de la terre, en ce soir du 24 juin ; les fusées et les feux resplendissants montaient vers lui, flammes pures semblant sortir du cœur même des Canadiens, — étincelles jaillies d’un foyer immense où brûlent sans se consumer toutes les ardeurs, tous les enthousiasmes, toutes les espérances d’une race.

Tous les ans, nous apportons un éclat plus vif à la célébration de la Saint-Jean-Baptiste, comme une frappante preuve que la nationalité canadienne se fortifie d’année en année, et se sent devenir de plus en plus grande ; de là, le besoin de se réunir, de s’affirmer, et de se dire avec un légitime orgueil : « Nous grandissons ! » La Saint-Jean-Baptiste, beaucoup protestent contre cette date de fête nationale, ont-ils raison ? je n’en sais rien, mais une touchante coutume nous réunit depuis longtemps, ce jour-là, et la changer nous paraîtrait porter atteinte à nos traditions. Qu’importe le jour, puisque c’est la fête de la race que nous chômons avec tant d’enthousiasme ; puis le 24 juin est une fête qui embaume les lilas, la nature est en coquetterie, et les érables balancent amoureusement leurs branches parées de ces fines et élégantes feuilles si jolies à nos yeux, si chères à notre cœur. Il fait si bon de chanter la joie, quand tout autour de nous respire la plus pure allégresse.

Et dire que nous marchons avec un drapeau emprunté, n’y a-t-il pas de quoi protester ? Ne pouvons-nous voir flotter sur nos têtes le drapeau canadien, celui qui enflamme les courages et inspire les héroïsmes ; celui dont nous pourrions dire, avec amour, aux soirs de luttes, lorsque les balles l’auront sacré grand, à nos fils curieux : « Ce chiffon-là, c’est la patrie ! » Oui, ce morceau d’étoffe qui se balance dans les airs, c’est la patrie !

Et notre patrie à nous !

Le Canadien aime les « trois couleurs », c’est la France des anciens jours qu’il vénère dans la nouvelle, il est habitué à regarder ce pavillon comme sien, et n’y aurait-il pas cruauté à le lui ravir ? — Il semblerait que c’est un morceau de son cœur qu’on lui arrache violemment, et il aurait une nostalgie désespérée de ce « bleu, blanc, rouge. » Oh ! laissons-le lui, mais seulement, mettons sur l’étendard glorieux, des feuilles canadiennes, et, les larmes aux yeux, en le baisant, nous verrons l’enfant reposer sur le sein de la mère. Oh ! dormir là, toujours, c’était jadis notre souhait, nous avons été réveillés brutalement, et fils orphelins, il nous a fallu lutter un combat terrible, où nous avons tremblé souvent de laisser la vie.

Maintenant nous sommes sauvés, et là, tout au fond du cœur, nous gardons l’image attendrie et souriante de la Mère chérie ; la miniature est toujours ravissante, et le temps, loin d’en effacer les contours, semble aviver l’éclat de ses couleurs. Nous l’avons placée dans un cadre d’amour et rien n’en ternira les ors délicats ; un enfant n’oublie pas sa mère, un Canadien aime toujours la France ! Et cette fleur au parfum inaltérable, qui s’épanouit sous les climats canadiens, doit, dans une brise très douce, embaumer le cœur français. Hommage du présent au passé !

Fille du sol canadien, née de deux races, l’on me demande quel est l’aïeul préféré. Demandez à un enfant s’il peut choisir entre un père vieux et malade et une mère jeune et radieuse. Le 24 juin ? je chante le Canada Français avec tout mon enthousiasme de fille heureuse ; je fête ma mère ! Le 17 mars, il y a des sanglots dans ma joie, c’est la fête paternelle ; je suis aussi fière, mais je ne suis pas aussi heureuse !