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Premiers poèmes/Chansons d’amant/Nuit sur la lande

La bibliothèque libre.
Mercure de France (Premiers poèmesp. 185-202).

NUIT SUR LA LANDE

I

Tous les printemps sont revenus vers sa démarche aventurine.

Alto de la voix, cœur du regard, choral de la bouche
ah quel désir encore me dure
vers cette bouche !
cœur en débris, cœur en torture
quelle douleur encore te dure
vers cette bouche !

Sous les averses des soleils, les mystiques tambourins
devant ses pas heureux, psalmaient annonciateurs
et les bannières des nuées et les arômes de la mer
et les voiles, grand lys de mer et les calmes de la mer,
et les senteurs des haies, et les cortèges en ferveur
préparaient les portiques à sa démarche aventurine.


Les dictames et les enfances
vers vous
comme arondes aux ciels en fragrances
vers vous
sous le fouet des mémoires de votre marche
vers vous
voletaient et ployaient vers l’arche
de vos yeux à vous.

Dans l’attente de ton sourire
les matins paraient les villages ;
en l’attente de ton visage
les coteaux vêtaient des courbes de sourires.

Et devant ta beauté sachant qu’il faut souffrir
les automnes sacraient leurs forêts de douceur
près des sources en miroir de douceur,

Et pour sauver les âmes des passants
les âmes et les sens qui vont à ta ferveur
les hivers avaient des calmes annonciateurs
que parfois ta beauté passerait calme et sans sourire.

II

Dans l’abîme des soirs en incendies
tes larmes qui sont des armes
sont tombées sur les tombes enfouies ;
des tombes il éclôt des fleurs de douleur
et les parfums, des gestes de ta main
et la couleur un bienfait de ta main
et la pâleur ton geste à demain ;
de ton geste à demain s’essore la douleur.
ah ton geste inclinant tes aurores !

On mourait au fond d’or des basiliques amples
des tourmentes d’odeur douces s’exhalaient de tes rampes,
aux faîtes des tours des attentes de langueur,
les haltes florissaient en larges reposoirs,
en des gaînes de velours des couteaux dormaient en tes soirs
et sur l’âme des pierres planait un regard lourd.


Les bras de tes statues disaient : « Demain, demain !
attendez l’heure proche des lèvres sur nos mains,
le bonheur est minute et la mort est minute
les tocsins de vos nerfs résonnent à la déroute
la route de vos folies si simples s’éjouit
vers les flacons d*espoir que tarit la minute
attendez l’heure proche de tes lèvres à mes mains.

En quoi tu m’as blessée, je n’en sais rien, mais viens !
je suis la ligne, et l’âme, et l’heure !
et que veux-tu du rêve ou de la chair ? mais viens
je suis la tienne et la douleur.

Pleure mes marécages mais viens à ma douleur
l’éventail de tes paroles rafraîchira mes crépuscules
quelle mort marmorise vos cœurs et qui recule
en toi, devant l’effort perennel de ma douleur.

Défaille,
mes bras de marbre te seront des coussins
les paumes de mes mains te berceront d’aumônes
défaille vers les senteurs qui fleurissent à mes zones ;
ah l’aimé, viens en joie, mes jardins sont ouverts. »


L’ombre s’amoncelle aux pâleurs sur les terrasses
et fait éclore plus doux les flambeaux près des vasques
où rient comme un réveil de sa voix
les panaches virants des fontaines ;
la ronde des fées et des masques,
d’opales génies s’accoudent à ses terrasses,
des ballets dansent sur ses dalles.

III

Ta tristesse inconnue dans tes yeux, si loin dans la foule
et n’y pouvoir porter les paroles des baisers
et tes yeux mes bonheurs, soleils dans la foule
et n’y pouvoir dormir à l’ombre de tes cils et les baiser.

La magie de ta nuit brune et pâle qui demeure
hors mes mains et ma voix et le levier de mes fois
et ce perpétuel présent et ce hier si autrefois
en ce passé sans date où le cercle de tes bras seul demeure.

Et ce cher rêve de ne jamais mourir en toi
et la mémoire du parfum qui ne peut s’abolir en moi
oh vous, tous les instants, toutes les lignes, toutes les joies
baissez vos lèvres à moi, venez dormir en moi.

IV

Rien ne m’est plus que ta présence
et les courbes souveraines de ta face
et les portiques de ta voix ;
rien ne m’est plus que ton attente.
La halte inutile du temps
avant le frisson qui m’attend
et le charme de mes mains sur tes seins,
rien ne m’est plus que ta présence.

De tes beaux yeux la paix descend comme un grand soir
et des pans de tentes lentes descendent gemmés de pierreries
tissés de rais lointains et de lunes inconnues ;
des jardins enchantés fleurissent à ma poitrine
cependant que mon rêve se clôt entre tes doigts,
à ta voix de péri la lente incantation fleurit,
imprégné d’antérieurs parfums inconnus
mon être grisé s’apaise à ta poitrine
et mes passés s’en vont défaillir à tes doigts ;


Aux terres désertes du bonheur, nous demeurerons immobiles
les regards enfouis dans nos yeux : dans l’île
l’île imprévue, sans rade, sans mer et sans abords.
Au temple de ton geste mes vœux annelés d’or
baignés dans l’infini des yeux las de l’idole
rêveront des blancheurs, des pourpres et des hyperboles
pour dire l’oraison de ton repos dans notre soir.

V

Toi qui m’as désappris la douleur
sirène qui chante à la rade la meilleure
je tresserai pour toi les âmes de mon âme,

Fleur de l’ardent épithalame
temple où j’aspirais du seuil de mes tentes
je te bercerai des légendes de l’attente.

Au portique de ta beauté
je suis venu chargé des toisons d’aurore
brodées, loin des yeux, de toutes les flores.

J’en ferai des tapis pour ta sérénité
et si l’heure chagrine attristait votre front
je le caresserai des aubes de ma passion.

VI

Des chevaliers qui sont partis
dès longtemps, pour plus loin, pour la vie
des chevaliers qui sont partis
Dame, savez-vous morts ou vies ?

— Ils étaient droits sous la caresse
de mes yeux, leurs yeux noirs pour la vie
ils étaient fîers sous la caresse
de mes yeux, leurs églises pour la vie.

— Ils partaient en douce croisade
pour longtemps, pour plus loin, pour la vie
ils partaient chercher l’embrassade
d’une mort plus fraîche que la vie.


— Des chevaliers qui sont partis
vers mes yeux, leurs yeux noirs, pour la vie
des chevaliers qui sont partis
passant, savez-vous morts ou vies ?

Philtre de mort et nuit sur la vie.

VII

Îlot des lacs au fond des bois
cœurs des fleurs élargis dans les soirs
tours d’ivoire et sons de cor aux clairières des bois
divans dans l’éventail des anciens soirs.

Chœur des captives énamourées
vers l’orée, l’arcade qui se dérobe au loin des pas
les bois troublés qui fuient et passent
et les allures des anciens cœurs énamourés

Et l’Éden attristé et les heures dans les soirs
et celle qui pleurait sans douceur ni nonchaloir.

VIII

La nuit c’est l’absence et la nuit c’est la ville
c’est les regards clairs et les blondes grèves à leur front
la nuit c’est le caprice épars de leurs sourires.

La nuit c’est la caresse lasse à l’amant las
la chanson désapprise et rapprise, et reprise
et des lèvres en valves qui miment et frémissent

Et le manteau qui sèche à l’âtre
et le silence aux plis d’ombre à la pénombre
et le nombre oublié qui rêvasse à la chambre

Et parfois une étoile palpite comme en tendresse :
l’ambre et l’ombre d’un corps revêtu pour toujours
qui tressaille aux plaies mortes et doucement tenaille.

IX

Dans des rêves clos j’ai bâti mon rêve
rêve de brèves sèves au jardin magique
magie des fleurs closes aux rêves nostalgiques
aux jardins d’été j’ai bâti mon rêve.

Aux jardins d’automne j’ai vécu mon rêve
le cœur de mon rêve saignait dans les années :
ah d’ignorées partances et des venues inconnues,
l’oripeau de mon rêve gisait à mes pieds nus.

Au désert d’hiver je suis mort en mon rêve
essor découronné vers les brèves sèves ;
au seuil du jardin, glaive emphatique et nu
un sourire connu, fleuri dans les années.

X

J’ai mal d’amour tant violent
que nul mal ne le saurait guérir.

Drapeaux qui flottiez que pensifs aux hampes
couronnes qui jaillissaient que fanées aux tempes
et gongs de la fête, votre silence

Étreintes qui lassiez l’heure magicienne, vous lassez
voix d’aurore, et qui encore à votre murmure s’est passé ?
étendue, la voix de tes roses aux chants passés, tout est lassé.

J’ai mal d’amour tant violent
que nul mal ne m’en saurait guérir.

XI

« Moi la bacchante et le grelot
le creux, le sonore, le falot
je sais en ta mémoire des temples à ma gloire.

Quand tu verras des yeux ce seront mes yeux
et ton sommeil hanté du rêve de mes yeux ;
les pourpres ce seront les regrets de mes lèvres
les ors un écho lointain de ma voix
tes joies la mémoire retrouvée de mes fièvres
ta voix le bruit futile des souvenirs qui sont moi.
Comme une mer du lent reflux de mes baisers
paresseuse je balancerai sur tes douleurs ma calme beauté
la mémoire de mes baisers sera ta gloire et ta beauté
comme les mers qui sont mortes en mes profondeurs je t’ai gardé
je ne puis plus t’aimer — car tu n’aimas que moi. »

XII

Comme un faible plant des profondeurs du mystère
aux confins des dunes grises
sous l’obscure caresse de brises
énonçant mal comme une douleur d’ères
la pauvre face pâle lentement s’élève.

Dans l’horizon aux couchants apaisés
aux pâlissements d’ultimes escarboucles
des vacillements derrière des brocarts transfigurés de feux calmes,
pâle la face stagne souffrante.

Sur la face inoubliable
les rires dès longtemps passés
les sourires, aussi les pleurs :
c’était le refrain désolé
des peupliers au paysage morne des douleurs
sur cette face qui demeurait.


Elle n’était ni sombre ni claire
ni proche ni reculée
c’était très loin, très près, comme un miroir, comme un écho
une vibrance plus qu’une face
un blanc halo
triste autour d’un regard fixe en des passés.

Ni près, ni loin
nul escalier
comme à la terrasse d’une tour par miracle détachée
voyant aux atlantiques d’un ciel d’hiver,
comme une barque indiscernable
fixe et sans glisser,
comme un astre interdit
la pâle face.