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Premiers poèmes/Chansons d’amant/Soir par la ville

La bibliothèque libre.
Mercure de France (Premiers poèmesp. 203-216).

SOIR PAR LA VILLE

I

La rue, comme un tapis de pauvre, étend
sa lenteur longue et ses fanaux pâles.

La rue, comme une lagune, étend
de vagues silhouettes comme barques en désolation.

Ah, lointaines, les Afriques et les Palestines.
La rue pâle s’échoue dans la brume d’Occident.

II

Dans quelque apparat de cloisons peintes
auprès des coupes, et parée de violettes, diaprée d’hyacinthe —
comme sa voix derrière le vitrail auré resplendit.

Dans un hiver royal des pourpres et des ors de l’âtre
dans un apparat de règnes au théâtre
et devant tant et qui, son masque mobile resplendit.

III

Pâle efflorescence de sèves
mémoires des drapeaux d’adolescence.

Dans la grise désolation des grands murs
par la courbe monotone de la rue plate
dans la tristesse et le gel liquide de la rue plate
mémoires en triste efflorescence
vous rêvez les automnes mûrs.

Ces passants sont éphémères
en la minute et l’éternité
qu’importent leurs pas arrêtés
et le vol bref de leurs chimères.

IV

Le hall de fête, malgré les trèfles et les lys de lumière,
le hall aux musiques lumineuses —
s’endort en murmures une canzone de temps lointains —
le hall de fête est désolé malgré les présences nombreuses —
Sommes-nous dormants pour le lointain des temps.

Dans les brassées d’épis et les gerbes de fleurs de lumière
passe ondoyante la mascarade rayée de printemps —
Résonne à pas lourds en nous, le pas de bronze
le pas de conscience aux durs frôlis d’armures —
Dans les brassées d’épis joyeux et les tapis de fleurs lumineuses
sommes-nous dormants au miroir d’anciennes années.

Pourquoi crépusculaires vos yeux de fête, jadis l’ombre des midis
Le hall somnole de triste enchantement,
les magiciennes pleurent le départ des amants

et les mages l’irréductible ballet de vos jouvences —
Pourquoi nocturnes vos cheveux sur le front, jadis éventails des midis

Ah voici le regret des midis et des soirs frais —
Te souviens-tu, les nuits lactées sur l’eau du fleuve —
les lampes du hall en fête tremblent comme des veuves —
Ah voici les mineurs des musiques de fêtes —
magies et magiciennes, âme du mage — ancienne journée.

V

Je rêvais d’un oiselet
qu’un enfant cruel torturait
pour sentir palpiter ses flancs.

Je rêvais d’une terre comme maternelle
avec des siestes d’ombre et des frôlis d’ailes
et des allées de rêves blancs.

Je rêvais comme d’une sœur
aux lèvres uniques de douceur
et belle et chaste et femme et sœur.

VI

Tendresse, paradis doux dans les navrances,
sur mon âme tu t’accoudas et regardas
si dans la troupe des cauchemars assoupis là
n’était quelque fleur pure dont chérir l’enfance

Tu vis les âcretés des soupçons et puis les morts,
les morts accumulées et puis des cœurs vivants
traînant languissamment leurs requêtes d’un corps
et des stigmates de douleurs et des essences de chagrins latents

Et puis la nonchalance après l’inutile départ
et dans l’âme morbide et languide, nulle part
la place pour poser ta tête calme
et répandre au patient la bonté de la beauté calme.

VII

Vols éployés des migrateurs, ah vols,
vols vers quelque nulle part envolés,
envolées vers plus d’ombre et de repos sous plus d’arbres,
arbres aux feuilles plus bénignes, ou plus de vols
de calmes tourterelles ou d’oiselets de rêve
se posent en repos de pattes roses,
vols épars dans les automnes qui se parent
comme du charme d’une mort factice d’âme sans alarme
sous les larmes muettes des cieux plus graves en leur rêve

Vols aux muettes rapidités
Gyres des mouettes autour des phares,
vols répercutés
au ras du sommeil des mers et des cathédrales des cités,
vols en silence percés d’une strideur de fanfare
que les vieux guides, les plus blessés

poussent en passant sur le front des cités
où les douleurs de leur mémoire s’égarent.

Ah tristesse ! passer et repasser.

Si par quelque ciel sous un soleil plus élargi
les micas du soleil appesanti sur la lande
étendent
un manteau d’oasis plus languides sur la léthargie
des landes en semis de pauvres tentes,
ah ! si quelque Floride
vers les bâtons brisés et les pas appesantis
des voyageurs en tristesse lente
mire le reflet des fontaines de jeunesse pour leurs rides
il n’est qu’erreur et lumière en magie.

Ah ! tristesse, passer et repasser.
La vie d’ombre près du sommeil et le sommeil en léthargie,
La vie qui meurt à tout pleur et douleur qui dure un pleur,
la vie d’ambre d’une heure qui fuit vers l’aride des rides, —
la vie vite époumonnant l’étalon sans brides
Ah ! toute semblance de vivre,
sur le fond morne d’une heure éphémère, passer et repasser

Vols migrateurs, vols vers la mort,
regrets de tant de lenteurs vers la dernière mort.

VIII

Sur la ligne sèche de ta beauté, j’inscris
qu’harmoniques les lignes aux sections d’or
dont nul ne connaît la raison d’être
et dont l’effort aux incertaines manières d’être
reste sans voile
et sans que la requête ardente d’humain puisse connaître
en quelle coupelle, de par quel dieu temporaire, en son être
Telles naquirent ces lignes,
et sous les coloris de la nuit et de la nue et de l’aube,
plus dignes du regard que les étoiles
et les instincts sauveurs de la vie,
ces lignes
dressent leur petit temple infini dans ma vie
et que tel phénomène, en ma conscience, survit.


Que la lumière qui défaille en mes prunelles,
prunelles mortes d’avoir vécu sur ton reflet au puits de mon moi
et clairvoyances déchues d’avoir entrevu les différences
entre ton être et les ambiances,
Que la lumière éclose sous le dais de ta paupière
en son éclat de fleur impersonnelle
plonge l’âme qui dans mes prunelles s’en vient à sa fenêtre
comme en un songe d’un immense désir d’être
et d’un regret de n’être plus.

Que tes lèvres demeurent la saveur habituelle
à mes lèvres sevrées par l’orgueil,
à mes lèvres scellées par l’oubli,
et qu’à celui dont les rêves clos ne s’ouvrent plus à la vie habituelle
il n’est plus qu’un seul fruit,
le dernier à qui ses enfances encore firent accueil.

Que tes joues sont l’étendue possible de la plaine où se jouent
les voluptés des doigts tactiles,
Que tes joues sont l’étoffe exquise et la chair en délices
où s’émeuvent les gazes de mes lèvres
que les fièvres
qui seules peuvent émouvoir ce corps aux ressorts trop appelés

sont ces nitides plaines de chair claire et d’ambre dense,
promenade hors des lèvres
landes autour des yeux
domaines et transparences.

Puis, sœur qui t’éperdues aux joies faciles du vivre,
Ô vous dont toute joie se joue dans l’apparence
et dans la joie d’être par le hasard, la jouvence,
et par l’art l’émerveillement des soirs du vivre,
Parfois soit par hasard des lignes ou par souffrance
brève, et qui se résout dans le rire et le sourire,
j’ai vu sur ta face se passer la douleur
et les manteaux des rois tristes qui s’accoudent à d’autres pôles
se posaient sur tes épaules
et des regards plus profonds que les leurs adjuvaient les splendeurs
des joailleries de tes prunelles
et sur ton front comme des ailes
des ailes de crépuscule en souffrance de connaissance
venaient battre au plus beau palais
leur muet cantique de désespérance.

IX

S’il n’est rien de plus que les lignes de ton masque,
rien de plus qu’un cycle d’immémoriale beauté
Dans les architectures mobiles de ta face,
S’il n’est rien que tes lignes, et tes parfums et tes nuées
S’il n’est que ton paysage et l’éternelle Psyché
et la halte identique aux mêmes fatigues du temps en marche,
si seule ta retraite est la crypte et l’arche
et la fontaine rafraîchissante à l’unique vasque,

S’il n’est rien que toi-même, et tout toi, et toi seule,
toi seule solitaire en un désert sans horizon
et pas d’autre apparence à travers les dunes d’illusion !
Ah ! fuir vers les tribus en marche.

X

La rue comme un regret sans fin s’endort
et les pas lointains s’en vont comme à regret. —
Dans l’heure en brume et sans décor
Les âmes tristes prennent le pas plus lent de la douleur et du regret.

Dans les lointains précipités les roues bruissent au plus vite,
c’est plus de douleur dans un regret sans essor
et personne n’est plus qui se souvienne, ni plus vite
mène une joie de marche vers un divan de meilleur sort.

La rue comme une plainte oscille dans la brume,
falotes les lumières en espace, et sur les places
comme des déserts de cœur s’étendent et regrettent.
Les pas plus lents se meurent de mémoire et de regret.