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Premiers poèmes/Domaine de fée/Chansons

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 291-315).

CHANSONS

I

Je t’aime de ta voix, de tes yeux, de tes seins
et de ma vie à toi, toi dont les desseins
sont d’aimer celui qui t’aime tant
que peuvent passer les printemps
loin de toi et ton sourire, sans que l’amant
profondément que suis de ta beauté s’émeuve
de rien d’autre que de ta tendresse toujours neuve.

Chérir est la fin des buts, chérir
parce que l’on est dompté par la ligne,
la ligne brève et longue équivalente aux cieux,
la ligne à ravir ;
or, je l’ai dans mes yeux,
ce jeu des parfaites géométries ;

à cela je crois, je ne crois à rien d’autre,
car les idées ne sont que méchants hôtes
qui se jouent en fallacieux signes
et se tordent dans l’infini.

Donc vers ton parvis, je viens humble et soumis,
et vers vos pieds dépose les guirlandes florales
de mon cœur et de ma cervelle et de ma vie,
et puis aussi je donne mon âme toute blanchie
de la droiture de vos vœux, et les aveux
que n’ai pu vous faire, car le verbe finit
quand se joue l’âme pure, aux visions de paradis,
et puis, sous vos lèvres expirent mes jalousies,
votre fou se câline à votre joue et dit :
« Mienne que j’aimerai par les foires de la vie,
mienne qu’adorerai aux féeries
que me jouent ses présences bénies,
faites de ce cœur à vous l’Éden béni,
car l’Éden, c’est d’être deux, amants et amis. »

II

Je parerai tes bras de bracelets,
ton cou d’un collier,
tes lèvres de mes lèvres,

je scellerai ton rêve de ma fièvre,
ta gaieté l’encouragerai
de toute mon âme grisée,

tes cheveux les couronnerai
des acclamations qu’arracherai
aux trouvères surpassés.

Puis te demanderai pardon
d’avoir si mal chanté le don
parfumé de ta grâce souveraine
et l’assentiment de ta beauté reine.

III

Notre dame de notre amour,
dont la chapelle est près la mer,
si vers ton autel sa face s’achemine,
aumônière aux vieilles que les rides parcheminent
et gaie à l’enfant qui court.

Dis-lui que l’exil est lourd,
que les mains sont désheurées,
toujours à sa taille liées,
tous ces bonheurs des derniers jours,
et que c’est lividité,
ce soleil clair des matinées
dans la ville où l’ennui me garde emprisonné.


Notre dame de nos caresses,
ta chapelle vers le nord,
c’est un exil vers les bords
de la dure fatalité.
Reine des tristesses d’été,
je ne puis pendre à tes piliers
les lourds ex-votos des pèlerins boréaux,
Notre dame du soleil de nos caresses.

Je la laisse t’apporter la royauté des genêts d’or,
l’éclat rouge des fleurs de grenadier
et la douceur des figues cueillies à l’aurore,
l’émail des statues divines par les piliers
des temples païens de claire beauté,
où s’usèrent mes genoux à contempler
les radieux étés de la face humaine.

Accueille mon ambassadrice
et dis-lui qu’on souffre loin d’elle
et que son esclave est celui de la plus belle.

IV

J’héberge en mon âme, ô mon âme, un hôte
aux délices de sourires et de baisers,
sur l’été de ma vie penché
pour que mes voix et mes yeux viennent fêter
un clair frisson de joie des étés.
Je t’ai prise et conquise et te garderai.

J’ai mis à ton cortège les mages,
les pèlerins et l’Hécate des nuits d’été.
De pâles chevaliers muets au bord des routes
tenaient les hampes des drapeaux vers le passage adoré,
j’ai fait chanter les lieds de pauvres filles, près de ta route,
pour que ton sourire puisse consoler leurs doutes.
Je t’ai prise et conquise et te garderai.


Et ne pouvant t’offrir qu’un maigre Occident
mal paré de chansons, un Occident somnolent,
je t’ai sacrée reine de l’Orient
que je possède, large et pur et haut,
crucifié de martyrs riants,
joyaux de la Sulamite que j’ai.
Je t’ai prise et conquise et te garderai.

V

Je suis celui de ta beauté et rien d’autre,
le reste des débris du monde n’étant rien
que nomenclature et que mappemonde,
je suis celui de ta beauté et rien d’autre.

Ta beauté c’est du doux soleil vers midi,
non très loin d’un mur blanc, de nattes, de chansons,
ta beauté c’est des yeux vivant des vies de colibris
et puis mon âme toute et toute ma vie.

Ta beauté s’éjouit dans un cœur tout à toi,
ta beauté parfois frissonne
en pensant que mon cœur sonne
comme d’un éternel émoi.
Mais tu sais si bien que personne
ne se mirera dans ce miroir à toi.
Ta beauté réjouit tout ce cœur tout à toi.

VI

Je m’ennuie à tarir ;
viendrez-vous avec nous
au bocage royal des fous ?
Parez-vous donc à ravir

d’un collier d’ambre à votre cou,
sur votre doux visage un loup,
que seul je puisse savoir
que tu es jolie à ravir.

Des crépons argentés,
d’un éventail en rais lunaires,
de votre regard, parez-vous
et venez, jolie à ravir.


Le rêve est doux, qui joint les espaces ;
sur la route vous feront place
les carrosses des rêves jaloux.
Que soyez parée à ravir.

Et votre triste compagnon
embrassera votre cou
et puis dénouera votre loup.
Belle, tu es jolie à ravir.

Qu’il est loin le rêve espéré
et que vais vivre dépité
car, vrai, je m’ennuie à tarir
loin de vous, jolie à ravir.

VII

Corbeille de fruits rares que j’aime,
entrelac des lignes que j*aime,
son des propos que j’aime,
danse des danses de ton pas que j’aime,
loin de toi, c’est attendre et non vivre.

Oiselet qui dans mon cœur pépie,
face rieuse qui me taquine et qui me rit,
face sérieuse dont je m’inquiète, vers qui je prie,
loin de toi, c’est pâtir et non vivre.

Loin de toi, c’est le désert et non la vie,
c’est un bruit de fête qui vient dans la nuit
assombrir la pauvre âme dolente
de n’avoir pas à toute minute de sa vie
sur son épaule ta tête souriante.

VIII

Les masques de la mascarade,
passez, vous n’êtes pas celle
dont mon être épris chancelle,
passez sans moi votre parade.

Les barques vers Ophir ou Thulé,
passez, vous ne portez pas celle
à quelles lèvres mon cœur se scelle,
passez sans moi vos traversées.

Chansons de fêtes carillonnées,
restez, si vous chantez celle
qui demeurera mon aimée
et bercez-moi ma destinée.

IX

Ami, voici la viole et le luth,
chantez pour ceux-là de l’existence,
chantez telles danses,
oubliez que je suis là, tranquille près de vous,
d’où mes yeux vous mirent, comme de loin.

Je ne puis chanter que mon rêve : voici,
j’aime d’âme et de corps et du plus loin
une seule aux doux yeux, seule pour ma faim
elle est près de moi même quand elle est loin

X

Si je meurs
moissonné par la vie,
fauché par la durée,
si je meurs
d’avoir oublié l’heure
aux détroits tristes de la vie,
si la mort
étend sur moi le manteau pauvre,
si je meurs
couché sur un large bouclier,
mon cœur battra de toi.

Si je vis
par les parcs énamourés,
si je vis

par les psaumes des paumes qui disent oui
à mes paroles,
si je vis glorieux et doux,
nos fanfares résonneront
sur les âmes en chansons
qui écoutent
le pas de notre cheval sur les routes.

Si je parle,
c’est ta voix
qui parlera dans la flûte de bois,
orgueil unique du poète,
si je parle,
c’est pour toi,
c’est pour ta beauté loi,
les lèvres sur l’âme aux abois.

Si je chante, ce sera
l’hymne des choses brunes et d’ambre,
ce sera l’avril des temps
et le réveil des rois des temps.
Les éventails de mon rêve
sur le rêve des gens passeront
comme un vif émerveillement
pavoisé de paons en rêve.


Et si plus tard je me tais,
ce sera que les vieilles lyres
des antécesseurs vaincus
orneront le parloir à sourires
ou tes yeux sur les miens vaincus,
pèsent de leur despotisme aigu
mais si cher et si tenaillant
l’âme folle que moi je suis,
que loin de toi, je m’en irais
lentement comme vers un gouffre
glissant, comme une herbe qui souffre.

XI

Mon cœur est bizarre, il est bête mon cœur.
Auprès d’un trône que je bâtis
près des sandales qu’ai ravies,
un pauvre fou tremble et pâlit.
Mon cœur est bizarre, il est fou mon cœur.

Toastons ! celle que j’aime est d’ambre, elle est de jais,
elle est aussi d’ivoire et belle comme le lait du Léthé,
elle a chassé mes mauvais songes.
Je ronge patient le joug qu’elle m’a forgé.

Elle est divine, parce que mienne, elle est beauté,
ô sourires des temps, terrasse de Bethsabée.
Tu as lui et mon âme flambe de clartés.

XII

Ô bel avril épanoui,
qu’importe ta chanson franche,
tes lilas blancs, tes aubépines et l’or fleuri
de ton soleil par les branches,
si loin de moi la bien-aimée
dans les brumes du Nord est restée.

Ô bel avril épanoui,
la revoir est la fête sans merci,
ô bel avril épanoui.
Elle vient à moi. Tes lilas,
tes floraisons de soleil d’or
alors me plairont — merci,
ô bel avril épanoui.

XIII

J’étais allé jusqu’au fond du jardin
quand dans la nuit une invisible main
me terrassa plus forte que moi —
une voix me dit : c’est pour ta joie.

Ô mon grand amour sans merci,
qui rayonne mon cœur et le pressure
de tout souci, d’une étreinte si sûre,
amour de ma belle, m’ayez en merci.

Lors je vis des chars de gloire
jaillir des profondeurs noires,
et des fées en descendirent
qui de mon fol cerveau défrichèrent
toutes anciennes herbes amères,
et mon amour put tendre la grande lyre.

XIV

C’est sous de lourds rideaux
un frisson de voix, un écho
qui presque prononce mon nom
avec telle inflexion
qu’on dirait que des fées
apportent de ta voix sur leurs ailes.

Mes yeux se ferment,
une étoile filtre dans mes yeux
et le brusque réveil envieux
la fait fuir vers la terre ferme
des solides réalités.
Je veux revoir l’étoile des fées.


Et puis c’est comme un frisson
du danger qu’elle peut courir.
Être là pour secourir
les siens ! le bon réveil
vient en aide à l’âme apeurée,
mais ô revenez, mémoires, les fées.

XV

Paroisses domaniales des cœurs,
les chœurs de vos maîtrises
hantés et non suspects de traîtrises,
planent sur un monde si vieux et si bas
que le marquis de Carabas,
possesseur de terres et de moulins à vent,
n’en saurait croire ses oreilles d’âne,
à entendre chanter les joies des maîtrises
par les éoliennes du vent.

Ô joie de la présence infinie,
votre chanson sur l’absence
plane en gloire épanouie.
Roses de jadis, roses de toujours,
parfums par toujours épandus et réjouis,
passez sur l’âme du plus humble,
du poète qui dans son âme écoute vos essences.


Charbon divin, celui de Moïse et d’Isaïe,
charbon sur mon cœur, ô vous, toi que j’adore,
des mysticités passent et demeurent
en mon cœur, écho sonore des maîtrises ;
l’âme est tel vallon qu’on ensemence,
si l’on veut de soleils, si l’on veut de démence.

Ô reine de mes joies et douleurs,
ô vous qui surpassez mon hymne de la hauteur
de quelqu’un qui seul est hymne,
aimez-moi, car je vous aime
telle que vous êtes,
telle que vous serez,
et mieux que moi qui ne sais
ce que de moi vous ferez.

Le plus fort ou le plus faible
c’est votre arbitraire, le roi,
fortifiez-moi de votre foi en moi
et je serai en Occident le plus haut des rois.

XVI

Une figure d’ange d’ébène
aux ailes de solide métal d’or
s’est levée sur mon cœur qui dort
empreint du rêve doux de sa chaîne,
et de larges yeux surhumains palpitent
comme des gisements d’amour à tréfonds d’âmes ;
s’allument florales de colossales pépites
d’un métal fluide et dense plus pur que de l’or.

La voix retentit comme un hymne paré d’étoiles
parmi les drapeaux et les miroirs de fête ;
des cadences de marteaux géants dans des forges
hantées de chanteurs athlètes
s’allument, frissonnent, sonnent et s’estompent
pour faire place aux chants doux des harpes.
Pas des géants aux chansons douces d’amour, passez
sur le rêve de mon cœur joyeux d’être enchaîné.


Des essaims de magiciens incantent :
paraissez, phosphorescences dorées,
symbole des enlacements,
chant battant des orgueils d’amants.

Des essaims de magiciennes chantent.
Illuminez, beauté,
la terre éparse de lacs d’étoiles,
la terre semée de bals de lumières
et des courses d’ægipans parmi les toiles
aranéennes des grands taillis dormants
où se jouent les lignes des lèvres qui chantent.