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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Finale

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 130-152).

FINALE

En ce pauvre être, quand descendra le repos.

Faudra-il attendre et ses reins démolis, et l’œil atone, et les haillons de son manteau aux mains pensives de quelques regrets, deci, delà, que d’ailleurs il ignora.

Colligeant de clairsemés regards éphémères, hanté de dégoût, sis en la berge banale, écœurant l’ulcère du souvenir, verra-t-il les lourds chalands de ses songes indéfiniment se traîner.

Las du verre et de la tasse, et du paysage et de l’humain, inclinant frileusement son front à des souvenirs de mains, calmantes mains, si petites et saillantes de nerfs, béant aux paroles qui manquent et ne sachant plus entendre, Job sans paroles, débris de ses débris… Sera-ce ainsi le repos du pauvre être ? du miséreux peut-être.

Dans la masure inconsolée que ne para nul festival, les masques antérieurs se poussiérant aux coins, et l’ennui rayant de gris les tomes inutiles des amants d’antan, tourner à vide.

De la Babylone soupçonnée, de la patrie jamais née, ne dénombrer que les forces brutales. Le rideau d’un oubli des morts préparatoires, chu dans l’opacité du silence et rien qu’un souvenir du moloch des adolescences.

La Fantasmagorie des temps inélucidés de l’enfance, la mémoire passante du déçu, les braises des feux de jadis, et du noir autour des yeux, devant les yeux, est-ce donc tout ? et le ressac brutal d’on ne sait quoi refoulé.

I

La débâcle de la défaite s’est ruée sur la ville obscurcie.

Aux passés les jeunes désirs mantélés de paroles au vent
et l'hallali des cors de gloire taquetants
et l'hosannah des errantes, aux soirs, trébuchantes paroles.
La forêt pavoisée des banderoles du couchant
aux tristes réveils des rues du réel.

Et cette femme on ne sait pourquoi sur le théâtre
Et la fête aux cavaliers d’Orient.
Et les bras qui voulaient s’agenouiller sont roidis ;
Chiffe et feuille morte ta déesse d’idolâtre
et sur ses ruines, le sel.

L’aile noire de la défaite sur ta ville et sur ton midi.
Clos tes paroles.

II

Hier est maître de demain ; quelle fut la première faute ?
Était-ce faute vers ses mains, désirer l’anxieuse faute.
Hier enchaîne les demains, tous les demains sont des hiers.

Ainsi s’égrène le morne hiver,
ainsi s’égrène l’instant de vie
et le pauvre instinct dévie
depuis tant de mornes hivers,

Et le printemps, et les étés, phénomènes,
phénomènes vagues, où tout fuit lié
à je ne sais quels fatidiques hiers.
Les lèvres saignent à d’identiques piliers
d’inextricables cryptes du phénomène.

III

Sur la même courbe lente
Implacablement lente
s’extasie, vacille, et sombre
le présent complexe de courbes lentes.

À l’identique automne les rouilles s’homologuent
analogue ta douleur aux soirs d’automne
et détonne la lente courbe des choses et tes brefs sautillements.

Les invisibles barreaux de l’impossible
l’irréalisable simplicité.
Ah ! conception d’éternités
mêmes moments et mêmes cibles
aux cribles de perpétuelles mortalités.


Rêves clos, enclos dans la race !
Qui vint déposer l’errance des longues routes
et le désir d’ailleurs et le glaive de la déroute
dans la cellule du premier aïeul
et de quel primordial, l’initial et semblable deuil.

Souffrir est le chemin, la norme et l’exemple.
Souffrir en son temple provisoire
des réels tourments illusoires.
Quelles effusions aux paradis mort de l’aïeul !

IV

Qu’aimais-tu sinon sa souffrance
et sa lente marche en brèves morts
lent glissement aux suprêmes morts

et ses voix lointaines, et brusques nuits à ses prunelles, et brèves fragrances.


Madone d’ataviques douleurs
De quels mornes passants venue,
madone capricante et sans pleurs
Tu ressens que les jours comptés s’égrènent et passent
que rien ne peut sourire aux mystères qui lassent
l’éternel duo famélique de pleurs, ô mort, attendant ta venue.

Mort des heures, mort des volontés, perpétuelles morts.
Nomenclature fastidieuse qui demeure
des aspects et des illusions brève qui meurt ;
dans la vie trop lente, les secondes trop brèves,
Tout vers la mort.

V

Sous le faix du jour expectant, du jour en vain vacillant
les douleurs seules devant le foyer rougeâtre
et les fables de la nuit,
les fables du théâtre monocorde du jour expectant.

Dolosive, intensive ruse des ailes des papillons d'antan
à quel heurt des jours leurrants, l’instinct du temps,
La nuit plane et sur les sommeils défaille
repos des exilés du rêve, de ceux à sa taille
repos inéclos aux pas assourdis de qui sait le temps.

Ah ! courbé sous tes paupières
lourdes de mémoires de pierres
gisantes où voulurent les parallèles hasards.


Ah fatigué de chair et de pupilles
fléchissante acanthe
que le dôme est pesant qu’exigèrent ses arts
sur la mémoire esclave du parallèle hasard
qui vous fit, un seul, un instant.

Communion exilée de vos chairs
c’était donc spectacle, et pour qui ?

VI

Âme en faiblesse, cœur en détresse

Si florales sous les pelouses du soleil, et leurs jeux
s’éperlant aux degrés d’escaliers, et les aveux
résonnant rieurs au vol blond des tresses.

Les ombres des bois du rêve et la simplesse…
les parfums qui jouaient aux vols épars des tresses
et l’accueil qui s’ouvrait à leurs yeux.

Cœur en navrance, âme en détresse.

Et la conquête dans les pourpres et les oriflammes,
l’ascension latente à lointains paradis
les éléphants caparaçonnés des escarboucles du jadis
et les caravelles aux joyeuses flammes,
Ah morne découverte aux blessures entr’ouvertes
en détresse.


Le palais s’est effondré sous les mousses.
Le palais s’est désagrégé sous les efforts de partout ;
quand vinrent les musiques barbares,
et le tumulte des menées discordantes
s’éteignit aux barques la chanson du mousse
sous les permanents efforts de partout.

VII

Vers le plein ciel qui se dérobe
tangue la barque évanescente,
la barque aux citrines voilures des vesprées désespérées
par les pleurs des vagues et l’ocellure de leurs robes.

Les havres exilés de là la haute mer
les havres désirés dès les matins éphémères :
à quelle ancre fixés les repos de la haute mer.

Et les chevaliers blancs fuyards du marécage
les yeux vers l’infini du regret primordial
si calmes d’épuiser dans la coupe éternelle
le désespoir qui se fixe en perpétuelles ritournelles
attendent le magique, le soudain cordial
pour guérir le temps, des âges.


Vers le plein ciel qui se dérobe
les barques éployées sur la mer
multiplient les cadences des rames perpétuelles
vers les hâvres enfuis de là la haute mer.

VIII

Tant grande douleur vint des gestes pâles
du timbre du verbe illusoire aux soirs.
Tant cruelle étreinte vint de tes mains pâles,
l’âge du mirage des caresses des soirs.

Abandonnée dans ta foule
toute fléchissante en ta dureté,
La neige de l’immanent hiver, à ton cœur qui croule
émanait de langueur des roses-thé.

Ah si nous savons se déchirer demain
laisse le sommeil s’imposer de tes mains,
fuyons la peur de neige aux pupilles solaires
boucliers lucescents de ta face nécessaire.

IX

Sur la rampe sacrée, accoudée
torse amolli et front de lys, qui penche
vers le désir élancé des branches
de ce lent mal tout occupée.

Des caresses de l’inguérissable —
ah tant meurtrie de son regard aux dunes —
et ses pas vers l’esplanade inusable
de l’alternatif à toi.

Enfui sur le soleil de l’heure
le dictame du magicien !

sur la tour écartelée
des orgueils et des malechances
accablé de son regard aux dunes


Qui donc permit et défendit l’octroi
de l’alternatif à toi.

Enfuis des matins de lunes,
Reviendrez-vous, dictames de la magicienne !

X

Esclave, j’ai la pourpre, et la danse, et les songes.
J’ai su trouver à toi la perle aux renaissances,
mes bras se sont bercés aux vérités du pur mensonge.

J’ai su chérir l’accent polyphonique des songes,
les brocarts romanesques ont fleuri de leurs franges
les labeurs aggravés vers le sol héréditaire,

Et pour avoir l’ivresse, et la fuite, et les chœurs d’anges,
Feudataire des hivers, j’ordonne la nuit d’été
Pour ébattre aux clairières les ballets de ton été.

XI

Des regards éclairaient la nuit
Des lunes d’argent diamantaient leurs faces
La nuit s’épand, leur pas s’efface.

Nous les entrevîmes dans l’aube des paroles,
portant les lys de nos corbeilles,
aux quatre vents de tout pollen
vite nous allions souriantes et saltantes.

Dans le carrefour les paroles
se croisèrent haletantes ;
Ah pauvres lys de nos corbeilles,
aux quatre vents vos émanantes orbes.

Les hasards de l’aube s’effacent.
Leurs yeux brûlent nos chairs et leur attente —
Nos âmes à l’orbe d’anciennes paroles.


Hâtez-vous, les inconnus de cueillir à nos aurores,
languissant et frémissant l’accueil attend, l’accueil s’essore,
hâtez-vous d’arrêter ta marche sous nos yeux ;
les harpes fondront en sons délicieux.

Un cher profil de ténèbre
Transparaît à quels brefs falots —
Viens à la ténèbre astrale,
Fraîchir ta peine éternelle !

Aux languides oreillers de la ténèbre maternelle,
Endors, voici les baumes, et rêve, voici les Graals
Voici les philtres ; bois.
Des flûtes au frisselis d’arabesques
Et les plaintes des cordes et les clartés des bois
t’enlèveront aux mers des lents repos,
des repos berçants et si doux qu’on veut mourir,
mourir languissamment dans un chant qui veut s’abolir.

À la nuit antérieure,
à la nuit intérieure,
nous avons perçu la route et la source.

Si le long des routes, il n’est pas de ressource
qu’est donc le rêve antérieur
qu’est donc le rythme intérieur ?


Tes frères m’ont frappée sur le bord de la route,
ils ont fauché du glaive les pavots renacescents,
mon corps en croix, les plaies aux flancs
saigne à tous détours de la déroute,
dans les lances et les colères, plane la dévastation.

Chue l’étoile qui guidait vers les faubourgs de ma cité ;
morts mes cygnes, hélas ! mes voiliers blancs, fanés mes lacs ;
où furent mes forêts tangible à tes doigts l’opacité
le profil de ténèbre s’ensanglante de rouges entrelacs.

Pour les minutes des années
mon vœu halète à ta vraie voix.

Quand j’atteignis la crypte sévère de ta face,
mes lèvres s’affaissèrent aux pilastres de ton corps
et ce fut la halte amène et tout l’accord
sous les lampadaires d’argent de ta face.

Pour les minutes des années
mon cœur se clôt à toute vraie voix.

De ton char plaqué d’ivoire et turriculé de lys
pour qui la caresse brune de tes yeux larges.


Que le corps de l’esclave et l’ode du rhapsode
saignent le long des roues triomphantes de mon exode

Bref est le moment, courte la magie,
agile le doigt sénile du temps.
S’enfuiront les veilleurs des tours guettant,
le large sera plus seul et sans magie.

Hante le lit emblématoire
à l’ordre de l’heure impérieuse ;
à moi, ciboire et monitoire
le simulacre de l’heure impérieuse.

Sa voix ment à sa face et sa face à ses yeux

Roses enfouies, roses infinies.
Entends la voix muette et la ligne infinie ;
Que sais-je ! et que ternie.
J’attends la voix muette et la ligne infinie.

Si lent le sablier et le gong aboli.

Des corps dépouillés des armures
crie le sanglot irréductible,
écoute aux langueurs des bibles
de ma voix de grappes mûres.


Les ombres et les pavots émanant de leurs murs.

Halte fatale des Tantales
au cliquetis de mes crotales
les regards ivres des Tantales
leurs pas vacillent à mes dédales.

XII

Parce qu’il n’est rien de plus qu’attente douloureuse
et que la science fuit, dans le temps bref de saisir,
Dédaigne et laisse aller le vivre à la dérive
écouteur distrait des fanfares et des convives,
puisqu’il n’est rien de plus que mémoire et gésir
dédaigne et baigne-toi d’attente douloureuse
Qu’est-il de frère en toi et ceux qui veulent vivre.