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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Mémorial

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 116-129).
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MÉMORIAL

À l’instant de vie lumineux, à l’erreur cherchée et chérie, carrefour des voix de la vie, infatigablement tout ramène.

Des regrets qui voudraient quelque douceur. Si belle est toute perdue, si regrettée toute exilée, si désirée toute chassée, aux heures mauvaises du seul.

Fuir vers le passé, et citer de véracité les illusoires, les débiles prouesses, et toujours et partout le dernier passé se lève, trouble, et dévaste.

Quel premier instant nous jeta débiles, aux pieds d’argile ; quel inéluctable avenir ordonna la douleur et le silence séparés.

Partout et toujours le dernier passé, minute qui se perpétue de solitaire épouvante.

I

Tes bras sont l’asyle
Et tes lèvres le parvis
s’éventairent les parfums et les couleurs des fleurs et des fruits,
Et ta voix la synagogue
D’immuables analogies
Et ton front la mort où vogue
L’éternelle pâleur
Et les vaisseaux aux pilotes morts des temps défunts,
Tes rides légères le sillage gracile
Des âges aux récifs difficiles
Où le chœur des douleurs vers tes prunelles a brui
Ses monocordes liturgies

Danse sans rêve et sans trêve ;
Il n’est d’inutiles ébats
Que ceux que tu dansas pour moi
Oh toi l’exsangue, oh toi la frêle, oh toi la grêle

À qui mes baisers
Firent un tapis triomphal, rosé
Des aurores où nous menâmes
Nos pas, nos regards et nos âmes
Nos sens jaloux, nos âmes grêles, —
Tu demeures la ruine éclairée par les torches
Tandis que les grands vents ululent sous les porches
Souffletant de folioles errantes les écussons.

Et sans décolérer, l’agrégat des chimères
En souffles, en râles, en hurlements
Assiège de clameurs la part de firmament
Que laisse la ville à nos misères.

Par les chemins uniformes
Et par les houles multiformes
En souffles, en râles, en sons d’orgue lointain
C’est la si semblable à moi
Par les ressauts et les émois
Et l’intime et cruel débat
Et le morne ressouvenir des temps incertains ;
Et si lent s’éteindre le ressouvenir
De la bouche, de la bouche qui mord
Et plus lent encore, plus lent à venir
Le dédain des chimères sans mors.


Oh mes châteaux en Espagne
Loin exilés et tard construits
Où le chœur des douleurs a brui.
Oh mes châteaux en Espagne !

II

Les harpes sont éclatées, les harpes, hymnaires
Aux louanges des mains morbides de la lente souveraine ;
Les rênes au long du char désorbité traînent.
Voici l’allégresse des âmes d’automne,
La ville s’évapore en illusions proches,
Voici se voiler de violet et d’orangé les porches
De la nuit sans lune.
Princesse qu’as-tu fait de ta tiare orfévrée ?

Les œillets charnels de baume s’éploient aux trous de la cuirasse
Les roseaux vers les moires de ta robe étalée
Bercent, graciles, leurs chefs fleuris des espérances innées.
Des ailes voletantes attendent aux anses silentes de bonace
Et les reflets de ciel, frissons d’appel, accurvés aux psaumes mémorés.


« C’est l’instant chétif de se réunir,
Elle est venue, la souveraine,
Dans les épithalames, les forêts de piques et les cavales dans l’arène
Et les proues balançaient aux flots bleus, et les carènes,
Au havre de paix de ses yeux si bleus,
Et cordelettes pourpres, et bandelettes blanches et sistres joyeux.

Dans leur allance aux paradis
Par les sereines litanies
Les pas s’en sont allés si loin que souvenirs.
Les Tigres si lointains qu’ils en sont doux aux bras d’Assur
Et les chariots trébuchants aux fêtes par l’azur,
Planez par les fanaux plus rouges.
Les allégresses, ô sœurs si pâles, s’appellent et meurent
Et la ronde a passé qui recommence et meurt.
Plus lointains les fanaux plus rouges. »

Écoutez refleurir les violes
Les nappes blanches retomberont
En pans légers, en lins striés, en bandelettes,
Et ces frissons aux nuits de fêtes.

« Les cimes viridantes, les acuminantes cimes
Et ruisselèrent les casques et les étendards
Et le lointain fugace où souffrit le Khalife.


Les étendards nobles d’étoiles volent aux mêlées grondantes
Et s’offre et s’estompe, oh tes rues bleues et tes bazars et ces ifs.

Des pourpres et des ivoires de la chimère et rouge
La fleur éternelle, rose des fronts penchés.
En vain dans l’inutile sillage les arbres ébranchés ;
Dans la coupe où l’oubli mêle aromates et pierreries
Pense les jubilés laudatifs de la chimère
Et les lèvres et ses lèvres
Et l’écharpe convolutante aux nuées orfévrées ;
À ces tapis se sont agenouillés les genoux priants du Khalife.
Les mandores évocatrices ont dit. »

Ah maudite l’heure initiale des départs
Et l’or aux souks et les caresses aux felouques.

Et ces frissons aux soirs de fête.

III

Aux rivages jamais abordés
Des plaintes lamentantes et félines,
Des voix chuchotantes passent fiancées.

Des cygnes annonciateurs
Et des grèves roulées en pâleurs.
Et des tombes distantes et des langueurs féminines.

Et de pâles interrogateurs
Vers les môles prolongés d’abymes
Et les cieux et les cimes.

Du silence convalescent ; finie la vague parole.
Le bruit des mers s’écoute et se rêve
Et les cerveaux se sont penchés.
Plus de signe ; tout est contraste et lignes.
Et que se dire :


Les légendes périmées
Les musiques désenlacées
Et les entrelacs pâlis :
Les filandières des arabesques
Au loin des temps s’en sont allées.

Sourires sans paroles aux larmes riveraines
Inconsolé de l’espace aggravé
Et souffrances de similaires malheurs
Malheurs on ne sait où, ni d’où quelles douleurs
Souffrances aux mondes loin
Aux mondes effarés du peut-être.
Être est si loin de ceux qui gardent le silence.

Eux perdus dans le fixe
Et quelle balance
Immobile de l’immuable en leurs yeux.
« Toi dont les traits sont moins durs que les miens
Et plus frêle t’irradie
Et pourquoi coupe et fleur et cristalline
Dans tes plaintes sanglotantes et félines
Et d’où ?

Elles, quand s’afflige en verticales qui se foncent, le soleil.
« Pourquoi seules !


Pourpres banderoles
Où retirez-vous, vers quel fixe
Vos muettes consolations.
Étirements, affaissements, ô normes,
Quel fleur d’inconnu fane inutile aux reposoirs de nos soirs
Où frémit et languit une attente d’espérance vaine.

Aux rivages jamais abordés
Aux grèves roulées en pâleurs

« Plus de simulacres dont nous sommes les reflets.
Plus de fêtes anciennes et vaines ;
Ô mers câlinantes et susurrantes, mousses consolatrices
Accueillez nos repos des temps accumulés
Pesants de partout, et d’où ?
Nuages accueillez les regards de nos yeux sérieux
Et soyez le mirage et le miroir
Et le vaisseau des volontés condamnées
Hélas de si loin, et si longtemps et de partout
Et d’où.

Plus d’immuable et plus de fixe.
Mémoires restez captives
Revenez aux porches de nos yeux
Attentes vaines des désirs curieux
Restez captives. »


Aux rivages jamais abordés
Des souffrances perpétuées de calme
Au pâle soleil attiédi
Le long du bruit de mers déferlantes et félines.

IV

Tes fêtes dans la ville, à ces soirs illuminés de fêtes
Le thyrse des musiques à notre rêve à deux,
Soirs, musiques, mirages décevants de durée calme
Où sombrent les présents dans les passés voulus lointains :
Ah, c’est l’ombre dispersée.

Dans la foule aux mains séparées, sais-tu revoir
L’unique rythme de nos doubles pas
Et mon regard enregistreur des courbes de ta face,
De ta face, non plus semblable depuis notre rêve à deux
À tes soirs si ternes vers les sommeils sans calme,
À tes soirs, sais-tu revoir ?

Ce timbre de ta voix parlant l’éternelle lutte
Ô chère enténébrée des proches ombres,
Point fixe, à tout regret, des cycliques volutes.

Dans ses mineurs argentins, sons de luth surhumain
Je t’entends aux jours.

Ton miroir, éternelle agonie.
Ce serait vers toi que les pâles génies
Ceux d’où tombent les fleurs qui balancent et se bercent
Les fleurs immémoriales qu’on ne respire plus
Descendent mains calmantes et mentent un jour de plus
Aux philtres du moi qui se résigne
Aux sois défunts
Aux tristes, de n’avoir su vivre en leurs lèvres
Jetant les parures sans parfums
Ô rêve à deux, défunt.

Aux soirs illunés, aux soirs illuminés,
Nous mêlâmes nos chagrins de vivre
Survivance désemparée.
Hune d’où revoir les lointains
Les lointains glacés des givres du vivre —
Chairs emparées, mains séparées,
À jamais d’un non social séparées.
Et plus que l’ennui de vivre.

C’était ton front, la ligne blanche dans l’Infini
Et tes masques l’heure des levers d’âmes infinies ;


Ta bouche sertissait l’absence et l’envolée.
Loin des bruits et des joies à plus vivaces envolées ;

Tes yeux luisaient violets dans l’ombre de la route,
De la route sans issues ni voies, la bonne route ;

Ton corps qui s’appendait à mon bras, la conscience
De n’être, parmi ces simulacres, seul de ma conscience.

Église d’un jour, l’hosannah des sens, la faim des mystères
À tes pieds d’un jour venaient s’enquérir vers tes mystères.

Hypothétique palais, hors mes erreurs du passé,
Pourquoi t’es-tu drapée des méfiances de tes passés ?

À ton moment, pourquoi mes lèvres acharnées
De ce naguère, ah combien dans l’ossuaire, sous des mains décharnées

De ce naguère, monotone redite, rythme identique,
Pourquoi pour moi, le sens et le frisson de l’abîme.