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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Intermède

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 68-90).

INTERMÈDE

Ah ! que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent !

Arthur Rimbaud.

L’évocatoire sorcellerie des hasards suscite les similitudes.

Le souvenir vibre empenné de douleur ; la vision, la même des identiques, flue dans les clairs et les ombres. Le cordeau des rues, l’apaisement des places et des squares évoquent. Les souffrances de la mémoire s’exacerbent aux similitudes.

Vers le passé, vers le lointain, vaguement murmure le désir présent ; les chimères s’éploient aux tavernes ; et la basse de l’harmonique développement de l’ambulant hasard, les sourires et les timbres effacés d’un autre cycle ; le semblable éveil à semblables êtres différemment étiquetés seulement.

Et sans chercher l’issue du labyrinthe, où somnambule la pauvre âme, revivre les perpétuelles renaissances, les perpétuels éveils des appétences, les menteuses renaissances.

I

Vos cheveux sont passés dans les ors aux montagnes,
Et vous, dont je me suis exilé, mes chers bagnes,
Dans mon esprit vos parcs, revenez nonchalante.

De la tour, regardant poudroyer les chemins
Par où je dois venir, caresses plein les mains,
Es-tu debout, pensant s’exiler les allantes.

J’ai de la douleur
Au travers du cœur,
Des chœurs sont assoupis aux traînes de son sexe.

Descendant le perron assombri de mon âme,
Bruit enchaîné qui souffre un sourd fracas de lames
Le souvenir du rêve ancien bruit et lève.


Parterre des fleurs larges aux subtils poisons
Où s’engouffrent des vols d’instincts aux pâmoisons,
Les essaims vont dormant sous les arbres de rêve.

Les hantantes liqueurs
Des philtres de ces cœurs !
Miroirs, perpétuez vos infinis convexes.

II

Des ésotériques printemps
Que vêtira l’âme future
Des diseurs de bonne aventure,
N’en parlez plus, la chose est morte,

Mais il est par delà les portes,
De roses vibrantes cohortes.
Parlez, demi-sommeils d’antan !

Ce sera rose et bleu sans doute.
Ô la triste et triste aventure !
Ô sourire, oh se souvenir
Des lointains crus sans avenir
Et des chimériques redoutes
Des diseurs de bonne aventure !


Le vin sera plus rose aux lointaines Cythères,
Ce sera rose et bleu, pomponné, plus jadis,
Les chagrins s’en iront vers les soirs où s’enterre
L’avatar formaliste et doux des Amadis
Et l’on s’amusera delà les bonnes portes.

III

Les rondes, les raisins, les roses !
Les curieux sont venus aussi
Pour se trouver si bien ici,
Les rondes, les raisins, les roses.

La cité d’or et de lointains
Si fabuleuse d’astrologues
De médailles et d’analogues,
La cité d’or des temps éteints…

Et puis se soucier des choses
Des lointains, des teints, des pantins !


,

IV

Timbres oubliés, Timbres morts perdus.
Pas d’une autre glissant à la rue,
Chansons d’amour et vols de grues
Dans d’improbables firmaments,

Les futurs sont à vous, puisque le vent emporte
Vers des cieux, et des lunes, et des flores
Vos petits frissons que nul ne peut clore
Votre âme a glissé sous les lourdes portes
Vers d’imaginaires Lahores.

Timbres oubliés des charmants jardins,
Timbres argentins des Thulés lointains,
Timbres violets des voix consolantes
Épandant graves les bénédictions,
Timbres bleus des péris aux féeries,
Timbres d’or des mongoles orfèvreries
Et vieil or des vieilles nations !…

V

Ô mon rêve mi-clos, berce-moi vers ta bouche,
Et tes bras, et tes bras, satin, nacre et satin,
Voici que le désir embouche
Les trompettes d’or des triomphants matins
Vers les graals aux parvis d’aurores
Vers les graals dont tu décores
Les lents palais de rêves aux offices matutins.

Gloire à tes pas futurs résonnant sur les dalles
À la clarté mythologique des salles.
Ô mon rêve mi-clos, berce-toi, berce-moi
Vers des clartés à toi, de toi, qui soient ma loi.
De ces plaintifs et tristes moi
Mène le troupeau doux vers l’arabesque égale
De ta suprématrice loi.

VI

Chair d’ambre, clarté dense,
Frisson qui danse
Étirant l’éternel appel
Et voltant dans l’irréel,
Vers les confins du baiser tu t’élances.

Cycle et volute
En trilles de flûte
Vers des paradis pleins de nus inconnus
Forme vestale
En ton ombre s’étale
Le tapis d’Orient des Édens continus.

Prunelles en rêve, torse en les soleils,
Immuable coucher de soleil aux toisons,
Voici venir jamais la chanson aux moissons,


Les chars sont demeurés dans le fixe appareil
Et dorment les Jasons aux blanches floraisons
Des illusions aux rais de soleil.

Et l’ombre épaissira ta nuit continuée,
Regard, clarté, frisson, disparaissez au voile,
Ah ! sont clos les volets de la défunte étoile,
Laisse flotter l’oubli et l’opaque nuée.

VII

Et sur la place en fêtes, en fleurs, en femmes —
Caresses, envolez vos troubles lents.
Des aveux galants ondulaient aux femmes —
Caresses, neigez des infinis blancs.

Sur la place en fête, ô roses d’aurore —
Roses, pâlissez aux gouffres des temps —
Les aveux s’ornaient des baisers qu’irrore
Le chœur étiolé des frissons des temps.
Roses, pâlissez, tout fuit et c’est l’ombre.

Chœur étiolé des années sonnées —
Caresses, passez vers les odeurs mortes,
Caresses, neigez ; tout fuit, et c’est l’ombre —
Le morne soleil d’heures surannées
S’enfuit aux banquises de ses mers mortes,
C’est la place en deuil aux caresses d’ombre.

VIII

Fantôme irraisonné, j’ai passé par la ville.
Amas des chairs, amas des fleurs, et toutes elles,
Avec des sons lointains d’orgues et cris d’oiselles,
Mon corps s’en allait vague aux rumeurs de la ville.

Treillis de rose et blanc, et gemmes de la chair,
Vos gammes déroulaient aux asphaltes si chers
Le relent des présents, des divans et des chairs.

Où vont les pas trop mous ? Lointaine est l’avenue
Les parcs mystérieux et languides où se pare
L’image qui s’entoure de toison d’or et pare
Le château qui s’endort aux rosées tard venues.

Hilarantes et déchirantes, gemmes et gammes, partez
Où s’écoule le flot hagard et pailleté d’apartés !
Insoucieux fantôme et si vague j’allais par la ville.

IX

Se penchant vers les dahlias,
Des paons cabraient des rosaces lunaires,
L’assouplissement des branches vénère
Son pâle visage aux mourants dahlias.

Elle écoute au loin les brèves musiques
Nuit claire aux ramures d’accords,
Et la lassitude a bercé son corps
Au rythme odorant des pures musiques.

Les paons ont dressé la rampe ocellée
Pour la descente de ses yeux vers le tapis
De choses et de sens
Qui va vers l’horizon, parure vermiculée
De son corps alangui.
En l’âme se tapit
Le flou désir molli de récits et d’encens.

X

Parc du silence, opacité
Mortelle cécité du soi,
Vers les boudoirs tendus de soie
Volète sa sincérité.

Tout à l’heure, c’était sonorant le bal
Puis, large, la vague aux nappes liliales,
Et l’assourdissement de langueurs filiales,
Et les discrets appels déments du triomphal

Parc du silence où tout est clos,
Un trille lent volète aux cimes,
S’énamourent les purs azymes
De l’âme : argentins discrets tintent déjà grelots,
Course somnambulique aux abîmes.

XI

Perdu dans le regret d’on ne sait quel vécu —
Il susurre en la ville un son d’inexpiable —
Et lassé sous ce morne soleil mal convaincu
De sa nécessité d’apôtre d’or potable.

Si frêles dans les soirs, si mornes dans les laines.
Villes qui dormez vos ruines à ces lacs,
Sabbats figés d’écarlates aux entrelacs
Des vitraux éclaboussés d’amour pur et de haines
Remémorez les fictives scènes.

Sous le lourd faix du temps voûtez les épaules —
C’était aux soirs envoûtés le crime inoubliable.
Depuis, les pieds au feu, un manteau de pôles.


Et passez, et passez sous la lourde relique
Relique au crâne, aux yeux, aux mains
Et puis passez
Aux sempiternels demains
Monotones rongeurs d’éternelle réplique.

Dites-nous vos entités,
Vos blafardes déités.
Vos robustes mentent leur obscurité.
Et puis passez, souffrez, évoquez et mentez.

XII

Très lents, — où aller
Placides, — que faire
Et l’orgueil confère
Un rythme en allé

Boire et puis disparaître aux remous
Résonner et disparaître en cycles mous
Courir vers la fin seule de la faim
Dormir enfin.

Et le rêve si gris de simples ambitions
Et de vous humbles possessions
Mirages d’orages.

Et tout est tranquille aux plus reculés
Des ramages, et d’inutiles forages
En des sois éculés.

XIII

Le mirage trompeur du toi que tu devais —
Regards aux boulevards et sourires aux lacs
Emmitouflé de tes lacs
Terne je m’en vais.

Ton sourire élargi fut le leurre
Et les fleurs
Ont paré vainement les ors de ton heure

Tes rythmes vernis par des mages mercenaires —
Tes yeux, ta bouche, ta voix
Sans cesse s’exonère
En un vague aparté d’un merveilleux pavois.


Et tes reins et tes seins
Et ta lèvre et la fièvre
Tout est mièvre, tout est vain.

Et je me débats des ébats
De ta norme difforme.

XIV

Chère apparence viens aux couchants illuminés ;
Veux-tu mieux des matins albes et calmes
Les soirs et les matins ont des calmes rosâtres
Les eaux ont des manteaux de cristal irisé
Et des rythmes de calmes palmes
Et l’air évoque de calmes musiques de pâtres.

Viens sous des tendelets aux fleuves souriants
Aux lilas pâlis des nuits d’Orient
Aux glauques étendues à falbalas d’argent
À l’oasis des baisers urgents
Seulement vit le voile aux seuls Orients.

Quel que soit le spectacle et quelle que soit la rame
Et quelle que soit la voix qui s’affame et brame,


L’oublié du lointain des jours chatouille et serre,
Le lotos de l’oubli s’est fané dans mes serres.

Cependant tu m’aimais à jamais ?

Adieu pour jamais.

XV

L’éphémère idole, au frisson du printemps
Sentant des renouveaux éclore,
Se guêpa de satins si lointains et d’antan…
Roses exilés des flores !

Le jardin rima ses branches de lilas ;
Aux murs, des roses trémières ;
La terre étala, pour fêter les las,
Des divans vert lumière ;

Des rires ailés peuplèrent le jardin
Souriant des caresses brèves,
Des oiseaux joyeux, jaunes, incarnadins,
Vibrèrent aux ciels de rêve.