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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Mélopées

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 58-67).

MÉLOPÉES

L’accalmie s’impose morne et monotone.

Pénible, le sommeil de l’idée. Les souvenirs glissent au bleuâtre lointain, si frêles, appâlis, mélancoliques.

Le théâtre on ne sait où ; les figurines, dans une triste apothéose, passent, ploient, virent à l’oubli.

Les forces perdues, l’indulgence est venue, et la recherche de minutes inoubliables de silence, hantées de douceur et de douleur, consolatrices en la mémoire.

I

Je veux, dans le lointain mat et crépusculaire
Du souvenir, figer l'image que j’aimais,
Que mon hiver s’imprègne aux ciels des jolis Mais !
Et toi qui traversas mon rêve, ô tutélaire,
Dont j’abdiquais jadis les lèvres pour jamais,

Reparais au palais noir de la conscience.
Tes cheveux, les rivaux du soleil ; ô le roux
Infini qui s’étend et balance, courroux
Des blonds exaspérés ; mon rêve se fiance
Au passé, livre enclos, très loin sous les verrous.

Son regard était doux ; pourquoi pas de colère ?
L’oubli, vieil écraseur des roses et des lys,
Verse l’apaisement dans les corps démolis,
Et la soif des regrets cuisants se désaltère. —
Regard bleuté, subtil fauteur de lents délits,


Son âme — Apparaissez, lunaire défiance,
Accoudements pensifs, triste sérénité ;
Altesse drape-toi dans ta dualité
De remords qui s’estompe et de câline enfance,
Débris où fleurissait de la divinité.

Sa voix ne chantait rien qui s’ébatte ou qui rie ;
Un peu de deuil seyait aux modes musicaux,
Et les notes glissaient leurs rayons amicaux
Comme vers une vague et lointaine Uranie,
Vert des pâles azurs, des obscurs idéaux.

Plus jamais je ne veux venir à ta caresse,
Masque pâle et poli d’anciennes douleurs,
Nimbé de lente grâce et choyé des couleurs,
Profond de souvenirs : boucle d’or en la tresse
Des vieux mois abolis et des présents malheurs.

Ô baiser qui s’en va vers l’ombre, et s’y marie !
Passe dans l’horizon que j’exige, frisson,
Mon esprit enlisé s’écoute à ta chanson,
Le fleuve aux quais souffrants du calme te charrie
Dans les douceurs, les songes morts et les tessons.

II

Voix de l’heure implacable et lente,
Timbre avertisseur du passé,
Encore un lourd pan de l’attente
Qui s’est écroulé fracassé !

Rien dans le passé, rien dans le présent…
Encore un lambeau d’heure évanouie !
Un semblant qui s’en va des printemps séduisants,
Un départ, un baiser, une note inouïe.

Oh ! le douloureux infini
Qu’on ressent aux larges musiques,
Au delà des clartés plastiques
Dans les puissances mécaniques,
Oh ! le douloureux infini !


Rien dans l’avenir, rien dans le remords !
Le cœur est blessé d’une flèche étrange ;
Un désir pénétrant et vague qui le mord,
Concert inexpliqué qu’un accroc bref dérange !

III

Reine des lys, blonde oublieuse, enfant perdu,
La cime des regrets dans les brumes se dore
Et s’adore
En un réveil des fronts appâlis et fondus.

Les midis jaunes et les soirs blancs.
Tristesse morne des pensers lents,
Chaloupe oscillante aux palans
Appareille vers plus troublant.

Se fondre ! ô souvenir des lys, âcres délices !
Plus de fanal au port, et plus d’espoir aux lices :
Enterrez plus profond les vases des prémices !

IV

Chantonne lentement et très bas… mon cœur pleure…
Tristement, doucement, plaque l’accord mineur ;
Il fait froid, il pâlit quelque chose dans l’heure…
Un vague très blafard étreint l’âpre sonneur.
Arrête-toi… c’est bien… mais ta voix est si basse ?…
Trouves-tu pas qu’il sourd comme un épais sanglot ?
Chantonne lentement, dans les notes il passe
Vrillante, l’âcreté d’un malheur inéclos.

Encore ! la chanson s’alanguit… mon cœur pleure ;
Des noirs accumulés estompent les flambeaux.
Ce parfum trop puissant et douloureux qu’il meure
Chant si lourd à l’alcôve ainsi qu’en un tombeau.
D’où donc ce frisselis d’émoi qui me pénètre,
D’où très mesurément, ce rythme mou d’andante ?
Il circule là-bas, aux blancheurs des fenêtres,
De bougeuses moiteurs, des ailes succédantes.


Assez ! laisse expirer la chanson… mon cœur pleure ;
Un bistre rampe autour des clartés. Solennel
Le silence est monté lentement, il apeure
Les bruits familiers du vague perennel.
Abandonne… que sons et que parfums se taisent !
Rythme mélancolique et poignant !… Oh ! douleur,
Tout est sourd, et grisâtre et s’en va I — Parenthèse,
Ouvres-tu l’infini d’un éternel malheur ?…

V

Fin des bruits : des pâleurs, de la paix, de la nuit.
(Ô Miroir argentant les roses éphémères
Dans leur cadre d’ébène ou d’or) et les chimères
Mentent les doux lointains d’un lac profond qui luit.

Des pas, et le frisson qui s’amuse aux feuillures.
Deux à deux, lentement, puis fini de glisser ;
La Lune souriante et chaste et sans allures,
Ô les Léthés ! trouver plus sombre et plus passé.

Un peu de blond, un peu de bleu, un peu de blanc.
Pourras-tu revenir dans les soirs, ô vieux rêve !
L’Andante qui finit pare l’albe de l’Ève ;
Un peu de son, des parfums doux et du très lent.

Venez, les dispersés, pleurer les inécloses !
Et remords de partout et de toujours, nattez
Autour des morts de fleurs, pour leurs métempsychoses
Des corbeilles de fer avec vos vérités.