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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Thème et variations

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 41-57).

THÈME ET VARIATIONS

Dans la haute chambre, sous les plafonds qu’enfumèrent les lourds lampadaires de cuivre, dans la haute chambre, hermétique du pli droit et métallique des lourds rideaux.

La fumée dévale, gyre, se tord en ellipses, se strie et s’enfuit ; au minuit répercuté de timbres de cuivre, les rêves flottent lourds aux flocons de la fumée.

Une nuit dans la mémoire jonchée des morts de tentaculaires systèmes, et des humus d’anciennes, identiques, ravivées souffrances ; et sont écroulées les futiles pagodes en hâte construites des souvenirs ; démâtées les barques au long des fleuves innavigables des vingt ans.

Des ruines qui s’en vont, pente implacable vers le gouffre. Sourd la mémoire des légendes, et ce qui fut l’orchestrale buée se précise et motif arrivé à l’instant de vivre, clame.

Bon chevalier, la route est sombre,
Crains-tu donc pas les assassins ?
Les âmes mortes, par essaims,
Larmoyant aux émois de l’ombre ?

Non, je vais ferme en mes desseins
Contre tous périls qu’on dénombre.

Au ciel noir, curieux les yeux
Jaloux des esprits de colère.
Et Notre-Dame tutélaire
Aux temps s’exila des aïeux.

Je vais sous la droite de Dieu
Et vers lui mon pas s’accélère.

Les crucifix masquent des trous
Où gisent si seuls des squelettes.
Contre Satan point d’amulettes,
Il ouvre l’éternel écrou.


Ils sont si clairs les cheveux roux
De Jésus dont je suis en quête.

Bon écuyer, c’est le chemin.
J’irai, sous la douceur de lune,
Vers la colline où j’en crois une
Qui m’indiquerait de la main

Où secourir les lendemains
Des humains navrés de fortune.

I

L’ambre des toisons d’or, le bleu de ses azurs,
L’asyle de son geste affirmateur, les murs
Que sa parole lente, aux traînes de musique,
Bâtit des bons écrins des âmes extatiques
Autour des volontés de gravir les destins,
Et la liqueur d’espoir qu’elle verse aux festins…
Verrai-je, sous ses pieds, blancs ainsi crépuscules,
S’enfuir les cauchemars des lourdes canicules ?

II

Vers l’ondoyance des futurs
À travers les sveltes mâtures
Souffle le vent des aventures
Vers de très brefs déléaturs.
Ô vieux cœur souffrant tordu de tortures !

Dans l’épaisseur de nuit, sans caresse et sans lune,
Chanson du matelot haut perché dans la hune
Berce les longs regrets qui vont pleurer vers une.

Les Atlantides, les Thulés,
Par là-bas, vagues cérulées
Vous les gardez aux envolées
Des goëlands. Les beaux jubilés
Attendant les purs près des mausolées !


Berce le long regret qui crie à son allure
À la comète éparse en lente chevelure,
À ses pieds, sur la vague, en verdâtres moulures.

Se chauffer comme un bon lézard
Aux rythmes raffinés des arts ;
Sur les doux divans des hasards,
Dominer son rêve en César ;
Finir loin des ports en jonque bizarre.

III

Fatalités, âmes trop brèves,
Efforts perdus,
Fruits corrompus
Par des tares vieilles de rêves.

L’angoisse se réveille aux mornes solitudes ;
Les pins sur les coteaux ont d’âpres attitudes ;
Dans le vent qui se traîne, oh ! quelles lassitudes !…

Ce fut aux fièvres dernières.
Un souvenir
Sans avenir,
Sans étoiles en ses tanières.

Des bruits incohérents s’échappent du faubourg,
Ils dansent en banals enclos et si balourds…
Un train vibre, éloigné, comme un lointain tambour.


Où sont vos âmes des années ?
Les volontés,
Chevaux domptés,
Bronze aux fontaines surannées ?

Encore un jour, encore une heure, oh ! plus de temps, oh ! plus d’espace.
Les vieux ont dit pourtant, que jeunesse se passe ;
Demain, premiers rayons, une nouvelle impasse.

IV

As-tu cherché le pourquoi des émois sans cause ?
C’est dès longtemps,
Tout est bien fini qui nous cause
Les remembrances des printemps.

Et pourquoi ce fut-il une autre ?
Cœurs trépassés
Sur qui le vieux regret se vautre
Ont parfois des langueurs d*un incertain passé !

V

Ô Madone si triste au vitrail,
Écuyer regretteur du bercail,
Je vais, vous regardant en mon âme,
Belle aux douces lèvres de corail.

Écuyer, qui souffrez en votre âme
Des douces plaintes de quelque dame,
Du chagrin des manoirs effacés,
Restez oisif, exempt de mon blâme.

Douceur de mes songes effacés.
Madone, diras-tu c’est assez
À mes misères des longues routes ;
Dans quelques ans, je serai cassé.


N’ayant pas rencontré sur ma route,
Au pas lent de mon cheval qui broute,
La lutte qui devra me grandir,
Sous le lourd cauchemar des déroutes,

J’irai, moment déçu d’avenir,
Et tout mortel pourra me honnir.

VI

Pardonnez à la chair qui pleure
Aussi à l’âme qui se ment :
Tout n’est que leurre.
Pauvre moment
Que celui où nous savons l’heure.

Et plaignez le pauvre dément.
Toute rose a parfum qui fleure ;
Tout est aimant,
Cause majeure,
Et tout finit par les tourments.

VII

Du vieux livre, il se détachait
Un beau bruit d’armes guerrières.
Un doux visage se cachait
Aux bois ornés de clairières.

Des châteaux longeaient l’avenue
Si pâles, si tristes qu’au fond
On savait des malheurs profonds,
Misères par force venues.

Il semblait aux portes de fer
Du sang et des pleurs ; aux tourelles
Des regards implorants offerts
Aux bons combattants d’amour d’elles.

Et ces laideurs de par la vie
Mufles d’omnipotents bourreaux
Masques douloureux aux barreaux
Des fenêtres ! Oh comédie !

VIII

Si maigre et si bonasse rosse
Qui m’as mené par les chemins,
Côtoyant l’orgueil des carrosses,
Rêvant aux foins pour les demains,

Ton allure si lente est le pas de mon rêve,
Désir devenu doux d’avoir tant attendu,
Et méprisant l’orgueil du geste, et si la brève
Joie d’avoir triomphé dans un moment perdu.

Un jour, hélas prochain, nous trouverons le calme :
Calme et silence ! Ô nuit profonde du tombeau
Et l’éternel errant que nous fûmes, la palme
Du repos mérité peut croître à nos caveaux.

IX

Très loin, toujours plus loin, loin de la face humaine
Près des fleuves, par-là,
Près de la lune amène,
Des mineurs que voilà
Le blanc chagrin qui va de son masque à la terre
Et que la nuit scella
Près d’une eau qui s’endort au fond d*un vieux cratère.

Exil, lointain exil ! Trouveras-tu jamais
Les palais tapissés de clair où veut ton rêve
Dans des fraîcheurs, des puretés, musiques brèves,
Revêtir un oubli profond du : Je t’aimais.

Inconnu, bel inconnu, naviguer sur tes rivières
Entre tes quais de marbre noir,
Toucher du doigt les vieux lierres

De tes nostalgiques manoirs,
Revivre, blanc et dolent, renouvelé des lumières
Mentales de tes renouveaux
Dans l’aise indicible et la chaste paix des purs cerveaux.

En avant ! L’heure tarde et les cheveux sont gris ;
Leurs pauvres corps loués au vague des tavernes,
Les trésors si gardés d’amour dans leurs cavernes,
Nous ne les verrons plus ; suivons mon cœur épris.

X

J’attends dans l’heure obscure et calme
L’héroïne, fanal de mes rêves fiévreux,
Qui vient sous les frissons approbateurs des palmes
Du fond des lents Édens des pays ténébreux.

Arrivant vers le clair, et du haut des collines.
Dans une ascension des extases de roses,
D’un doigt levé chassant les nuages moroses
Dans le blanc lumineux des lampes sibyllines,

Elle laisse flotter aux quatre coins des vents
Cachant les sombres pics du loin, sa chevelure ;
Et les oiseaux de nuit sont enfuis. Au levant.
C’est toujours un décor plus albe et sans allure.

Demeure bien longtemps au faîte de mon âme
cortège épandu des blancheurs de ses voiles
À genoux sous ton front splendide d’une étoile
Que j’admire longtemps, imaginaire dame !