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Promenade autour de la Grande Bretagne/Bingen

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QUELQUES DETAILS


SUR LA CAMPAGNE


Du DUC de BRUNSWICK.



BINGEN


Générale Disposition des Emigrés avant la Première Campagne.


QUE je vous félicite, mon cher ami, du sage parti que vous avez pris, de vous retirer aussitôt après notre retour, un peu hâtif sur terre etrangere ; vous avez évité par là, les scénes déchirantes et cruelles qu’ont occasionées la trop fameuse retraite du Duc de Brunswick, et qui en sont les conséquences naturélles ; vous n’avez pas vu vos amis, vos parens manquans de tout, réduits au déséspoir, sans aucun moyen en votre pouvoir de rendre leur situation moins pénible ; enfin, vouz n’avez pas été témoin de ce licentiement fatal, qui acheva d’arracher le bandeau de dessus nos yeux, et nous montra tout à coup l’abyme qui devait nous engloutir.

Vous jouissiez déjà, sur une terre protéctrice, de la paix, et même de la consolation d’avoir des nouvelles de vos parens, et n’aviez d’autres inquiétudes que pour les amis que vous aviez laissé derrière vous. Vous avez souffert les miseres de cette fameuse campagne, mais elles étaient soutenues par l’éspérance de les voire bientôt finies, et par un réste d’égard que les Prussiens et Autrichiens avaient conservé pour nous, mais qui disparut bien vite après que notre sort eut été déterminé. Vous m’engagez à vous dire, ce que je suis devenu depuis que je pris congé de vous a Coblence, et que nous fumes séparés, peut-être pour toujours. Vous me demandez aussi quelques détails sur cette campagne dont vous étiez un acteur aussi bien que moi. Quoique je ne sois pas beaucoup plus savant que vous sur cet article, je vous dirai, en vrai soldat, ce qui s’est passé autour de mon poste ; là tout c’est ce dont je suis certain. Quant aux manœuvres, aux batailles, &c. à dire le vrai, je ne les ai connu qu’à mon retour dans le monde, en lisant les papiers qui en parlaient, et n’en n’avais pas eu la moindre idée jusqu’alors ; je suivais le torrent, pansais mon cheval, le sellais, le bridais, le pourvoyais de fourage, faisais cuire ma soupe, dormais sur la paille, souvent à la belle étoile, et m’imaginais tous les jours que je verrais le lendemain les clochers de Paris. Cependant je suis du moins en état de vous raconter la marche que fit le corps d’armée, dont je faisais partie ; et c’est, ce dont, pour vous satisfaire, je vais tacher de me rappeller, depuis le moment ou nous reçûmes ordre de marcher à Bingen, après avoir quitté Coblence, pour faire place à nos bons amis les Prussiens. Lorsqu’après les différentes manœuvres des cours de Vienne et de Prusse, les Carmagnoles constitutionels declarerent la guerre, imaginant naturéllement qu’il y avait une monde de soldats dans le Brabant, nous en fumes enchantés à Coblence, parce que disions nous, rien ne pouvait arriver plus à propos pour forcer l’Empereur et le Roi de Prusse a se déclarer, et à ne plus nous tenir en suspens ; et quoique nous aprimes bientôt qu’il n’y avait pas quinze mille hommes dans le Brabant, et qu’on n’avait pris aucune précaution pour la guerre, nous ne laissames pas de nous réjouir, par l’assurance que nous ne tarderions pas à voir des préparatifs formidables. Effectivement, nous laissames bientôt sans beaucoup de regret Coblence entre les mains de Prussiens ; et le Roy de Prusse établit son camp auprès de la ville, où perdit en revues, fêtes, &c. a peu près trois semaines d’un tems precieux.

Dans ce même tems l’Empereur se faisait couronner a Francfort, le Roy de Prusse s’y rendit, puis assista à la fête que l’Electeur de Mayence donna à ce sujet, où il fut remarqué que sept souverains d’Allemagne le trouvèrent. Grand nombre d’emigrés furent témoins des réjouissances, je n’y étais pas, j’étais malade a Bingen. Le Roy de Prusse retourna a Coblence par la riviere, et débarqua à Bingen, où les princes, freres du Roy, le reçurent, et lui donnerent un déjeuner splendide, ce qui quelques jours après leur occasiona, m’a-t-on dit, une petite leçon de sa majésté ; car ils furent invités a diner par le Roy de Prusse, et ne trouvèrent à sa table que d’énormes pièces de viande rôties ou bouillies. A son retour au bateau, la maison militaire des princes lui fut présenté, et ensuite il nous passa en revue sur le bord de la riviere. Il fut alors très honnête, parut très satisfait, et faisait des complimens à tout le monde. C’est un grand homme de près de six pieds quatre pouces, mesures Anglaise, où cinq pieds dix a onze pouces, mesure Française. Nous trouvâmes qu’il representait fort bien, et avait un air très militaire ; et comme souvent l’apparence décide, cela ne servit pas peu à augmenter nos esperances ; et nous éxprimames notre joie par des cris de “Vive le Roy” souvent répétés. Cependant nous éprouvâmes dans ce tems quelques déboires, qui firent faire des refléxions à un certain nombre. Il nous fut defendu de visiter le camp du Roy de Prusse, sous des peines séveres, sans la permission par écrit des princes. Cela sembla une précaution naturélle, et passa ; mais le maniféste du Duc de Brunswick, non pas tant par sa hauteur et ses menaces, (quoique plusieurs ossassent dire, qu’il vallait mieux faire ce qu’il disait, que de dire ce qu’il ne voulait pas faire) ; que par cette afféctation de ne pas dire un mot des princes, ni de la noblésse emigrée, deplut à quelques personnes. On osait se dire, que le Duc de Brunswick n’avait pas le droit d’imposer loix à la France, et que si ce droit devait appartenir à quelqu’un, c’était aux princes, freres du Roy, à la noblésse qui étaient sortis du royaume, dans l’intention de soutenir la cause du Roy, de le tirer de captivité, et de le venger s’il était nécéssaire. Quélques personnes, prévoyant les funestes conséquences, que dans le cas de succes, (comme personne n’en doutait), pourraient survenir de notre jonction avec les Prussiens, ne voyaient qu’avec répugnance l’instant d’entrer en France avec eux.

Cependant, comme l’enthousiasme général était extrême, et que c’eut même été en quelque façon une éspéce de crime de douter du succès, cela passa encore, et on répandit des explications telles qu’on les jugea propres ; on fit entendre, que c’etait du consentement des princes, qu’ils avaient été omis, et on attendit avec impatience l’ordre de marcher.

Enfin, cet ordre tant désiré arriva. On avait auparavant séparé les émigrés en trois corps d’armée : sept mille, parmi lesquels il pourait y avoir trois mille gentilshommes, devaient servir sous les ordres du Duc de Bourbon, et agir de concert avéc les Autrichiens en Flandre. A peu peu pres huit a neuf mille hommes, dont près de quatre mille gentilshommes ou officiers, étaient attachés au Prince de Condé, son pere, qui a l’arrivée des princes freres du Roy, avaient quitté Bingen, ou il avait eu son quartier général depuis pres d’un an, et s’était retiré a Creutznach, petite ville a cinq lieues de la, ou il attendait les ordres pour se rendre sur les bords du Rhin, du coté de Strasbourg, et devait être sous les ordres du Prince de Hohenlohe. Les corps de Princes freres du Roy, pouvait être de quinze a seize mille hommes, dont près de dix mille gentilshommes ; c’est avéc eux que marchaient les gardes du corps, et tous les corps nobles, qu’une politique mal entendue avait fait reformer avant la Revolution, et qu’ils avaient rétablis a Coblence. Ainsi la plus grande force de leur armée consistait dans la cavalerie, qui, éxcépté les gardes du Roy et des Princes, avec le regiment de Royal Allemand, était monté a ses dépens sur d’assez beaux chevaux, dont la nourriture même, ne coûtait rien aux princes ; éxcépté Royal Allemand, elle était entièrement composé de gentilshommes, et pouvait monter a huit mille.

Je ne dois pas omettre de parler de l’enthousiasme général que causa l’arrivée du Duc de Brunswick. La maison des princes était remplie d’officiers et de gentilshommes émigrés. Lorsqu’il leur fit sa première visite ; chacun s’empressait pour tacher de le voir, et se retirait satisfait après l’avoir vu. C’est un petit homme d’apeupres 70 ans. La peu de cheveux qui lui réstent sont entièrement blancs ; sa contenance parut extremement plaisante, a la noblesse, ce qui joint a son âge, a sa reputation, et a quelques mots flatteurs qui lui échaperent, éleverent nos espérances au plus haut dégrès.

On assure que s’addréssant au Maréchal de Broglio, et au Prince de Condé, il leur dit, “Je viens de passer sur des terres couvertes de vos exploits ;" faisant allusion a Berghen près Francfort, ou le Maréchal de Broglio l’avait défait vingt cinq ans avant, et a un autre endroit, ou il avait reçu un echéc du Prince de Condé. Cette noble modéstie lui attira l’hommage de ses vainqueurs, et le montra en effet digne de prétendre a l’honneur de les commander.

Son panégyrique était dans toutes les bouches ; et je me rapelle entre autres une piece de vers, ou la coalition des rois de l’Europe contre l’anarchie de France, était comparé a celle des rois Grecs sous Agamemnon, mais pour un sujet beaucoup plus légitime ; car le motif des Grecs était de venger le ridicule affront que la femme d’un d’eux avait fait a son mari ; ici c’était pour délivrer un roy malheureux, prisonnier de la plus basse classe de ses sujets rébélles, lui rendre son sceptre et sa couronne, fair cèsser les angoisses de sa famille, châtier et obliger les mutins a se taire, en rendant la force aux lois, assurer les propriétés, et forcer les brigands, qui s’en étaient saisis, a les rendre a leur légitimes propriétaires. Le poëte, par ces expressions, n’était que l’interprete dés sentimens générals ; et telles étaient les motifs honorables qui animaient le grand nombre de la noblesse émigre, et qui avaient engagé la plupart des propriétaires a laisser ce qu’ils avaient de plus cher a la merci de leur ennemis, pour se ranger sous les étendards de la royauté. Il est aisé de dire a présent, Mais les propriétaires auraient dû rester chez eux, auraient dû faire ceci, faire cela, et mille autres choses que le manque de succes authorise les oisifs a dire. Les préjugés, quels qu’ils soient ne sont pas des raisons. Si les princes eussent reussi dans leur enterprise, les mêmes gens les approuveraient peutetre. On conviendra du-moins, que par la division que les novateurs avaient semés entre tous les ordres de l’etat, et particulièrement entre les riches et les pauvres, sous le nom d’Aristocrates, il ne restait aux proprietaires, et aux officiers bien intentionés pour la cause du Roy, que ce qu’ils étaient capable de faire par eux mêmes, car il eut été aussi ridicule qu’impossible au seigneur, de proposer au paysan de le suivre a la guerre, tandis que par les nouveaux principes, le paysan s’imaginait avoir droit au partage de ses terres, et ne se serait pas armé avec lui pour les lui conserver.

Le seul tort semble, d’avoir choisi le point de rassemblement hors du royaume, et de s’être uni avec les puissances étrangères pour attaquer la France. Mais ce n’est point a l’individu isolé a faire la loi, ni a un simple soldat a dire a son general, qu’il aime mieux être la, qu’ici. Si la faute est a quelqu’un, ce n’est certainement pas aux émigrés, qui ont eu beaucoup plus de peine a se rendre a Coblence, qui si le rendez vous eut été dans l’interieur ; et de plus, je suis certain, qu’un grand nombre dégoûté par ces différentes circomstances, n’avait pas grand desir de se rendre a Coblence ; mais l’opinion générale en faveur de l’émigration, était si forte, que ceux qui restaient chez eux étaient en quelques façons notés d’infamie, et que même les patriotes leur témoignaient hautement le mépris qu’ils avaient pour eux. Je sais, que dans La Vendée ou Bas Poitou, ou les gentilshommes vivaient plus communément sur leur terres, plusieurs ne montrèrent pas beaucoup d’alacrité a quitter leur famille ; le préjugé était si fort, que les femmes, les filles, et les sœurs de ceux qui étaient partis, non seulement ne les recevaient pas dans leur societé, mais encore firent l’affront a quelques uns d’eux, de leur envoyer une quenouille.

Je demande aux personnes qui connoissent les préjugés de valeur qui animaient la noblesse Francaise, s’il eut été possible de rester tranquille spectateur de la dispute, après ce petit avertissement.

On pourra demander avec juste raison, comment pour sauver le Roy, les émigrés se rendaient a cent cinquante lieues de sa personne ?

Cette objection ne serait point frivole. Si l’on ne se rappelloit que les différentes entreprises que l’on avait formé près de la personne de Roy avaient toutes echouées par son manque de résolution et de fermeté, au moment de l’éxecution. Ainsi cette fameuse journée, dans le mois de Février 1791, ou trois mille gentilshommes armés de poignards et de pistolets, avaient trouvés le moyen de s’introduire dans les rangs des Gardes Nationales, et dans le chateau de Thuilleries, dont un mot du Roy les aurait rendus maître, ce qui aurait certainement produit un changement considerable, car l’assemblée était dans le même enclos, et une demi-heure pouvait en voir dispersés, les membres et tout leur echaffaudage philosophique renversé de fond en comble.

Le moment était pressant ; les Gardes Nationales étaient joints de si près, qu’il leur eut été difficile de faire usage de leurs fusils ; tandis que les armes courtes des autres auraient pu faire dans deux minutes un ravage éffroyable.

La Fayette sentit de quelle importance il était de détourner le danger, il profita du moment d’irresolution, ou l’on n’attendait que le signal, pour commencer l’attaque ; il vint trouver le Roy, l’intimida, ou le persuada ; l’obligea de paraître aux fenêtres, et là s’addressant aux gentilshommes : "Messieurs, ”leur dit il, “je suis tres senfible au zéle et a l’interet que ma noblesse conserve pour moi, mais dans ce moment vos services ne me sont d’aucune utilité. Les bruits que l’on a fait courir sur mon manque de sureté, et sur ma détention n’étant nullement fondé ; c’est pourquoi je vous prie, je vous ordonne même, de venir déposer vos armes a mes pieds ; je les garderai en dépôt, et vous pouvez être certain que vous serez respecté par les Gardes Nationalles, et ne serez jamais inquiété pour ce que vous avez fait aujourdhui.”

En consequence, un panier fut placé au pieds du Roy, chacun y vint jetter ses armes ; et quand cela fut fait, La Fayette s’en empara, et les Gardes Nationales qui n’avaient plus rien a craindre, chasserent les gentilshommes a coups de pieds, et de crosse de fusil.

L’arrestation du Roy a Varênnes, même, n’eut lieu que par sa volonté, et, si j’ose le dire, sa faiblesse ; le Roi avait été reconnu, dit-on, a Ste. Menehoult, que ce soit ce motif, ou non, qui en conduisit le maître de poste a Varennes, c’est ce qui est très difficile a décider, quoiqu’il s’en soit vanté bien hautement. Il est sûr tout fois, que le Roy après Ste Ménehoult, passa a Clermont, sur le minuit ; que le Comte de Damas, colonel du régiment de Monsieur dragon, lui parla, et lui offrit un détachment de son corps, que le Roy refusa, crainte d’être découvert disait-il ; qu’il arriva a Varennes sans mal encontre, et que si les chevaux qui devaient fournir le relais suivant, eussent été a l’entrée de la ville, au lieu d’être a la sortie, le Roy eut passé sans la moindre difficulté : Ne les trouvant point ou on les attendait, le postillon refusa d’aller plus loin ; les trois gardes du corps qui accompagnaient le Roy, et lui même, étourdi de ce retard funéste, imprudement lui offrirent cent louis pour aller a l’autre relais. Effrayé de la proposition, le postillon, s’imaginant qu’il serait pendu s’il allait plus loin, refusa encore plus obstinément de marcher ; et je tiens de quelqu’un, a qui il a dit quelque tems après, que si au lieu de lui offrir cent louis, on lui eut offert un écu de six francs, ou de lui brûler la cervelle, il n’eut pas fait la moindre difficulté. Le postillon, dis-je effrayé, cria, A l’aristocrate qui veut s’échapper ; deux sentinelles de la Garde Nationale, qui étaient a quelque distance, s’approchèrent, et pointerent leur fusils sur la voiture, menaçant de tirer dessus si l’on bougeait, quoique leur fusils ne fussent point chargés : bientôt un grand nombre de gens s’assemblerent, et dans ce moment arriva le maitre de porte de Ste. Menehoult, qui voyant le tumulte se joignit aux autres, et renversa une charette sur le pont. Il était alors jour, et l’on proposa au Roy d’aller a la municipalité fair viser son passeport, ce a quoi il consentit. Les cinquante hussards, qui devaient protéger le passage d’un trésor, disait-on, pour les troupes des garnisons frontières, que l’on avait dit devoir passer a minuit, après avoir attendu jusqu’a deux heures du matin, avaient reçu ordre de se retirer, le commandant imaginant naturellement que le passage était retardé. Mais averti par le bruit, ils se rendirent sur la place qui était couverte de monde ; et le commandant approchant du carosse, s’informa du Roy s’il desirait passer, comme son ordre le portait. Le Roy repondit, qu’il voulait aller a l’hotel de ville, et défendit de rien faire pour favoriser son passage. L’officier se retira, et le Roy fut a l’hotel de ville, ou étant bientôt reconnu, il fut arrêté.

En attendant que les préparatifs necessaires pour son retour fussent faits, on sonna le tocsin, et on amena des campagnes un nombre prodigieux de paysans armés. Quand ils furent arrivés, les municipaux se presenterent a la porte de la chambre du Roy. La Reine, qui savait que le Marquis de Bouillé, instruit de ce malheur, ne tarderait pas a arriver avec des forces considerables, les retint quel que temps leur disant, que sa Majésté très fatigué de son voyage et de cette derniere scêne, reposait, et qu’elle les conjurait de ne pas troubler son sommeil. Les municipaux étaient indécis, et probablement se seraient retirés, lorsque le Roy s’écria, “Eh non, non ; puisqu’il le faut absolument, autant vaut a present que dans une heure,” et les présenta lui même aux municipaux. Sa voiture étant prête, ils l’y conduisirent, et elle partit sur le champ, escorté par un nombre prodigieux, qui s’augmentait a chaque pas. Le Marquis de Bouillé, ayant apris la nouvelle de cette catastrophe, se mit a la tête du regiment de Royal Allemand, vint au grand galop de plus de vingt milles, et arriva a peu près une heure après le départ du Roy. Les chevaux très fatigués, et les hommes harrassés, et très déplus d’avoir essuyé une si grande fatigue sans en connaitre la raison ; le Marquis de Rouillé voyant que tout était perdu, passa la riviere a la nage, s’en fut au grand galop, et joignit les frontières. Voila ce que je puis assurer, avoir entendu dire a Coblence au Comte d’Artois, par un des gardes du corps qui accompagnait le Roy ; et ce a quoi le Comte d’Artois ne fit d’autre observation, qu’en lui demandant, en hésitant, “Quoi, parmi vous, il n’y avait pas un pistolet, un couteau de chasse, dans une telle occasion la vie d’un homme n’est rien, si le postillon eut été culbuté, un de vous l’eut remplacé, et eut été plus loin.” Il lui repondit, que le Roy leur avait absolument défendu d’avoir aucunes armes quelconques avec eux ; et que les seuls dont ils enflent pu ufer, étaient une paire de pistolets de poche que le Roy avait dans sa possession, mais qu’il ne voulut pas leur confier.

Si donc toutes les entreprises près la personne du Roy avaient échoués, et ceux qui les avaient formés, ou en étaient les acteurs, avaient été abandonnés au moment de l’éxecution, et livrés aux outrages et aux affronts de la populace, il ne reliait a la noblesse d’autre parti, que celui de se réunir autour de l’étendard royal, et c’etait a Coblence qu’il était déployé.

J’ai cru qu’il était a propos de donner ces petits détails ; ils peuvent servir de réponse a de belles reflexions faites après coup, et peutêtre empecher quelques impertinences d’être dites ; si elles produisent ce bon éffet, je me croirai bien récompensé de ma peine, et sans plus perdre de temps je vais entrer en matière.