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Promenade autour de la Grande Bretagne/Marche en France

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MARCHE EN FRANCE.


LES ordres pour le départ nous furent délivrés quelques jours avant, afin que chacun rejoignit son corps, et fit tous les petits préparatifs nécéssaires. De ce moment je vous declare que vous m’aller trouver bien égoiste ; je vais laisser les réfléxions generalles, aussi bien que le fil de l’histoire, pour ne suivre que le corps ou j’étais attaché. Quoique mes camarades du regiment de Monsieur fussent avec le Prince de Condé, cependant ayant été son page, avant d’être officier dans son regiment, je fus placé dans ses gardes aussi bien que trois autres de mes camarades, qui l’avaient été aussi.

Nos étendards ne nous furent délivrés que deux jours avant de marcher, et furent bénis dans l’eglise de notre village par notre aumônier, qui était un chanoine noble, de Toul en Lorraine, et qui dans l’ardeur de son zèle pour la bonne cause, s’etant rendu a Coblence, et desirant être employé, avait obtenu avec deux de ses freres une place dans les gardes de Monsieur. Mais quelqu’un ayant fait savoir qu’il était prêtre, on lui ota le mousqueton, et on le fit notre chapelain.

On employa ces deux ou trois jours, a faire réparer les selles, a se fournir de couverture, et surtout a éguiser les sabres, on ne s’imaginait pas qu’ils devaient a peine sortir du foureau. Quand enfin au 15 Août, vint le moment de partir, la plus grande joie se manifesta, des cris de Vive le Roy se firent entendre de tous cotés, et lorsque sur les cinq heures du matin nous découvrîmes aux premières rayons du soleil, la ville de Bingen, de dessus le pont, nous fimes a l’Allemagne des adieux, que nous croyions éternels.

Nous joignîmes bientôt la grand colonne de la cavalerie, et nous separames pour prendre nos logemens. Nous rencontrâmes aussi la pauvre infanterie, fatiguée, couverte de poussiere, devorée des rayons du soleil. Les accents de la joye seuls se faisaient entendre ; et lors qu’au soir, harrassé de fatigue, il nous fallait oublier nos besoins, pour ne penser qu’a ceux de notre cheval, aller lui chercher des fourages, le faire boire, l’etriller, jamais la moindre plainte n’echappa ; nous avions notre but devant les yeux, et ne nous en écartions pas ; couché sur quelques brins de paille, vingt ou trente dans la même grange, 0Il n’y entendait que des chansons joyeuses, exprimants nos desirs, ou nos sentimens sur les malheurs de la Famille Royalle. Je me rapélle de quelques unes, que je crois que vous ferez bien aise de voir, quoiqu’au fait elles n’ayent pas grand sens ; mais ce qui n’est pas bon a dire, comme vous savez, on le chante ; et chanté par un chorus de cent ou deux cent personnes, en poursuivant le chemin qui doit les conduire a ce qu’ils désirent, ne laissent pas de faire un grand effet. — En voici une :

  Vive Antoinette ;
Français vive Louis.
La blanche aigrétte
Du plus grand des Henris,
Nous promet la défaite
Des badauds de Paris.


Une autre disait :

De notre maitre
Chantons l’auguste sœur.
Dieu la fit naitre,
Dans ces temps de malheur,
Tout éxprès pour être
L’ange consolateur.


Et la fin de toutes ces chansons des cris de Vive le Roy. Nous marchâmes, sans nous arrêter, cinq jours de suite ; pendant lesquels il ne nous arriva rien de bien extraordinaire, et enfin nous arrivâmes a Treves, ou on nous fit reposer. A dire le vrai, nous en avions besoin ; la moitié de nos chevaux, chargé de notre lourde selle, notre port-manteau, et nous même, par la chaleur éxcéssive qu’il faisait, avaient été bléssés sur le garrot ; ce qui rendait quelques jours de repos absolument nécéssaire. L’infanterie campa pres de la ville, et nous fumes logé dans les villages aux environs, nos chevaux au piquet. Nous restames là dix a douze jours, pendant lesquels le Roy de Prusse passa en revue l’armée emigrée, et nous fit de grands complimens qui sont a peu près les derniers qu’il nous ait fait. Les hostilités étaient déjà commencé sur cétte frontière, et les Autrichiens s’étaient emparés de Sierque, petite ville sur la Mozelle ; et y avaient pris un grand cannon qu’ils avaient conduit a Trêves, ou on le voyait au milieu de la place publique.

Nous nous avançâmes bientôt plus près des frontières, et réstames encore dix a douze jours a quelques lieues de la France. Les gardes du Roy étaient campés, et nous fumes cantonnés dans un petit village sur le bord de la Mozelle, et n’eûmes d’autres désagrémens que l’ennui, et vers la fin, de manquer de provision. Un soir nous entendîmes quelques coups de canon, le lendemain nous apprimes que Longwi s’était rendu, et reçumes ordre d’aller en avant ; nous arrivames bientôt sur la frontière, et lorsque nous passames le ruisseau qui sépare l’Allemagne de la France, nous poussames de cris de Vive le Roy, et jurâmes de jamais ne repasser ce ruisseau fatal ; — et voila comme il ne faut jurer de rien.

Nous passames cette nuit au bivouac sur terre de France, près d’un village a deux lieues de Rodemach, dont les habitants avaient mis des cocardes de papier blancs a leur chapeaux, et un drap au clocher, a fin de nous recevoir convenablement ; le lendemain nous fumes nous poster derrière l’infanterie qui formait le blocus de Thionville. Nous y fumes campés et logés quatre par tente, assez mal a notre aise, nos cheveaux devant nous, et mouillés. — Il semblait qu’un nouveau déluge allait couvrir la terre. Comme la cavalerie dans un siege n’a rien a faire, j’occupai mon loisir a visiter mes amis qui étaient dans l’infanterie, et a suivre les opérations de ce siege, qui dans le fait ne sont pas ordinaires.

Les princes n’avaient que six mauvais canons, avéc lesquels on tiraillait sur la ville d’une distance prodigeuse ; les Autrichiens, un peu mieux montés, n’en avaient pas assez pour faire un siege en regle. Le fait est, que l’on s’imaginait que la ville se rendrait au premiers coups de canon ; et la reponse du général au princes, aussi bien que celle de la municipalité, semblaient le donner a penser. Le général prétendait que la garnison était composé de brave gens, qui ne pouvaient se rendre sur la simple menace ; en consequence de quoi pour tacher de le satisfaire, une nuit, on fit passer la riviere a quelque compagnie d’infanterie, avec deux pièces de canon, les quatre restans aux princes s’avancèrent près des ramparts, et les Autrichiens avec a peu près le même nombre d’un autre coté, commencèrent a tirer ensemble sur la ville. Comme elle ne tarda pas a répondre, cela fit un bruit de tous les diables ; et l’on m’a assuré, que sur les quatre heures du matin, le feu ayant pris a deux où trois maisons dans la ville, quelques bourgeois crierent de dessus les ramparts de cèsser le feu, et que la ville allait se rendre. C’était le moment de le continuer plus vivement que jamais, pour en voir les effets ; mais au contraire, on le fit cesser, et rien ne parut. Enfin quelques jours après, voyant qu’on serait obligé de faire un siege en regle, on demanda du canon a Luxembourg, et on en reçut quelques uns, mais trop peu. Ainsi toutes les operations le reduissaient quelques escaramouches en de la garnison, qui envoyait des détachemens fusiller les postes avancés.

Pres de Thionville, (a trois ou quatre milles), il y une montagne, qui domine toute la plaine ; c’était le poste des curieux : Je fus m’y placer une fois ou deux ; la garnison nous appellait le gens de la montagne ! De là on voyait en sureté les bombes, que, pour nous divertir, ils jettaient dans la plaine. Si un homme seul y paraissait, on lui en jettait une douzaine qui lui faisaient peu de mal ; ils nous en lancèrent aussi quelques unes, mais elles venaient mourir au pied de la montagne. J’avoue, que dans un coin recullé du bois, qui en couvre le sommet, me promenant avec un de mes camarades, je ne pus m’empêcher de soupirer bien amèrement, en songeant que deux ans ne s’étaient pas écoullés, depuis que j’avais été en garnison dans cette même ville, contre la quelle j’étais armé a present, tous les environs m’en étaient familiers, la place même ou j’étais ; avait été le théâtre de diversions très agréables. Les connaissances, les amis, avec lesquels je les avais pris, étaient enfermés dans la ville, avec leur famille, et j’étais armé contre eux. — Helas, me dit mon camarade, a qui je communiquai mes reflexions, le commandant de l’artillerie dans la place est mon frere !

Cependant le temps nous durait sous la tente, éxposés a la pluie, manquans souvent de pain, de bois, de fourage pour nos chevaux, on commençait a s’impatienter, et a murmurer, et cette politesse, pour laquelle les officiers Français étaient si renommés, avait déjà commencé a disparaitre. La misere que nous éprouvions nous aigrit les uns contre les autres ; a peine y eut-il quatre ordinaires qui resterent ensemble, chacun se sépara, et faisait sa soupe a part ; on ne se regardait que comme unis en passant, pour ne se plus revoir après peutêtre. En effet, nous étions tous de corps différents, et reunis seulement pour la campagne.

Apres quinze jours enfin, nous aprimes la prise de Verdun ; et la cavalerie reçut ordre de rejoindre immédiatement les Prussiens. Je puis assurer, que l’on était tèllement persuadé que l’ordre que nous reçûmes était pour marcher immédiatement sur Paris, que les compagnies nobles d’infanterie, qui devaient réster au siege de Thionville, furent tres mécontentes, et même envoyèrent une députation aux princes, demandant qu’on ne leur fit pas l’affront de les laisser derrière. Les princes eurent beaucoup de peine a des persuader, particulièrement les compagnies Bretonnes, qui se montrèrent très ardentes. Enfin pourtant, lorsqu’on les eut assuré que le roy de Prusse demandait la cavalerie, parce qu’il en en avait réellement besoin, ayant compté dessus celle des émigrés, n’en n’ayant amené que fort peu avec lui, et même désirait qu’elle se rendit a grandes journées près de lui, les choses s’arrangèrent, et nous reçûmes ordre de nous tenir prêts à partir pour le surlendemain. J’émployai ce temps a prendre congé de mes amis, et des mes parens, qui étaient dans l’infanterie. Helas ! j’imaginais que c’etait pour peu de tems. Eussai-je jamais du penser que je ne les verrais peutêtre plus ! Ils s’en fallait de beaucoup qu’ils en eussent l’idée ; car plusieurs d’entre eux me dirent, quoique nous nous reverrons dans peu de temps, cependant comme vraisemblablement vous verrez nos parents avant nous, donnez leur de nos nouvelles, dites leur dans quel état vous nous avez laissé, et que nous ne tarderons pas a vous suivre. J’acceptai très gravement toutes leurs commissions et leur compliments ; et si je ne les ai pas mis a execution, la faute en est aux Prussiens, qui n’ont pas voulu y consentir.

Enfin nous partimes deux heures avant le jour. Il semblait que les élémens allaient se confondre, je n’ai de ma vie vu un tel orage ; cependant il nous fallut sortir de nos tentes, séller et brider nos chevaux effrayes du tonnere, et de la pluie a verse qui les inondait. Pour éviter de passer près de Mets on nous fit prendre la traverse dans les montagnes du coté de Longwi, et en cinq jours de temps nous arrivâmes sous les murs de Verdun. Nous fumes cantonés dans les villages aux environs, et il nous fut défendu d’aller dans la ville sans une permission par écrit de notre commandant.

Le dégât occasioné par le court bombardement que Verdun avait éssuyé se reduisait a très peu de chose, et les habitans assez tranquilles n’étaient peutêtre pas fâchés d’avoir changé les patriotes pour les Prussiens, Autrichiens, et ses émigrés. Les boutiques étaient ouvertes, et remplis d’acheteurs. Les gens riches, émigrés de la ville, y étaient retournés ; l’éveque, les chanoines, tout le clergé avait repris ses fonctions ; en un mot, quoiqu’il s’en fallut de beaucoup que les Prussiens rendissent leur joug aimable, l’abondance régnait, et l’ésperance de voir les choses bientôt accomodées rendait la situation présente très supportable. Cependant, nous remarquâmes, que les Prussiens commençaient a jetter ouvertment le masque ; plusieurs émigrés furent maltraités dans la ville par leur caporaux et soldats, et ne purent obtenir justice.

C’était le temps des fruits ; mais quelques uns, les raisins particulièrement, n’étaient pas murs, et dans le temps de paix les magistrats de Mets, et des villes de ce pays, avaient été obligés de défendre aux paysans sous peine de confiscation, d’apporter a cette époque des melons au marché, pour prévenir les dyssenteries et autres maladies contagieuses qu’ils occasionaient parmi le peuple, qui les achetaient a bas prix, et s’en nourissaient, sans avoir le moyen d’en corriger les mauvaises qualités par quelque liqueur forte ; car le vin était assez cher, et l’on ne fabriquait presque point de bierre.

Les Prussiens venants d’un pays a qui la nature a refusé presque toutes sortes de fruits, et qui vraisemblablement voyaient des melons et des raisins pour la première fois, tombèrent dessus avec une avidité incroyable, et d’ailleurs dévorans comme a leur ordinaire toutes les choses grasses, qui leur tombaient sous les mains, ne tardèrent pas a se ressentir dans les plaines de la champagne, des excès qu’ils avaient commis près de Verdun, ou le Roy de Prusse et le Duc de Brunswick, jugerent a propos de les laisser douze a quinze jours a fin de donner le temps a Dumourier de joindre sa petite armée avec celle de Kellerman, et d’être certain que leurs soldats eussent gagné un germe de mort, qui ne tarda pas a se developer, lorsque par de longues marches, harrassés par des pluyes continuelles, ils manquèrent encore de vivres.

On faisait courir des bruits étranges parmi nous ; tantôt les patriotes entourés de toutes parts, ne pouvaient échapper ; tantôt ils avaient mis bas les armes, et le Roy venait en personne se mettre a la tête de la noblesse, &c.

Cependant le surlendemain d’une petite action ou les patriotes furent maltraités, on nous mit en mouvement ! quoique durant les sejours, les re flexions sombres ne nous laissaient pas tranquille sur notre paille, le moindre mouvement ranimait nos ésperances, et nous crûmes encore une fois marcher, sans autre délai, sur Paris. Malheureusement le second jour nous fumes arrêtés, et ne pûmes atteindre les villages qui nous étaient déstinés. La forêt d’Argonne était encore occupée par les Carmagnoles, on nous fit rebrousser chemin, et nous demeurâmes quatre jours dans un mauvais village du voisinage ; puis enfin partant a deux heures du matin, nous passames devant le beau chateau de Buzansay, et sans nous arrêter, qu’une heure, au milieu de la plaine, et sans prendre de rafraichissement, nous traversames cette redoutable forêt d’Argonne, ou les patriotes avaient coupés les arbres et en avaient couvert le chemin pour près de trois milles, ce que les chasseurs Prussiens eurent beaucoup de peine a nettoyer. Nous ne nous arrêtames qu’a minuit près Ste Marie, un village en Champagne, ou l’on nous fit passer la nuit au bivouac, sans donner a nos chevaux plus de trois livres de foin, et a nous même que quelques onces de pain au matin ; mais a dire vrai, chacun s’était pourvu, et avait quelques provisions dans sa poche.

Les princes eux mêmes passerent la nuit a la belle étoile, et on reçut ordre de faire autant de feux que possible. Nous en appercevions distinctement d’autres a quelques distances, et ne savions trop s’ils étaient amis, ou ennemis. Le lendemain, et surlendemain, on nous fit faire des marches et contremarches sans fin ; celles du premier jour n’eurent rien de remarquable, mais au second on fit avancer toute la cavalerie des émigrés, dans le plus grand ordre, sur deux colonnes, et on nous plaça couvert par un petit coteau, dans une immense plaine, dont la vue ne pouvait pas découvrir la fin. Tout semblait annoncer qu’une bataille allait se donner ; les équipages étaient rangés autour des moulins a vent, et gardés par quelque troupes. Les princes passerent dans nos rangs ; et je me rappelle parfaitement bien, avoir entendu le Comte d’Artois dire en passant dans la compagnie ou j’étais : « Enfin, Messieurs, c’est ce soir que nous les voyons, c’est ce soir que nos malheurs finissent. »

Jamais je n’oublierai le superbe coup d’œil que presentait huit a neuf mille homme de cavalerie, composé pour la plupart de la noblesse de France, montés a leur frais, attendant en silence et avec joie le moment de se signaler pour leur cause, et du succès duquel dépendait peutêtre pour jamais, leur propriétés, leur femmes, leur enfants, l’ancienne constitution de leur pays, la vie de leur roy, en un mot, leur bonheur futur, et tout ce qu’ils avaient de plus cher. Après quelques heures d’une attente inutile, la faim, et plus encore la crainte, de voir nos chevaux manquer de défaillance, au moment de l’action, commencèrent a agiter les ésprits : il y avait entre les deux colonnes, de l’avoine coupé ; on s’apprêtait a la donner aux chevaux ; mais on y plaça des sentinelles, et il fut défendu d’y toucher, de sorte que plusieurs allèrent au loin en chercher, au risque de trouver la troupe partie a leur retour ; on se partagea le peu de provision qu’on avait avec soi, et crainte de rien perdre, et pour avoir un meilleur cœur a l’ouvrage, on ne reserva rien, et l’on but jusqu’a la derniere goutte de liqueur que l’on pouvait avoir.

Enfin on apperçut quelques troupes a une grande distance ; un mouvement joyeux, engagea chacun a monter a cheval, dont nous fumes bientôt obligés de descendre ; c’était des Prussiens : et après dix a douze heures d’une attente très vive, la journée finit par nous cantonner au misérable village de la Croix en Champagne, qui avait été pillé par les Prussiens, parceque les paysans avaient, cherché a s’y deffendre ; ils s’étaient retirés dans les bois loin de la, et nous n’y trouvâmes que des femmes, qui d’abord dirent qu’elles n’avaient rien du tout, mais qui enfin, lorsqu’elles furent certaines qu’on payait, et meme qu’on payait bien, découvrirent leur cachette, qui furent bientôt consommé.

Il était curieux de voir comme chacun s’évertuait pour tacher de trouver des vivres pour lui et son cheval ; la jalousie qu’on en avait, et la crainte, qu’ils ne tombassent sous une autre dent affamée, les faisait toujours porter sur soi, ou être présent, quand le cheval mangeait : nous manquions pourtant de pain, quoique le bléd fut très commun, mais les patriotes avaient détruit les moulins en se retirant, ainsi il fallut se résoudre a aller en chercher au loin.

Une fois je fus d’un détachement qu’on envoya a une lieue de Chaalons, pour faire contribuer un village ; nos lignes étaient a quatre lieues de la ville, de sorte que les patriotes nous auraient pu enlever dans un moment ; aucune troupe n’y avait encore passé, les poules couraient dans les rues, et les maisons ne manquaient de rien. On fit d’abord quelque difficulté de nous le montrer, mais voyant qu’on leur mettait l’argent d’avance dans la main, ils n’en firent plus, et nous n’en eûmes que trop. Un maître d’école, voyant a notre façon d’agir, que nous étions de bons diables, nous dit, qu’il avait quelque bouteilles de bons vins, mais qu’il ne pouvait pas s’en défaire, a moins de tant ! nous convînmes du prix ; puis nous nous rendîmes dans sa maison, et devant nous, il creusa dans un gros tas de cendre, et en tira une douzaine d’excellent champagne. Je laisse a penser si après la misere que nous avions essuyé, jamais un aspect plus agréable pouvait s’offrir a nous ; toutes nos peines furent bientôt oubliées, et pour un rien nous aurions dansé. Nous retournâmes au cantonnement comme en triomphe, la selle entourée de poulets pendus par les pieds, de gros pains ronds percés dans le mileu et suspendus a une corde, des bouteilles de vin dans la musette du cheval, et dans nos poches ! un si heureux succes donna envie de l’essayer encore, mais les patriotes avaient été avertis, et l’on fut obligé de batailler, sans rien attraper, que des coups.