Aller au contenu

Richard Darlington/Acte II

La bibliothèque libre.
Richard Darlington
Œuvres d’Alexandre DumasMeline, Cans et cievol. 2 (p. 293-309).
◄  Acte I
Acte III  ►

ACTE DEUXIÈME.

JENNY.

PERSONNAGES

RICHARD DARLINGTON.

JENNY.

MAWBRAY.

LE MARQUIS DA SYLVA.

TOMPSON.

UN INCONNU.

LES SECRÉTAIRES D’ÉTAT AUX DÉPARTEMENTS
DE LA GUERRE ET DE L’INTÉRIEUR
.

LE PREMIER LORD DE L’AMIRAUTÉ.

DEUX MINISTRES.

UN HUISSIER.

BETTY.


Séparateur


TROISIÈME TABLEAU.
Le théâtre représente une tribune de la chambre des Communes, réservée aux ministres et aux lords : l’ouverture du fond laisse apercevoir la chambre : le président est au fauteuil ; lui seul est visible ; une rumeur annonce que les bancs des députés, que l’on ne peut voir, sont remplis. — Au commencement de l’acte, un rideau empêche les spectateurs d’apercevoir la chambre des Communes. Mawbray, appuyé contre le mur, regarde par le rideau entr’ouvert. On entend sourdement la voix de Richard.

Scène PREMIÈRE.

MAWBRAY, UN HUISSIER.
L’HUISSIER, regardant Mawbray.

Bien ! il a été fidèle à ma recommandation, et n’a pas tiré les rideaux. Avec ses habits de voyage, je ne me serais pas soucié qu’on le vît dans la tribune des ministres ; mais il ne peut plus rester ici. Sir Richard est à la fin de son discours ; aussitôt qu’il aura terminé, il va se faire un mouvement d’entrée et de sortie dans la chambre, il faut que je l’avertisse… Monsieur !

MAWBRAY, presque sans se déranger.

Je suis à vous.

L’HUISSIER.

Il paraît qu’il a un grand intérêt au bill que l’on discute ; c’est quelque fournisseur. — (On entend dans la chambre des applaudissements et des bravos.) Sir Richard a fini. — (Voyant Mawbray applaudir.) Eh bien ! eh bien ! que faites-vous donc là ? Est-ce que l’on peut applaudir dans les tribunes ?

MAWBRAY.

Ah ! pardon, je n’ai pu résister à l’entraînement général : j’étais subjugué par une raison si éloquente… Quel talent ! quelle énergie !

L’HUISSIER.

C’est un homme qui depuis trois ans nous a fait bien du tort !

(L’huissier va au fond et regarde par une porte latérale.)
MAWBRAY.

Pauvre Jenny, que n’était-elle là ! elle eût oublié son abandon pendant quelques instants peut-être ; car les plaisirs de l’amour-propre ne cicatrisent pas pour longtemps les blessures du cœur ! Il faut que je parle à Richard, et…

L’HUISSIER, revenant en scène.

On vient de ce côté…

MAWBRAY.

Je me retire, — (Lui donnant une pièce d’argent.) et vous renouvelle mes remercîments.

L’HUISSIER.

Passez par ce couloir. — (Il le reconduit, et le voyant s’éloigner :) Il était temps !


Scène II.

LE MARQUIS DA SYLVA, TOMPSON ; le marquis entre le premier.
TOMPSON, s’arrêtant avec une hésitation affectée.

Sans nous en apercevoir, nous avons quitté la salle des conférences. Si l’honorable sir Richard avait besoin de moi…

LE MARQUIS.

Ici nous n’en continuerons que mieux notre conversation.

TOMPSON, avec distraction.

Ne désirez-vous pas suivre la séance ?

LE MARQUIS.

Soit. — (À l’huissier.) Ouvrez les rideaux et laissez-nous.

(L’huissier obéit et se retire ; ils s’assoient devant la balustre de la loge, et la conversation continue.)
LE MARQUIS.

Vous voyez que nos bancs sont encore bien garnis.

(On entend un murmure sourd et une voix dont on ne peut distinguer les paroles.)
TOMPSON.

Oui… Mais l’assemblée est bien distraite… C’est un des vôtres qui a la parole.

LE MARQUIS, après avoir écouté.

Ce qu’il dit est très-juste.

(Tumulte dans la chambre.)
TOMPSON.

Tout le monde n’est pas de votre avis…

(On voit le speaker faire des efforts pour rétablir l’ordre ; d’une voix qui couvre le tumulte, il crie : La parole est au premier lord de la trésorerie.)
LA VOIX DE RICHARD.

Et moi, je demande d’avance la parole pour réfuter ce que va dire le ministre.

LE MARQUIS, se levant précipitamment.

Il n’y a pas moyen d’y tenir.

TOMPSON, fermant les rideaux.

Prenez donc garde, monsieur le marquis, on vous voit.

LE MARQUIS.

C’est une guerre à mort !

TOMPSON.

Je vous l’avais dit : qui ne l’a pas pour lui, l’a contre lui ; et qui l’a contre lui, succombe.

LE MARQUIS.

Jouons cartes sur table, monsieur Tompson.

TOMPSON.

Volontiers, puisque vous mettez tous les enjeux.

LE MARQUIS.

Je veux ne pas perdre ma fortune ; le ministère veut rester, et le roi veut garder un ministère choisi dans la plus haute aristocratie.

TOMPSON.

Je comprends le vouloir ; maintenant le pouvoir…

LE MARQUIS.

Nous pouvons tout cela, pourvu que sir Richard nous prête son appui.

TOMPSON.

Vous vous y êtes pris trop tard.

LE MARQUIS.

Une entrevue peut tout réparer.

TOMPSON.

Avec qui ?

LE MARQUIS.

Avec sir Richard.

TOMPSON.

Et vous croyez qu’on peut marchander et vendre une conscience ? Vous vous trompez, monsieur le marquis ; vous échoueriez même avec un homme corrompu, et sir Richard est encore à corrompre.

LE MARQUIS.

Mais cette affaire ne peut-elle se traiter par votre intermédiaire, monsieur Tompson ?

TOMPSON.

Quelque confiance qu’ait en moi sir Richard, je crois encore de cette manière la chose impossible.

LE MARQUIS.

Que faire alors ?

TOMPSON.

Supposez sir Richard caché quelque part, ignorant que vous connaissez sa présence en cet endroit, et vous, comme si vous ne parliez que pour moi seul, haussant la voix et me faisant connaître quelle espèce d’avantage sir Richard trouverait à quitter le parti qu’il a embrassé. Si ces offres ne paraissent pas à sir Richard en harmonie avec le sacrifice, il se retire, me fait un signe de tête : ses commettants n’ont pas même à lui reprocher une entrevue avec un défenseur du pouvoir… Si, au contraire, les offres lui agréent, un autre signe de tête suffit ; tout se prépare dans le silence ; et lorsqu’il est compromis enfin, il tient déjà, de manière à ce qu’on ne puisse le lui reprendre, le dédommagement de ce qu’il a perdu.

LE MARQUIS.

Cela est faisable.

TOMPSON.

Plutôt aujourd’hui que demain.

LE MARQUIS.

Il faut que le moyen trouvé par vous soit mis en œuvre aujourd’hui même.

TOMPSON.

Où ?

LE MARQUIS, ouvrant la porte d’un cabinet.

Ce cabinet sera-t-il favorable ?

TOMPSON.

Une simple cloison sépare…

LE MARQUIS.

Il entendra tout.

TOMPSON.

Et vous offrirez tout.

LE MARQUIS.

Oui.

TOMPSON.

Pas un mot qui puisse faire croire que vous connaissez sa présence ?

LE MARQUIS.

Je serai sur mes gardes.

TOMPSON.

Permettez que j’appelle l’huissier…

LE MARQUIS.

Faites.

TOMPSON, écrivant quelques lignes au crayon.

Allez remettre ce billet à sir Richard.

LE MARQUIS.

Il va venir ?

TOMPSON.

Dans un instant.

LE MARQUIS.

Monsieur Tompson, il y a dans ce portefeuille 1000 livres sterling, en échange d’une bonne nouvelle ; j’aurai l’honneur de vous en offrir un second qui en contiendra huit mille.

TOMPSON.

Monsieur le marquis, mes intérêts sont trop liés avec ceux de sir Richard pour que je n’emploie pas toute l’influence que j’ai sur lui à le déterminer.

(Le marquis Da Sylva sort.)


Scène III.

TOMPSON, seul.

Depuis trois ans, tout a été fait pour la gloire, pour la vanité de Richard. Aujourd’hui va commencer ma récompense. — (Il va aux rideaux qu’il entr’ouvre.) L’huissier remet mon billet… il le lit… il vient… — (Revenant en scène.) Maître, tu peux venir… Il débute dans l’accomplissement de ses promesses, le serviteur qui s’est donné à toi pour recueillir les miettes de ta fortune.


Scène IV.

RICHARD, TOMPSON.
TOMPSON.

Je vous ai fait demander.

RICHARD.

Pourquoi ? quelque message de ma femme, sans doute ?

TOMPSON.

Comment ?

RICHARD.

En venant ici, j’ai cru voir, au bout de la galerie, la figure de Mawbray.

TOMPSON.

Je crois que vous vous êtes trompé.

RICHARD.

Eh bien ! alors, que me veux-tu ?

TOMPSON.

Une démarche du ministère.

RICHARD.

Ah ! les superbes s’humilient !

TOMPSON.

Ils sont à vos pieds.

RICHARD.

Il est trop tard.

TOMPSON.

Comment cela ?

RICHARD.

Demain le bill sera refusé.

TOMPSON.

Eh bien !

RICHARD.

Après-demain le ministère tombe.

TOMPSON.

Que vous en reviendra-t-il ?

RICHARD.

Rien.

TOMPSON.

Le roi protège trop l’aristocratie pour choisir un nouveau ministère dans l’opposition de la chambre des Communes.

RICHARD.

Je le sais.

TOMPSON.

Vous n’avez donc aucune chance ?

RICHARD.

Aucune.

TOMPSON.

Tandis que si le ministère reste…

RICHARD.

Eh bien !

TOMPSON.

Je vous l’ai dit, il est à vos pieds.

RICHARD.

Je ne le relèverai pas.

TOMPSON.

Vous avez tort.

RICHARD.

Et mon mandat !

TOMPSON.

Et votre ambition !

RICHARD.

Je suis arrivé à mon but.

TOMPSON.

Je croyais que vous n’en étiez qu’à moitié chemin.

RICHARD.

J’ai réfléchi.

TOMPSON.

Et votre position…

RICHARD.

Me paraît glorieuse ; je me la suis faite par mon talent.

TOMPSON.

Et vous la soutenez par votre fortune. Deux années de séjour à Londres avaient déjà épuisé vos deux mille livres sterling ; la mort du docteur, puis celle de sa femme, sont venues soutenir d’un raisonnable héritage le luxe que vous êtes forcé de déployer. Aujourd’hui votre plus beau diamant est la franchise des lettres que vous vendez à votre banquier ; la retraite où vit mistress Richard vous permet, je le sais, de réunir toutes vos ressources sur un seul point, mais elles ne sont pas inépuisables. Vous avez encore trois ans à siéger sur les bancs de la chambre, et elles ne vous conduiront pas jusque-là. Que vous restera-t-il alors ?

RICHARD.

Une pauvreté honorable.

TOMPSON.

Qui vous ôtera jusqu’à la chance d’être réélu.

RICHARD.

Le peuple n’oubliera pas son défenseur.

TOMPSON.

Votre triomphe vous enivre, sir Richard ; le peuple, il n’est puissant que pour renverser : c’est un élément ; sa colère peut effrayer un ministre, je le conçois ; sa faveur ne peut rassurer un ambitieux ; l’or, les places, sont-ils entre ses mains ? peut-il en disposer sans l’approbation d’un ministre ? Le peuple ! mourez pour le défendre, et il n’aura pas même le droit de vous donner une pierre à Westminster. Parlons franc, sir Richard.

RICHARD.

Bref, qui est venu près de vous ?

TOMPSON.

Da Sylva.

RICHARD.

Ce banquier portugais ?

TOMPSON.

Oui.

RICHARD.

Quel intérêt prend-il au ministère ?

TOMPSON.

Il a avancé des sommes considérables…

RICHARD.

Qu’il craint de perdre…

TOMPSON.

Si le ministère tombe.

RICHARD.

Et il vient en son nom…

TOMPSON.

Proposer un traité de paix.

RICHARD.

Ses conditions ?

TOMPSON.

Vous les entendrez de sa proche bouche.

RICHARD.

Vous avez pu lui laisser concevoir l’espérance que je consentirais même à un pourparler ? Niais !

TOMPSON.

Je mériterais ce nom, sir Richard, si j’avais fait ce que vous dites.

RICHARD.

Comment avez-vous donc arrangé cela ?

TOMPSON.

De manière à ce que rien ne puisse vous compromettre.

RICHARD.

Voyons.

TOMPSON.

C’est à moi que les propositions vont être faites.

RICHARD.

Où ?

TOMPSON.

Ici.

RICHARD.

Et je serai…

TOMPSON, ouvrant le cabinet.

Là.

RICHARD.

Sans qu’on le sache ?

TOMPSON.

Cela va sans dire.

RICHARD.

Pas mal. Et Da Sylva… ?

TOMPSON.

Va revenir.

RICHARD.

Il vient donc de vous quitter ?

TOMPSON.

Au moment où je vous ai fait remettre ce billet.

RICHARD.

Et surtout pas un mot qui puisse me compromettre : n’avancez rien en mon nom ; que je reste libre de tout refuser, tout démentir, tout nier.

(Richard se dirige vers le cabinet ; Tompson va ouvrir la porte pour appeler l’huissier : Mawbray se présente à lui.)
TOMPSON.

Assurément !… Monsieur Mawbray !

RICHARD, s’arrêtant.

Mawbray !


Scène V.

RICHARD, MAWBRAY, TOMPSON.
MAWBRAY.

Pourquoi donc ma présence a-t-elle l’air de t’embarrasser, Richard ?

RICHARD.

Vous vous trompez, monsieur Mawbray.

MAWBRAY.

J’aurais dû peut-être, pour l’entretenir du motif qui m’amène à Londres, t’attendre chez toi ; mais ayant appris que tu étais à la chambre, j’ai voulu l’entendre, je t’ai entendu.

RICHARD, se rapprochant de lui.

Eh bien !

MAWBRAY.

Sais-tu rien de plus beau qu’un député incorruptible, que l’élu de la nation, qui la défend comme un enfant sa mère, dont la voix est toujours prête à flétrir le pouvoir, si le pouvoir tente quelque chose contre ses intérêts et son honneur : qui use sa fortune privée pour la fortune de tous, et la session finie, sort pauvre et nu de la chambre comme un lutteur de l’arène ! Le peuple, Richard… le peuple n’a ni or ni emplois à donner, mais il dresse ses autels et il y place ses dieux.

RICHARD.

Cette gloire est belle, n’est-ce pas ?

MAWBRAY.

Cette gloire est la tienne ; celle que ton génie s’était promise, celle que je n’osais rêver pour toi, celle qui aujourd’hui aurait payé de son adoption le vertueux Grey, car il aurait pu dire en mourant : J’ai donné à mon pays un grand citoyen.

(Tandis que Richard écoute Mawbray avec attention et plaisir, Tompson s’approche et lui dit à mi-voix.)
TOMPSON.

On attend.

RICHARD.

Qu’on attende !

MAWBRAY.

Oui, Richard, au nom de tous ceux qui t’aiment, qui t’ont aimé, je le déclare : comme homme public, tu as dépassé toutes leurs espérances, mais tu les a trompées comme fils, comme époux.

RICHARD.

Comment ?

MAWBRAY.

Tu as oublié ces prières de ton père adoptif, de sa femme, quand ils t’ont donné leur fille ; quand ils t’ont dit : Rends notre Jenny heureuse !

RICHARD.

Ne faites point un crime à mon cœur du tort des circonstances.

MAWBRAY.

Nous ne sommes plus au temps où les talents dispensaient des vertus, et la gloire va bien avec la bonté.

RICHARD.

Il y a de l’amertume dans vos éloges.

MAWBRAY.

C’est que je viens te parler au nom d’une femme souffrante, d’une femme que tu as reléguée loin de toi, dans une obscure campagne ; qui depuis trois ans gémit de ton absence, sans autre consolateur qu’un vieillard qui pleure avec elle.

RICHARD.

Et pourquoi tant de larmes ?

MAWBRAY.

Parce qu’elle t’aime, parce que tu la dédaignes.

RICHARD.

Peut-elle le croire ?

MAWBRAY.

Elle le croit, et pourtant elle ignore un cruel affront.

RICHARD.

Que voulez-vous dire ?

MAWBRAY.

Chez toi, lorsque je me suis présenté, les domestiques, dans leurs réponses, m’ont fait voir que tu cachais ici ton mariage ; et pour t’épargner le blâme de tes valets, il m’a fallu, par de honteux détours, expliquer mes premières paroles, et m’associer à ton mensonge.

RICHARD, à Tompson.

Ne m’avez-vous pas dit que l’on m’attendait ?

TOMPSON.

Depuis longtemps.

MAWBRAY.

Je vous gêne, Richard.

RICHARD.

Je suis obligé d’entrer là ; des affaires importantes.

TOMPSON, va parler à l’huissier.

Prévenez le marquis.

MAWBRAY.

N’oubliez pas que Jenny attend dans la plus vive inquiétude la décision de son mari. Quand pourrons-nous reprendre cet entretien ?

RICHARD.

Mais tantôt.

(Il entre dans le cabinet.)
MAWBRAY.

Quelle froideur !


Scène VI.

MAWBRAY, TOMPSON, DA SYLVA.
DA SYLVA.

Eh bien ! monsieur Tompson !…

(Il s’arrête en voyant Mawbray dont les regards sont attachés sur lui. Moment de silence. Tompson les regarde tous deux avec étonnement et curiosité.)
MAWBRAY, attirant Tompson à lui.

Quelle est cette personne ?

TOMPSON.

Le marquis Da Sylva.

MAWBRAY.

Da Sylva !

(Tompson examine les traits de Mawbray, qui peignent la terreur. Da Sylva l’appelle à lui d’un signe.)
DA SYLVA.

Quel est cet homme ?

TOMPSON.

Mawbray.

MAWBRAY, revenant à lui.

Il y a ici un malheur sur moi. Fuyons.

(Il sort précipitamment.)


Scène VII.

TOMPSON, DA SYLVA.
DA SYLVA, qui a réfléchi.

Mawbray ? je ne le connais pas.

TOMPSON.

Enfin, il est parti.

DA SYLVA, bas.

Sir Richard ?

TOMPSON, bas.

Il est là.

DA SYLVA.

Si vous pouvez m’accorder quelques instants, monsieur Tompson, nous continuerons la conversation que nous avons été forcés d’interrompre.

TOMPSON.

Je vous écoute.

DA SYLVA.

Je voulais vous dire…

TOMPSON, tirant des sièges du côté du cabinet de Richard.

Asseyez-vous d’abord.

DA SYLVA.

Merci ; je voulais vous dire qu’au dernier conseil des ministres, Leurs Excellences s’étonnaient de l’acharnement avec lequel sir Richard poursuit leurs actes. Elles regrettaient que votre maître usât les belles années de sa vie, les ardeurs de son éloquence, pour des commettants qui ne peuvent ni comprendre les sacrifices qu’il leur fait, ni apprécier le talent qu’il dépense.

TOMPSON.

Vous conviendrez du moins qu’ils en profitent, et c’est le principal but de sir Richard.

DA SYLVA.

Mais quelles sont les récompenses dont dispose le peuple, monsieur Tompson ? des couronnes de chêne, dont huit jours suffisent pour faner les feuilles.

TOMPSON.

Et croyez-vous que le peuple aux mille voix n’a pas sa publicité aussi ? S’il ne peut récompenser, il peut du moins flétrir, et ce que vous proposez, car ce sont des propositions, monsieur le marquis, serait le déshonneur éternel de sir Richard. Se vendre !…

DA SYLVA.

Oui, si c’était une vente.

TOMPSON.

Qu’est-ce donc ?

DA SYLVA.

Une alliance.

TOMPSON.

Un député ne s’allie pas avec les ennemis du peuple.

DA SYLVA.

Non, mais il peut se marier à une fille noble.

TOMPSON, avec surprise.

Se marier !

DA SYLVA.

Sir Richard est garçon ?

TOMPSON, un moment embarrassé.

Oui, monsieur le marquis.

DA SYLVA.

Ses intérêts alors changent de nature. Qui blâmera le lord d’avoir d’autres vues d’avenir que le simple député des Communes ? L’intérêt du pays, vu de sa nouvelle position, se présente à lui sous une nouvelle face : et voir d’en bas ou d’en haut, fait une grande différence dans la perspective.

TOMPSON.

J’avoue, monsieur, que cela change la question.

DA SYLVA.

Et si à une grande fortune la fiancée joint une grande beauté, sir Richard n’est pas homme à avoir le cœur aussi désintéressé que la conscience.

TOMPSON.

Mais pourquoi un mariage ?

DA SYLVA.

Parce qu’il faut que les liens qui nous attacheront sir Richard soient durables.

TOMPSON.

Est-ce une indiscrétion de vous demander le nom ?

DA SYLVA.

Miss Wilmor.

TOMPSON.

La petite-fille de Votre Seigneurie ?

DA SYLVA.

Oui, l’enfant que lord Wilmor avait eue d’un premier lit et que ma fille unique, Caroline, adopta en l’épousant. Je lui donne cent mille livres sterling de dot.

TOMPSON.

C’est tout, monsieur le marquis ?

DA SYLVA.

Lord Wilmor était pair d’Angleterre.

TOMPSON.

Je le sais.

DA SYLVA.

Peut-être obtiendra-t-on de Sa Majesté de faire revivre ce titre en faveur de l’époux de sa fille.

TOMPSON.

Et tout cela… ?

DA SYLVA.

Serait assuré par le contrat de mariage.

TOMPSON.

Ces promesses sont belles, mais qui garantira pour sir Richard… ?

DA SYLVA.

Le besoin que nous avons de lui.

TOMPSON.

Une fois qu’il aura renoncé à combattre le bill ?

DA SYLVA.

Une fois qu’il aura les titres entre les mains.

TOMPSON.

C’est juste.

DA SYLVA, se levant

Alors, vous me promettez…

TOMPSON.

Que vos offres seront fidèlement rapportées.

DA SYLVA.

Je vous remets de hauts intérêts, monsieur Tompson.

TOMPSON.

Je les apprécie.

DA SYLVA.

Vous savez que le temps nous presse ; après-demain serait trop tard.

TOMPSON.

Je ne l’oublierai pas.

DA SYLVA.

Au revoir.

(Il sort.)


Scène VIII.

RICHARD, TOMPSON.
TOMPSON, bas, ouvrant à sir Richard.

Qu’en dites-vous, sir Richard ?

RICHARD, sortant.

Qu’il est fâcheux que ce ne puisse être qu’une plaisanterie.

TOMPSON.

Comment cela ?

RICHARD.

Et mon mariage ?

TOMPSON.

Et le divorce.

RICHARD, lui appuyant la main sur l’épaule.

Répète !

TOMPSON.

Eh bien ! qu’y a-t-il là d’étonnant ? Oui, le divorce.

RICHARD.

Et qu’ai-je à reprocher a Jenny qui puisse me le faire obtenir ?

TOMPSON.

N’avons-nous pas le consentement mutuel ?

RICHARD.

Elle refusera.

TOMPSON.

Vous la forcerez.

RICHARD.

Les moyens ?

TOMPSON.

Nous en trouverons.

RICHARD.

Et quand veut-on la réponse ?

TOMPSON.

Demain soir.

RICHARD.

Il faut se hâter.

TOMPSON.

Profiter du séjour à Londres de M. Mawbray, qui vous livre ainsi mistress Richard, sans appui, sans conseil !

RICHARD.

Attends un instant.

(Il s’approche de la table pour écrire ; Mawbray paraît.)


Scène IX.

MAWBRAY, RICHARD, TOMPSON.
MAWBRAY, à part.

J’ai vu partir cet homme.

TOMPSON, à mi-voix à Richard, en s’approchant de lui.

Encore Mawbray !

RICHARD, continuant d’écrire.

Qu’importe ?

MAWBRAY.

J’ai voulu te voir encore, Richard ; que dois-je répondre à Jenny ?

RICHARD.

Mon cher Mawbray, attendez jusqu’à demain soir ; j’ai besoin de ce délai.

MAWBRAY.

Vous le voulez ?

RICHARD.

Je vous en prie. — (À Tompson.) Dans une heure nous partons.

(Il sort.)


Scène X.

Les précédents, excepté RICHARD ; DA SYLVA.
MAWBRAY, qui l’a entendu.

Que dit-il ? il part ! Je ne sais quelle crainte me serre le cœur.

(Da Sylva rentre précipitamment et va ouvrir les rideaux.)
LE SPEAKER, dans la chambre.

La parole est à sir Richard pour répondre à monsieur le ministre des finances.

(Tumulte dans la chambre, voix confuses : La parole est à sir Richard ! Silence ! écoutez !)
DA SYLVA.

Que va-t-il dire !

RICHARD, dans la chambre.

Je renonce à la parole.

DA SYLVA.

Le premier pas est fait.

TOMPSON.

Il n’y que celui-là qui coûte.

(Le marquis et Thompson sortent.)
MAWBRAY, seul.

Vertueuse Anna Grey, as-tu donc seule connu Richard !


Séparateur


QUATRIÈME TABLEAU.
Le théâtre change et représente la chambre de Jenny dans une maison de campagne isolée. Jenny paraît sur un balcon. On aperçoit la cime seule des arbres, et l’on doit deviner qu’au-dessous est une immense profondeur.


Scène XI.

JENNY, seule.

Encore un jour tout entier passé à attendre vainement à cette fenêtre, à compter les flots du torrent qui se précipitent dans le gouffre ; ainsi font les heures de ma vie ! Oh ! Richard !… Richard !… Si ma pauvre mère était là du moins… oh ! le cœur d’une mère… c’est là que s’est réfugié le don de la double vue. Elle seule avait prévu mon isolement, mon abandon ; elle avait deviné Richard. Depuis un an que je vis dans cette retraite, et que Mawbray remplace mes parents, nul ne sait que j’existe et j’y puis mourir, sûre que ma mort y sera aussi ignorée que mon existence. Oh ! mais c’est affreux de vivre ainsi ! Depuis que Mawbray est parti, il me semble que lui aussi ne reviendra plus. Il avait promis de m’écrire aussitôt son arrivée.

(Elle sonne ; une femme de chambre entre.)


Scène XII.

BETTY, JENNY.
JENNY.

Est-il arrivé une lettre pour moi ?

BETTY.

Non, madame.

JENNY.

S’il en arrivait une, vous la monteriez aussitôt. Écoutez donc.

BETTY.

Quoi ?

JENNY.

C’est le bruit…

BETTY, écoutant.

D’une voiture.

JENNY.

Une voiture, une voiture qui vient de ce côté… qui s’arrête… elle s’arrête ! Betty ?

BETTY.

C’est peut-être monsieur Mawbray qui revient.

JENNY.

Non, non, Mawbray serait revenu par le coach jusqu’au village, et du village ici à pied. Descendez, descendez. Oh ! sir Richard seul peut venir ici en voiture. Allez donc. Mes genoux tremblent, mon pauvre cœur… — (Elle s’assoit la tête dans ses mains.) Oh ! Je n’ose regarder, de peur de voir entrer une autre personne. Mais c’est insensé à moi de croire qu’il vient. Ce ne peut pas être lui ; il faut être folle pour espérer que c’est lui. On monte… c’est son pas… c’est mon Richard ! — (Elle jette ses bras autour du cou de Richard qui paraît.) Oh !


Scène XIII.

RICHARD, JENNY.
RICHARD.

Qu’avez-vous donc, Jenny ?

JENNY.

Ce que j’ai, il me demande ce que j’ai ! J’ai que je pleure, que je ne t’espérais jamais, que je t’attendais toujours, qu’il y a un an que je ne t’ai vu ! Comprends-tu ?… un an ! un an ! et que te voilà, toi, mon Richard. Ah ! voilà ce que j’ai.

RICHARD.

Jenny, remettez-vous.

JENNY.

Et moi qui t’accusais, qui pensais que tu m’avais oubliée ! j’étais injuste, pardonne ! Tu ne sais pas ?… comment oser te le dire maintenant ! à force de me voir pleurer, inquiète de voir que tu ne m’écrivais pas ; car, méchant, il y a trois mois que je n’ai reçu de tes nouvelles !… eh bien ! qu’est-ce que je disais ? j’ai la tête perdue ! embrasse-moi, embrasse-moi !

RICHARD.

Peut-être vouliez-vous me parler de Mawbray ?

JENNY.

Oh ! oui. Pardonne-moi, mais je l’ai envoyé à Londres.

RICHARD.

Je l’ai vu.

JENNY.

Et pourquoi n’est-il pas revenu avec toi ?

RICHARD.

Il était fatigué et ne pouvait partir que demain.

JENNY.

Et toi, quand tu as su mon inquiétude, demain t’a paru trop long, tu as pensé que tu ne pouvais trop tôt consoler la pauvre femme qui pleurait… Oh ! tu es toujours mon Richard, le Richard de mon cœur ! et tu l’as laissé ?

RICHARD.

Je voulais vous parler sans témoins.

JENNY.

Sans témoins ?

RICHARD.

Oui.

JENNY.

As-tu quelque secret à me dire ?

RICHARD.

J’ai un sacrifice à vous demander.

JENNY.

À moi, Richard ? Oh ! que je suis heureuse ! je vais donc faire quelque chose pour toi. Mon consentement te serait-il nécessaire pour vendre une de nos fermes, tu dois avoir besoin d’argent, ta position nécessite tant de dépenses !

RICHARD.

Ce n’est point cela.

JENNY.

Qu’est-ce donc ? mais asseyez-vous, mon ami.

RICHARD.

Ce n’est point la peine.

JENNY.

Comment ?

RICHARD.

Je repars dans une heure.

JENNY.

Sans moi ?

RICHARD.

Je ne puis tous emmener.

JENNY.

Eh bien ! je vous aurai toujours vu une heure : mais asseyez-vous.

RICHARD.

Vous vous ennuyez donc bien ici ?

JENNY.

Je m’ennuie loin de vous : je ne m’y ennuierais pas avec vous. Ce n’est point ma retraite qui me pèse, c’est votre absence. Si du moins vous répondiez à mes lettres !

RICHARD.

Vous devez bien penser…

JENNY.

Oh ! ne vous excusez pas : j’écrivais trop souvent. Souvent ce sont nos exigences à nous autres femmes qui vous refroidissent pour nous. Notre vie est toute à l’amour ; la vôtre se partage en vingt passions différentes ; nous devrions le comprendre. Moi surtout, qui chaque jour avais de vos nouvelles, — (Montrant des journaux.) car ces journaux me parlaient de vous. Quand je voyais les colonnes entrecoupées de ces mots : écoutez… écoutez braves…, je me disais, c’est lui qui parle ; oh ! si j’étais là pour partager son triomphe ! oh ! je serais trop heureuse.

RICHARD.

Vous savez qu’entre les privations que nous impose notre peu de fortune, vivre séparés est peut-être la plus nécessaire.

JENNY.

Je m’y suis soumise ; et si j’ai pleuré, j’ai eu soin du moins que mes lettres ne vous portassent point la trace de mes larmes.

RICHARD.

Elles n’auraient rien changé à notre position, et nous eussent rendus malheureux tous les deux.

JENNY.

La seule chose que vous craigniez était donc les embarras, et surtout les dépenses de la maison que vous seriez obligé de tenir, si j’étais près de vous ?

RICHARD.

C’est surtout la principale.

JENNY.

Eh bien ! cessez de la craindre. Des droits que me donne le titre de votre femme, je n’en réclame qu’un, celui de vivre près de vous, dans la solitude. J’ai peu le goût du monde, Richard, mais j’ai perdu mes parents, qui m’aimaient, et j’ai conservé le besoin d’être aimée. Eh bien ! seul vous irez dans ce monde où je figurerais mal. Retirée dans mon appartement, je vous verrai du moins le soir un instant : et si je ne vous vois pas, je saurai que vous êtes là, près de moi. Ah ! le voulez-vous ? nul ne saura que je suis votre femme, personne ne me verra, ne m’invitera.

RICHARD.

Vous êtes folle.

JENNY.

Parlons d’autre chose alors. Vous veniez me demander un sacrifice, dites-vous ?

RICHARD.

Loin de m’éloigner de mon but, cette conversation nous y ramène.

JENNY.

Voyons.

RICHARD.

De nouvelles circonstances qui tiennent aux chances politiques que je cours, ma position prête à changer, des engagements de partis, rendent encore notre séparation trop incomplète.

JENNY.

Quinze lieues ne vous paraissent-elles pas une distance assez considérable ? Depuis deux ans ne vous ai-je pas été totalement étrangère ? La voix publique seule m’apportait de vos nouvelles, et j’étais instruite en même temps que toute l’Angleterre de ce que faisait mon mari.

RICHARD.

Des reproches !

JENNY.

Des larmes.

RICHARD.

Les uns et les autres me sont insupportables.

JENNY.

Mais qu’exigez-vous donc ? au nom du ciel ! vous me faites mourir… Faut-il que je quitte l’Angleterre, le lieu où je suis née, la terre où reposent mes parents ? Eh bien ! j’y consens ! un jour encore pour pleurer sur leur tombe, et demain je pars. Mais au moins, Richard, dites-moi combien de temps durera cet exil. Oh ! dites-le-moi ! car un seul mot fera l’attente de toute ma vie : reviens !

RICHARD.

Vous vous trompez, Jenny, je n’ai pas l’intention de vous arracher à votre terre natale. Je n’ai pas le droit de vous vouer à l’abandon. Le sort fit une erreur en nous liant l’un à l’autre, ce n’est pas à vous de l’expier. Puis-je vous condamner à porter les liens d’un mariage qui ne vous rend pas épouse, qui ne vous fera pas mère ? ce serait une cruauté. Si une fatalité contre laquelle j’ai lutté longtemps nous sépare… je ne veux, je ne dois pas être un éternel obstacle à votre bonheur, et je n’aurai quelque repos, Jenny, que lorsque je vous aurai rendu, avec votre liberté, les chances probables d’un avenir plus heureux.

JENNY.

Je vous écoute sans vous comprendre, Richard.

RICHARD.

D’ailleurs, ce que je vous propose existe déjà à peu près pour nous avec tous ses maux, et sans que vous puissiez jouir des biens qui s’y rattachent.

JENNY.

Parlez, parlez toujours, que je vous comprenne donc… ou plutôt taisez-vous, car je commence à vous comprendre, et c’est affreux !

RICHARD.

Tandis qu’une séparation…

JENNY.

Encore un mot.

RICHARD.

Légale…

JENNY.

Le divorce !

RICHARD.

Le divorce…

JENNY.

Oh ! mon Dieu !

RICHARD.

Concilie tout.

JENNY.

Ayez pitié de moi.

RICHARD.

Ce mot vous effraye, parce que vous ne le voyez qu’environné de scandaleux débats, de honteuses révélations.

JENNY.

Je n’ai pas regardé l’arme, j’ai senti le coup.

RICHARD.

Le temps le guérira. Vous êtes jeune, Jenny, et un autre amour…

JENNY.

Oh ! un autre amour !… profanation ! sacrilège ! un autre amour ! tuez-moi et ne m’insultez pas ! du sang, mais pas de honte !

RICHARD.

Il n’y a ni sang, ni honte ; de grands mots et de grands gestes ne m’éloignent pas de mon but.

JENNY.

Il est atroce… Une union demandée par vous, bénie par mon père et ma mère ; l’engagement pris par vous en face de Dieu… et vous voulez briser tout cela… L’appui sur lequel ils ont compté pour moi en mourant, vous me rotez, enfin vous demandez à un tribunal de rompre ce qui a été lié devant l’autel !

RICHARD.

Eh ! vous ne comprenez pas ! Un procès ! qui vous parle d’un procès… le pourrais-je pour moi-même ?

JENNY.

Mais que voulez-vous donc, alors ? Expliquez-vous clairement, car tantôt je comprends trop et tantôt pas assez.

RICHARD.

Pour vous et pour moi, mieux vaut un consentement mutuel.

JENNY.

Vous m’avez donc crue bien lâche ? que j’aille devant un juge sans y être traînée par les cheveux, déclarer de ma voix, signer de ma main que je ne suis pas digne d’être l’épouse de sir Richard ! Vous ne me connaissez donc pas, vous qui croyez que je ne suis bonne qu’aux soins d’un ménage dédaigné, qui me croyez anéantie par l’absence, qui pensez que je ploierai parce que vous appuyez le poing sur ma tête ?… Dans le temps de mon bonheur, oui, cela aurait pu être ; mais mes larmes ont retrempé mon cœur, mes nuits d’insomnie ont affermi mon courage ; le malheur enfin m’a fait une volonté : ce que je suis je vous le dois, Richard, c’est votre faute : ne vous en prenez donc qu’à vous. Maintenant à qui aura le plus de courage du faible ou du fort ? Sir Richard, je ne veux pas…

RICHARD.

Madame, jusqu’ici je n’ai fait entendre que des paroles de conciliation.

JENNY.

Essayez d’avoir recours à d’autres.

RICHARD, marchant à elle.

Jenny !

JENNY, froidement.

Richard !

RICHARD.

Malheureuse ! savez-vous ce dont je suis capable ?

JENNY.

Je le devine.

RICHARD.

Et vous ne tremblez pas ?

JENNY, souriant.

Voyez.

RICHARD, lui prenant les mains.

Femme !

JENNY, tombant à genoux de la secousse.

Ah !

RICHARD.

À genoux !

JENNY, levant les mains au ciel.

Mon Dieu, ayez pitié de lui !

(Elle se relève.)
RICHARD.

Oh ! c’est de vous, c’est de vous qu’il a pitié, car je m’en vais… Adieu, Jenny… demandez au ciel que ce soit pour toujours.

JENNY, courant à lui, et lui jetant les bras autour du cou.

Richard ! Richard ! ne t’en va pas !

RICHARD.

Laissez-moi partir.

JENNY.

Si tu savais comme je t’aime !

RICHARD.

Prouvez-le-moi.

JENNY.

Ma mère ! ma mère !

RICHARD.

Voulez-vous ?

JENNY.

Tu me l’avais bien dit.

RICHARD.

Encore un mot.

JENNY, lui mettant la main sur la bouche.

Ne le dis pas…

RICHARD.

Consens-tu ?

JENNY.

Écoute-moi !

RICHARD.

Consens-tu !… c’est bien… mais plus de message, plus de lettres, que rien ne vous rappelle à moi… que je ne sache pas même que vous existez… je vous laisse une jeunesse sans époux, une vieillesse sans enfants…

JENNY.

Pas d’imprécations ! pas, au nom du ciel !

RICHARD.

Adieu.

JENNY.

Vous ne partirez pas.

RICHARD.

Damnation !…

JENNY.

Vous me tuerez plutôt.

RICHARD, la repoussant.

Ah ! laissez-moi !

JENNY, repoussée, va tomber la tête à l’angle d’un meuble.

Ah ! — (Elle se relève tout ensanglantée.) Ah ! Richard !… — (Elle chancelle, étend ses bras de son côté, et retombe.) Il faut que je vous aime bien… (Elle s’évanouit.)

RICHARD.

Évanouie ! blessée ! du sang !… malédiction ! Jenny ! Jenny ! — (Il la porte sur un fauteuil.) Et ce sang qui ne s’arrête pas ! — (Il l’étanche avec son mouchoir.) Je ne veux pourtant pas rester éternellement ici. — (Il se rapproche d’elle.) Jenny ! finissons ! je me retire… tu ne veux pas répondre ?… adieu donc. — (Il va sortir et entend un bruit de pas à la porte.) Qu’est-ce ?


Scène XIV.

RICHARD, TOMPSON, JENNY.
TOMPSON, paraissant.

De la voiture où j’étais resté pour faire le guet je viens de voir Mawbray sortir du village et se diriger de ce côté.

RICHARD.

Que vient-il faire ?

TOMPSON.

Défendre sa protégée… mais il arrivera trop tard, n’est-ce pas ? qu’avez-vous obtenu ?

RICHARD, montrant Jenny évanouie.

Rien, malgré mes prières, mes violences… Mais Mawbray ! il va la voir ainsi, nouvelles armes contre moi… Jenny ! Jenny ! oublions tout !

JENNY, revenante elle.

Richard ! moi dans tes bras !… je suis donc morte ? je suis donc au ciel ?

RICHARD.

Mon amie, oublions tout !

JENNY.

Je ne me souviens de rien. — (Portant la main à son front.) Je saigne !

RICHARD, à part.

Damnation ! — (Haut.) Jenny, quelqu’un vient ici ; essuie ces larmes, qu’on ne puisse voir ces traces de sang… je t’en conjure.

JENNY.

On vient, dis-tu, qui donc ?

RICHARD.

C’est Mawbray.

JENNY, avec douceur.

Ah ! tant mieux !

RICHARD.

Jenny, Mawbray ne doit pas connaître ces funestes débats. Promets-le-moi, je t’en prie.

TOMPSON, s’approchant de Richard.

Mawbray !

RICHARD, à Jenny.

Je te l’ordonne !


Scène XV.

RICHARD, JENNY, MAWBRAY, TOMPSON.
(Mawbray entre vivement. Moment de silence. Il regarde avec inquiétude et tour à tour Jenny et Richard.)
RICHARD.

Vous ici, Mawbray !

MAWBRAY.

Ayant appris votre départ, j’ai craint pour Jenny les ennuis de la solitude et me suis hâté de revenir près d’elle.

RICHARD.

Vous avez bien fait, et je vous remercie.

MAWBRAY.

Dois-je demain aller à Londres pour chercher votre réponse ?

RICHARD.

Il me semble que ma présence en ces lieux vous en dispense.

MAWBRAY.

Vous avez donc apporté à votre femme des paroles de consolation ?

(Jenny se jette dans les bras de Richard.)
RICHARD.

Oui.

MAWBRAY.

Mais ce n’est que près de vous, que pour elle le passé sera sans douleur et l’avenir sans inquiétude.

RICHARD.

Eh ! qui vous dit qu’elle restera loin de moi ?

MAWBRAY, avec joie.

Elle ira à Londres ?

JENNY, saisissant le bras de Richard, et avec amour.

Serait-il vrai ?

RICHARD.

Sans doute, si vous le désirez tant… Adieu ; il faut que je parte.

JENNY.

Sans m’attendre ?

RICHARD.

Je ne puis… je dois être au parlement à l’ouverture de la séance. — (À part.) Les ministres me paieront cher le rôle que je joue ici.

MAWBRAY.

Adieu donc.

JENNY, à Richard.

À bientôt ?

RICHARD.

À bientôt.

JENNY, à Mawbray, après que Richard est sorti.

Mon ami, j’espère encore pouvoir être heureuse !

MAWBRAY, lui essuyant le front.

Essuyez ce sang, Jenny, peut-être ensuite espérerai-je avec vous.

(Jenny court à la fenêtre et envoie des adieux à Richard ; Mawbray la regarde avec attendrissement.)


Séparateur


CINQUIÈME TABLEAU.
La chambre du conseil.


Scène XVI.

LES SECRÉTAIRES D’ÉTAT AUX DÉPARTEMENTS DE L’INTÉRIEUR ET DE LA GUERRE, LE PREMIER LORD DE LA TRÉSORERIE, DEUX MINISTRES.
LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR.

Messieurs, le conseil est assemblé.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Où donc est notre président ?

LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR., indiquant la porte du fond.

Le premier lord de la trésorerie est chez Sa Majesté.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Savez-vous quel nouvel incident a fait convoquer ce conseil extraordinaire ?

LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR.

Je l’ignore ; mais à la veille du rejet du bill qui entraîne notre chute, je conçois que nos communications doivent être plus fréquentes.

L’HUISSIER, annonçant.

Monsieur le premier lord de la trésorerie.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Nous allons tout savoir, car voici notre président.

LE LORD DE LA TRÉSORERIE, à l’huissier.

Laissez-nous seuls.

LE MINISTRE DE LA GUERRE., au lord de la trésorerie.

Vous sortez de chez le roi ?

LE LORD DE LA TRÉSORERIE.

Oui, messieurs.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Eh bien ?…

LE LORD DE LA TRÉSORERIE.

Sa Majesté est plus que jamais affligée de l’opposition qui se manifeste dans la chambre des Communes, et elle met entre nos mains tous les moyens qui sont en son pouvoir pour que nous la combattions.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Dans une telle circonstance, il faut bien l’avouer, il ne nous reste qu’un seul parti.

LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR.

Lequel ?

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Quoi qu’il puisse nous en coûter, disons-le, il faut amener à nous sir Richard.

LE PRÉSIDENT.

C’est pour vous parler de lui, messieurs, que je vous ai réunis. Une première démarche a été faite, mais avant d’aller plus loin, j’ai dû me rappeler que nous sommes tous solidaires et vous consulter sur ce qu’il me reste à faire.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Nous écoutons Votre Grâce.

LE PRÉSIDENT.

Des ouvertures ont été faites par le marquis Da Sylva à son secrétaire Tompson ; elles ont été reçues de manière à nous laisser beaucoup espérer : j’ai cru alors que de semblables négociations voulaient être pressées, et j’ai fait demander à sir Richard une entrevue secrète pour ce soir.

LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR.

Nous présumons bien quel en doit être l’objet : mais jusqu’à quel point pouvons-nous nous engager ?


LE PRÉSIDENT.

Messieurs, toutes mes promesses seront réalisées, j’en ai l’assurance et je suis autorisé à promettre beaucoup.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Mais enfin s’il résistait ?

LE PRÉSIDENT.

Dans ce cas, il resterait encore un moyen à essayer, une tentative hasardeuse, inusitée, un tête-à-tête dangereux.

UN HUISSIER, entrant.

Un membre de la chambre des Communes demande à être introduit près de Leurs Excellences.

LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Son nom ?

L’HUISSIER.

C’est l’honorable sir Richard.

LES MINISTRES.

Sir Richard !

LE PRÉSIDENT.

Déjà ! en plein conseil ! ce n’étaient pas nos conventions. — (À l’huissier.) Faites entrer. — (Aux ministres.) Nous ne pouvons nous dispenser de le recevoir.


Scène XVII.

Les précédents ; RICHARD.
RICHARD.

Salut à Leurs Excellences.

LE MINISTRE DES FINANCES.

Soyez le bien venu, sir Richard.

RICHARD.

Sa Grâce dit-elle ce qu’elle pense ?

LE MINISTRE DES FINANCES.

Jamais entrevue ne fut plus désirée.

RICHARD.

Vous y comptiez ?

LE MINISTRE DES FINANCES.

Nous l’espérions.

RICHARD.

Cet espoir n’est pas un éloge de la modestie que vous me supposiez.

LE MINISTRE DES FINANCES.

Et pourquoi cela ?

RICHARD.

C’est que je doute encore moi-même que tout ceci ne soit pas un songe. Moi, avocat obscur d’une petite ville, simple membre de la chambre des Communes, en face des hommes que leur nom, que leur position politique place autour des marches du trône de la vieille Angleterre ; c’est par trop hardi à moi, Richard Darlington, député du peuple.

LE MINISTRE DES FINANCES.

Monsieur, le peuple s’est écrit avec le sang des révolutions des lettres de noblesse qui lui permettent, comme à la vieille aristocratie, de traiter d’égal à égal avec la royauté.

RICHARD.

Monsieur le ministre, ses droits sont plus anciens que vous ne le pensez ; son blason sanglant remonte à Cromwell, et il a pris pour armes parlantes une couronne à terre, près d’une hache et d’un billot debout.

LE PRÉSIDENT.

Est-ce de la menace, sir Richard ?

RICHARD.

C’est de l’histoire, monsieur.

LE PRÉSIDENT.

Eh bien ! sir Richard, c’est pour éviter ces grandes catastrophes entre la royauté et le peuple, dont le sang se perd toujours en proportion à peu près égale, qu’un pouvoir intermédiaire a été créé comme un double bouclier où viennent s’amortir l’orgueil de l’un et les exigences de l’autre. Leurs mains, que nous tenons de chacune des nôtres, nous pouvons les réunir.

RICHARD.

Cela ne se peut pas, Excellence.

LE PRÉSIDENT.

Sir Richard, ce n’est pas là ce qu’on nous avait promis.

RICHARD.

Promis ! et qui avait été assez audacieux pour promettre en un autre nom qu’au sien ?

LE PRÉSIDENT.

Fait espérer du moins.

RICHARD.

Une trahison, n’est-ce pas ?

LE PRÉSIDENT.

Une concession tout au plus.

RICHARD.

Une concession ! le peuple n’en fait plus aujourd’hui, il en exige.

LE PRÉSIDENT.

Nous avons pu croire un instant…

RICHARD.

Que j’étais à vendre, n’est-ce pas ? C’est dans cette espérance, sans doute, que vous m’aviez fait demander une entrevue secrète ; mais je suis venu vous trouver au milieu de vos collègues qui entendront ma réponse et la rediront, si tel est leur bon plaisir.

LE PRÉSIDENT.

Monsieur, ces explications…

RICHARD.

Ah ! messieurs, vous êtes venus, ambassadeurs de corruption, apporter à mes pieds les présents de la couronne ! Eh bien ! je repousse du pied présents et ambassadeurs ! arrière tous !

LE PRÉSIDENT.

Il n’y a plus que ce moyen.

(Il parle bas à un ministre, qui entre aussitôt chez le roi.)


Scène XVIII.

Les précédents ; excepté LE MINISTRE.
RICHARD.

Et si demain, du haut de la tribune, je disais à mes commettants quel prix on évaluait leur mandataire ; si je dénonçais cet infâme marché des consciences, si je vous rejetais à la face vos honteuses propositions ?

LE PRÉSIDENT.

Et quelles preuves donnerez-vous, sir Richard ? ne pouvons-nous pas nier ?

RICHARD.

À celui qui nierait, je dirais : Tu mens !

LE PRÉSIDENT.

Monsieur, nous vous offrions la paix… Vous refusez…La guerre donc… À demain à la chambre !

RICHARD.

À demain à la chambre !

(Le ministre qui est entré chez le roi rentre et parle bas au président.)
LE PRÉSIDENT, à Richard qui va sortir.

Sir Richard, vous êtes prié de vouloir bien attendre quelques instants dans cette salle.

(Les ministres sortent.)


Scène XIX.

RICHARD, un huissier.
RICHARD.

Que veut donc encore de moi le ministère ?

L’HUISSIER, entrant.

Il y a un homme qui demande à vous parler.

RICHARD.

Tout à l’heure.

L’HUISSIER.

C’est votre secrétaire, je crois.

RICHARD.

C’est bon.

L’HUISSIER.

Il paraît très-pressé de vous parler. Il attend.

RICHARD, avec impatience.

J’attends bien… moi… Pourquoi ne s’est-on pas expliqué ? Est-ce quelque ruse, quelque piège ?… Allons savoir ce que nous veut Tompson… La porte s’ouvre… Que vois-je ?…


Scène XX.

UN INCONNU, RICHARD.
L’INCONNU.

Monsieur… vous ne me connaissez pas… mais moi je ne me trompe point, vous êtes le secrétaire du conseil. — (Richard semble prêt à nier.) Je désire que vous soyez le secrétaire du conseil.

RICHARD.

Je le suis, milord.

(Il appuie sur ce mot.)
L’INCONNU.

Très-bien, vous m’avez compris… Monsieur le secrétaire, voulez-vous vous asseoir à cette table ?

RICHARD, toujours en souriant.

J’attends les ordres de milord.

L’INCONNU., lui donnant des papiers.

Parmi ces papiers en voici qui exigent un prompt examen… Voulez-vous bien m’en donner connaissance ?

RICHARD, lisant.

« Titres de propriété du comté de Carlston et de ses dépendances dans le Devonshire, concédés à tout jamais à… » Le nom est en blanc.

L’INCONNU.

C’est une omission… Voulez-vous écrire sous ma dictée ?

RICHARD.

Mais…

L’INCONNU., continuant.

Richard Darlington.

RICHARD.

Je ne puis écrire…

L’INCONNU.

Comment, monsieur le secrétaire, vous refusez d’écrire un nom que je ne prononce qu’avec le respect dû au talent ?

RICHARD.

Cette touchante bonté…

L’INCONNU.

Vous écrivez, n’est-ce pas ?… Ayez la complaisance de continuer.

RICHARD, lisant un autre papier.

« Lettres de noblesse conférant à perpétuité le titre de comte à… »

L’INCONNU.

Les mêmes noms, je vous prie.

RICHARD, écrit en souriant.

Vous êtes obéi.

L’INCONNU.

Après, de grâce.

RICHARD, lisant.

« Contrat de mariage entre miss Lucy Wilmor, fille de feu lord Wilmor, pair du royaume, petite-fille du marquis Da Sylva, et le noble comte de Carlston… »

L’INCONNU.

Nous connaissons les parties contractantes, mais les conditions, je vous prie.

RICHARD, lisant.

« La jeune miss apporte à son mari cent mille livres sterling en biens-fonds et en actions de banque.

» Le marquis Da Sylva, par substitution de sa fille Caroline Wilmor, reconnaît sa petite-fille pour sa seule et unique héritière.

» Le titre de pair, éteint à la mort de lord Wilmor, revit pour l’époux de sa fille et ses descendants mâles à perpétuité. »

L’INCONNU.

Tout cela est parfait… Ne trouvez-vous pas que le nom de Georges scellé d’un don royal ferait bien sur ce contrat ?

RICHARD.

Tant de faveurs sur un seul homme, en si peu d’heures !

L’INCONNU.

Ah ! vous êtes envieux !… puisque vous résistez si bien à l’entraînement, vous devez être un homme de bon conseil… Le ministère perd de sa popularité, n’est-ce pas ? le roi reculerait à le recomposer avec l’élément démocratique. Il parlait dernièrement de choisir le président du conseil parmi les jeunes pairs ; croyez-vous au succès d’une semblable combinaison ?

RICHARD.

Un dévouement sans bornes…

L’INCONNU.

Il reste un dernier papier.

RICHARD.

Blanc.

L’INCONNU.

Vous ne comprenez pas ?

RICHARD, après un moment d’hésitation.

Si fait ! — (Il signe.) À vous ce papier, milord ; à moi ceux-ci.

L’INCONNU.

Je veux dire au roi que nous avons fait connaissance.


Scène XXI.

RICHARD, seul.

Ah ! c’est un rêve !… une folie !… une apparition !… mais… mais ces papiers ? Ah ! non, non, tout cela est réel. Oh ! je ne puis respirer la tête me tourne… Richard ! Richard ! dans tes songes les plus brillants avais-tu jamais osé prévoir… ? moi ! moi ! allié à ce que l’Angleterre a de plus illustre ! Richard comte, Richard pair, Richard ministre, Richard le premier du royaume après le roi ! Que dis-je ? le roi… le roi, c’est un nom. C’est le ministre qui gouverne ; c’est le ministre qui dirige tout, finances, guerre, administration. — (Allant au fauteuil du président.) C’est ici ma place, voilà le trône, le vrai trône… D’ici ma voix va retentir dans les trois royaumes, sur l’Océan ; — (Se frappant le front.) de là s’élancera la volonté que subira l’univers ; à moi des honneurs, des dignités, des couronnes, à moi des armoiries, une bannière, des millions à répandre : enrichir Londres, l’Angleterre de monuments, monuments éternels… sur lesquels on lira à tout jamais mon nom, un nom que je fais, que je léguerai à ma patrie comme une gloire ! Ah ! ma joie… mon bonheur… vous m’étouffez. — (À Tompson qui entre.) Viens… viens… sais-tu… ?


Scène XXII.

RICHARD, TOMPSON.
TOMPSON.

Sir Richard.

RICHARD.

Sais-tu ?…

TOMPSON.

Mawbray vient de revenir à Londres.

RICHARD.

Et qu’importe !

TOMPSON.

Il amène votre femme.

RICHARD.

Jenny ?

TOMPSON.

Vous attend à votre hôtel.

RICHARD.

J’avais tout oublié… Malédiction !

Séparateur