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Souvenirs entomologiques/Série 2/Chapitre 13

La bibliothèque libre.
Librairie Delagrave (deuxième sériep. 226-261).

XIII

LES HABITANTS DE LA RONCE


Lorsqu’il émonde sa haie, dont le féroce fouillis déborde sur le chemin, le paysan tronque, à quelque pans du sol, les lianes de la ronce, et laisse en place la base de la tige, qui ne tarde pas à se dessécher. Ces bouts de ronces, qu’abrite et défend l’épineux fourré, sont recherchés d’une foule d’hyménoptères pour l’établissement de leur famille. Le tronçon, devenu aride, offre à qui sait l’exploiter un logis hygiénique, où n’est pas à craindre l’humidité de la sève ; sa moelle, tendre et volumineuse, se prête à un travail facile ; son bout sectionné présente un point d’attaque, qui permet d’atteindre immédiatement le filon de peu de résistance sans ouvrir une voie à travers la dure enceinte ligneuse. Pour beaucoup d’hyménoptères, collecteurs de miel ou déprédateurs, c’est donc une trouvaille de prix qu’une pareille tige sèche, lorsqu’elle est d’un diamètre assorti à la taille de qui veut y élire domicile ; c’est de plus un intéressant sujet d’étude pour l’entomologiste qui, l’hiver, un sécateur à la main, peut s’amasser dans les haies un fagot riche en petites merveilles d’industrie. La visite aux ronciers est depuis longtemps un de mes passe-temps favoris pendant les loisirs de la mauvaise saison ; et il est rare qu’un aperçu nouveau, un fait inattendu, ne me dédommage de mes accrocs à l’épiderme.

Mes relevés, qui sont fort loin encore d’être complets, énumèrent une trentaine d’espèces habitant la ronce, autour de mon habitation ; d’autres observateurs, plus assidus que moi, explorant une autre région et dans un rayon plus étendu que le mien, en ont dénombré une cinquantaine. Je donne en note la série complète des espèces que j’ai reconnues.[1]

Il y a là des corps de métier fort divers. Les uns, plus industrieux, mieux outillés, enlèvent la moelle de la tige sèche et obtiennent ainsi une galerie cylindrique et verticale, dont la longueur peut atteindre jusqu’à près d’une coudée. Cet étui est ensuite divisé, par des cloisons, en étages plus ou moins nombreux, dont chacun est la loge d’une larve. — D’autres, moins bien doués en force et en outils, mettent à profit les vieilles galeries d’autrui, galeries abandonnées après avoir servi de demeure à la famille de leur constructeur. Leur seul travail consiste à réparer un peu la masure, à déblayer le canal des ruines encombrantes, telles que débris de cocons et décombre de planchers écroulés, enfin à édifier de nouvelles cloisons, tantôt avec une pâte de terre argileuse, tantôt avec un béton formé de ratissures de moelle que cimente une goutte de salive.

On reconnaît ces habitations d’emprunt à l’inégal développement des étages. Quand il a lui-même foré le canal, l’ouvrier est économe de l’espace ; il sait ce que cela coûte de peine à obtenir. Les loges sont alors pareilles, de capacité convenable pour l’habitant, sans exagération en plus ou en moins. Dans cet étui, où s’est dépensé le travail assidu de semaines entières, il convient de loger le plus grand nombre de larves que

possible, tout en laissant à chacune l’espace nécessaire. L’ordre dans la superposition des étages, l’économie dans les distances sont alors de règle absolue.

Mais le gaspillage est visible quand l’hyménoptère utilise une ronce creusée par un autre. Tel est le cas du Tripoxylon figulus. Pour obtenir les magasins où il dépose ses maigres rations d’araignées, il découpe son cylindre d’emprunt en loges très inégales, au moyen de minces cloisons d’argile. Les unes ont un centimètre environ, longueur convenable pour l’insecte ; les autres se prolongent jusqu’à deux pouces. À ces vastes salles, si disproportionnées avec l’habitant, se reconnaît l’insouciante prodigalité d’un propriétaire de hasard, à qui la propriété n’a rien coûté.

Ouvriers de première main, ou bien ouvriers retouchant le travail d’autrui, ils ont tous leurs parasites, qui constituent la troisième catégorie des habitants de la ronce. Ceux-ci n’ont ni galeries à creuser, ni provisions à faire : ils déposent leur œuf dans une cellule étrangère, et leur larve se nourrit, soit des provisions, soit de la larve même du légitime propriétaire.

En tête de cette population, pour le fini comme pour l’ampleur du travail, se trouve l’Osmie tridentée (Osmia tridentata Duf. et Pér.), dont j’aurai à m’occuper spécialement dans ce chapitre. Sa galerie, du calibre d’un crayon, descend parfois jusqu’à une coudée de profondeur. Elle est d’abord presque exactement cylindrique ; mais, au cours de l’approvisionnement, des retouches se font qui la modifient un peu à des distances géométriquement déterminées. Le travail de forage n’a pas grand intérêt. Au mois de juillet, on voit l’insecte, campé sur un bout de ronce attaquer la moelle et y creuser un puits. Celui-ci devenu assez profond, l’Osmie y descend, arrache quelques parcelles de moelle et remonte pour rejeter sa charge au dehors. Cette œuvre monotone se continue jusqu’à ce que l’hyménoptère ait jugé la galerie assez longue, ou bien, ce qui arrive fréquemment, jusqu’à ce qu’il soit arrêté par un nœud infranchissable.

Viennent après la pâtée de miel, la ponte et le cloisonnement, opération délicate à laquelle l’insecte procède par degrés de la base au sommet. Au fond de la galerie un amas de miel est déposé, et sur cet amas un œuf est pondu ; puis une cloison est construite pour séparer cette loge des suivantes, car chaque larve doit avoir sa chambre spéciale, d’un centimètre et demi environ de longueur, sans communication aucune avec les chambres voisines. Cette cloison a pour matériaux de la ratissure de moelle de ronce, qu’agglutine et met en pâte une humeur fournie par l’appareil salivaire. Où prendre ces matériaux ? L’Osmie ira-t-elle recueillir au dehors, à terre, les déblais qu’elle a rejetés en forant le cylindre ? Econome de son temps, elle a mieux à faire que de ramasser sur le sol les parcelles éparpillées. Le canal, ai-je dit, est d’abord tout d’une venue, à peu près cylindrique ; sa paroi conserve encore une mince couche de moelle. Voilà les réserves que l’Osmie, en constructeur prévoyant, s’est ménagées pour édifier les cloisons. Du bout des mandibules, elle ratisse donc autour d’elle, mais dans une longueur déterminée, celle qui correspond à la loge suivante ; de plus, elle conduit son travail de façon à creuser davantage la partie moyenne et à laisser rétrécies les deux extrémités. Au canal cylindrique du début, ainsi succède, dans la partie travaillée, une cavité ovoïde tronquée aux deux bouts, un espace en forme de tonnelet. Cet espace sera la seconde cellule.

Quant aux déblais, ils sont utilisés sur place, ils servent à la construction de l’opercule qui sert de plafond à la loge précédente et de plancher à la loge qui suit. Nos entrepreneurs ne combineraient pas mieux pour bien utiliser le temps des travailleurs. Sur le plancher ainsi obtenu, une autre ration de miel est déposée, et à la surface de la pâtée un œuf est pondu. Enfin, au rétrécissement supérieur du tonnelet, une cloison est construite avec les ratissures fournies par la confection finale de la troisième loge, elle-même façonnée en ovoïde tronqué. Ainsi se poursuit l’œuvre, loge par loge, chacune d’elles fournissant la matière de la cloison qui la sépare de la précédente. Parvenue au bout du cylindre, l’Osmie tamponne l’étui avec une épaisse couche de la même pâte à cloisons. Et c’est fini pour ce bout de ronce ; l’hyménoptère n’y reviendra plus. Si les ovaires ne sont pas encore épuisés, d’autres tiges sèches seront exploitées de la même manière.

Le nombre de loges varie beaucoup, suivant les qualités de la tige. Si le bout de ronce est long, régulier, sans nœuds, on peut en compter une quinzaine ; c’est du moins le chiffre le plus élevé que m’aient fourni mes observations. Pour bien juger de l’aménagement, il faut fendre la tige en long, pendant l’hiver, alors que les provisions sont depuis longtemps consommées, et que les larves sont encloses dans leurs cocons. On voit que l’étui est divisé, à des distances égales, par de légers étranglements dans chacun desquels est fixé un disque circulaire, une cloison d’un millimètre à deux d’épaisseur. Les chambres que ces cloisons séparent sont autant de tonnelets, exactement remplis par un cocon roux, translucide, à travers lequel se voit la larve, recourbée en hameçon. On dirait un grossier chapelet d’ambre, à grains ovoïdes, contigus par leurs bouts tronqués.

Dans ce chapelet de cocons, quel est le plus vieux, quel est le plus jeune ? Le plus vieux est évidemment celui du fond, celui de la cellule la première construite ; le plus jeune est celui qui termine en haut la série, celui de la dernière cellule construite. L’aînée des larves commence l’empilement, tout au fond de la galerie ; la dernière venue le termine, à l’extrémité supérieure ; et les autres se succèdent, d’après leur âge, de la base au sommet.

Remarquons maintenant que, dans le canal, il ne peut y avoir place, à la même hauteur, pour deux Osmies à la fois, car chaque cocon remplit, sans intervalle vide, l’étage, le tonnelet qui lui appartient ; remarquons encore que, parvenues à l’état parfait, les Osmies doivent toutes sortir de l’étui par le seul orifice que possède le bout de ronce, l’orifice d’en haut. Il n’y a là qu’un obstacle facile à surmonter, un tampon de moelle agglutinée, dont les mandibules de l’insecte ont aisément raison. En bas, la tige n’offre aucune voie préparée ; d’ailleurs elle se prolonge indéfiniment sous terre, par les racines. Partout ailleurs est l’enceinte ligneuse, en général trop dure et trop épaisse pour être forée. C’est donc inévitable : toutes les Osmies, quand viendra le moment de quitter la demeure, doivent sortir par le haut ; et comme l’étroitesse du canal s’oppose au passage de l’insecte qui précède tant que reste en place l’insecte qui suit, le déménagement doit commencer par le haut, se propager de loge en loge et se terminer par le bas. L’ordre de sortie est alors l’inverse de l’ordre de primogéniture ; les plus jeunes Osmies quittent le nid les premières, et les plus âgées le quittent les dernières.

L’aînée, celle du fond, a la première achevé sa pâtée de miel et tissé son cocon. Antérieure à toutes ses sœurs dans la série de ses actes, elle a la première rompu son outre de soie et détruit le plafond qui clôture sa chambre ; c’est du moins ce que fait prévoir la logique des choses. Dans son impatience de sortir, comment s’y prendra-t-elle pour se libérer ? La voie est obstruée par les cocons suivants, encore intacts. S’ouvrir par la force une trouée à travers le chapelet de ces cocons, ce serait exterminer le reste de la nichée ; la libération d’une seule serait la ruine de toutes les autres. L’insecte est opiniâtre dans ses actes, peu scrupuleux dans ses moyens. Si l’hyménoptère du fond de l’étui veut quitter le logis, épargnera-t-il ceux qui lui font barricade ?

La difficulté est grande, on le comprend ; elle semble insurmontable. Un soupçon vient alors à l’esprit : on se demande si la sortie du cocon ou l’éclosion s’accomplit réellement d’après l’ordre de la primogéniture. Ne pourrait-il arriver, par une exception bien singulière il est vrai, mais nécessaire en de telles conditions, que la moins âgée des Osmies rompit son cocon la première, et la plus âgée la dernière ; enfin, que l’éclosion se propageât d’une chambre à la suivante en sens inverse de celui que supposerait l’âge ? Alors toute difficulté serait aplanie : chaque Osmie, à mesure qu’elle déchirerait sa prison de soie, trouverait une voie libre devant elle, les Osmies plus voisines de l’issue étant déjà sorties. Mais est-ce bien ainsi que les choses se passent ? Nos vues, bien souvent, ne concordent pas avec ce que pratique l’insecte ; même pour ce qui nous paraît très logique, il est prudent de voir avant de rien affirmer. L. Dufour n’a pas eu cette prudence lorsqu’il s’est occupé, le premier, de ce petit problème. Il nous raconte les mœurs d’un Odynère (Odynerus rubicola Duf.), qui empile dans le canal d’une tige sèche de ronce des cellules maçonnées avec de la terre ; et plein d’enthousiasme pour son industrieux hyménoptère, il ajoute :

« Comment concevez-vous que dans une file de huit coques de ciment, placées bout à bout et étroitement enclavées dans un étui de bois, la plus inférieure, qui a été incontestablement construite la première, qui renferme par conséquent le premier-né des œufs et qui d’après les lois ordinaires devrait mettre au jour le premier insecte ailé, comment concevez-vous, dis-je, que la larve de cette première coque ait reçu mission d’abdiquer sa primogéniture et de n’accomplir sa métamorphose complète qu’après tous ses puînés ? Quelles sont les conditions mises en œuvre pour amener un résultat si contraire, en apparence, aux lois de la nature ? Abaissez votre orgueil devant le fait, et confessez votre ignorance plutôt que de vouloir sauver votre embarras par de vaines explications ! »

« Si le premier œuf pondu par l’industrieuse mère eût dû être le premier-né des Odynères, il aurait fallu que celui-ci, pour voir la lumière aussitôt après avoir acquis des ailes, eût la faculté ou de faire une brèche aux flancs de la double paroi de sa prison, ou de perforer de bout à fond les sept coques qui le précèdent, pour sortir par la troncature de la tige de ronce. Or, la nature, en lui refusant les moyens d’une évasion latérale, n’a pas pu permettre non plus une violente trouée directe, qui eût amené inévitablement le sacrifice de sept membres d’une même famille au salut d’un fils unique. Aussi ingénieuse dans ses plans que féconde dans ses ressources, elle a dû prévoir et prévenir toutes les difficultés ; elle a voulu que le dernier berceau construit donnât le premier-né ; que celui-ci frayât la route au second de ses frères, le second au troisième, et ainsi de suite. C’est effectivement dans cet ordre successif qu’a lieu la naissance de nos Odynères de la ronce. »

Oui, mon vénéré maître, j’accorderai sans hésiter que les habitants de la ronce sortent de leur étui dans un ordre inverse de celui de l’âge, le plus jeune le premier, le plus âgé le dernier, sinon toujours, du moins très souvent. Mais l’éclosion, et j’entends par là la sortie du cocon, se fait-elle dans le même ordre ? L’évolution de l’aînée est-elle en retard sur celle du puîné, afin que chacun donne à ceux qui lui barreraient le passage le temps de se libérer et de laisser la voie praticable ? Je crains bien que la logique n’ai fourvoyé vos conséquences en dehors de la réalité. Rationnellement rien de plus juste, rien de plus rigoureux que vos déductions, cher maître ; et pourtant il faut renoncer à l’étrange inversion que vous invoquez. Aucun des hyménoptères de la ronce que j’ai expérimentés ne se comporte ainsi. Je ne sais rien de personnel sur l’Odynère rubicole, qui paraît étranger à ma région ; mais comme la méthode de sortie doit être à peu près la même quand l’habitation est identique, il suffit, je crois, d’expérimenter quelques-uns des habitants de la ronce pour savoir l’histoire générale des autres.

Mes études porteront de préférence sur l’Osmie tridentée, qui, par sa vigueur et le nombre de ses loges dans une même tige, se prête mieux que les autres aux épreuves du laboratoire. Le premier fait à reconnaître, c’est l’ordre d’éclosion. Dans un tube de verre, fermé par un bout, ouvert à l’autre et d’un calibre à peu près égal à celui de la galerie à l’Osmie, j’empile, exactement dans leur ordre naturel, la dizaine de cocons, plus ou moins, que j’extrais d’un bout de ronce. Cette opération est faite en hiver. Les larves sont alors, depuis longtemps, encloses dans leur outre de soie. Pour séparer les cocons entre eux, j’emploie des cloisons artificielles consistant en rondelles de sorgho à balais, d’un demi-centimètre environ d’épaisseur. La matière est une moelle blanche, dépouillée de son enveloppe fibreuse, et facilement attaquable par les mandibules de l’Osmie. Mes diaphragmes dépassent de beaucoup en épaisseur les cloisons naturelles ; c’est avantageux, ainsi qu’on va le voir ; du reste, il ne sera pas aisé de faire usage de plus faibles, car ces rondelles doivent pouvoir supporter la pression du refouloir qui les met en place dans le tube. D’autre part, l’expérience m’a démontré que l’Osmie en a facilement raison quand il s’agit d’y faire brèche.

Pour éviter l’accès de la lumière, qui troublerait mes insectes, destinés à passer, leur vie larvaire dans une obscurité complète, j’enveloppe le tube d’un épais fourreau de papier, facile à retirer et à remettre quand le moment de l’observation sera venu. Enfin les tubes ainsi préparés, soit avec l’Osmie, soit avec d’autres habitants de la ronce, sont suspendus suivant la verticale et l’orifice en haut, dans un recoin de mon cabinet. Chacun de ces appareils réalise assez bien les conditions naturelles : les cocons d’un même bout de ronce y sont empilés dans le même ordre qu’ils avaient dans la galerie natale, le plus vieux au fond du tube, le plus jeune à proximité de l’orifice ; ils sont isolés par des cloisons ; ils sont dirigés suivant la verticale, la tête en haut ; de plus, mon artifice a l’avantage de substituer, à la paroi opaque de la ronce, une paroi transparente, qui me permettra de suivre l’éclosion jour par jour, à tout instant jugé opportun.

C’est en fin juin pour les mâles et au commencement de juillet pour les femelles, que l’Osmie déchire son cocon. Cette époque venue, on doit redoubler la surveillance et répéter l’examen des tubes plusieurs fois dans la même journée si l’on tient à dresser un exact état civil des naissances. Or, depuis six années que cette question me préoccupe, j’ai vu, j’ai revu à satiété, et suis en mesure d’affirmer qu’aucun ordre, absolument aucun, ne préside à la série des éclosions. Le premier cocon rompu peut être celui du fond du tube, celui du bout opposé, celui du milieu, ou de toute autre région indifféremment. Le deuxième lacéré tantôt avoisine le premier, tantôt en est éloigné de plusieurs rangs soit en avant, soit en arrière. Parfois plusieurs éclosions se font dans la même journée, dans la même heure, les unes plus reculées dans la série des loges, les autres plus avancées, et sans motifs apparents de cette simultanéité. Bref, les éclosions se succèdent, je ne dirai pas au hasard, car chacune d’elles est déterminée dans le temps par des causes impossibles à démêler, mais à l’imprévu de notre jugement, guidé par telle et telle autre considération.

Si nous n’avions pas été dupes d’une logique trop étroite, peut-être aurions-nous pressenti ce résultat. Les œufs sont déposés dans leurs cellules respectives à peu de jours, à peu d’heures d’intervalle. Que peut une si faible différence d’âge dans l’évolution totale, qui dure une année ? La précision mathématique est ici hors de cause. Chaque germe, chaque larve a son énergie propre, déterminée on ne sait comment, et variable d’un germe à l’autre, d’une larve à l’autre. Suivant qu’il favorise celui-là, ce surcroît de vitalité, don de l’œuf encore dans l’ovaire, ne peut-il, à l’éclosion finale, faire précéder l’aîné par le plus jeune ou le plus jeune par l’aîné, et reléguer au second rang les effets d’une chronologie minutieuse ? Parmi les œufs que couve la poule, est-ce bien toujours le plus vieux qui éclôt le premier ? De même la larve la plus vieille, logée dans l’étage du fond, n’arrive pas, de préférence à toute autre, la première à l’état parfait.

Un autre motif, si nous avions plus mûrement réfléchi sur le sujet, aurait ébranlé notre foi dans un ordre de rigueur mathématique. La même nichée formant le chapelet de cocons d’un bout de ronce, contient à la fois des mâles et des femelles, et les deux sexes sont répartis au hasard dans la série totale. Or il est de règle chez les hyménoptères que les mâles sortent du cocon un peu plus tôt que les femelles. Pour l’Osmie tridentée, cette avance est d’environ une semaine. Ainsi, dans une galerie bien peuplée, il se trouve toujours un certain nombre de mâles dont l’éclosion devance de huit jours celle des femelles, et qui sont distribués çà et là dans la série. Cela suffirait pour rendre impossible toute progression régulière des éclosions dans un sens aussi bien que dans l’autre.

Ces prévisions sont d’accord avec les faits : la chronologie des cellules ne renseigne en rien sur la chronologie des éclosions, celles-ci s’accomplissant sans aucun ordre dans la série. Il n’y a donc pas abdication de primogéniture, comme le pense L. Dufour ; chaque Osmie, sans se régler sur les autres, rompt son cocon à son heure, déterminée par des causes qui nous échappent et remontent sans doute aux virtualités propres de l’œuf. Ainsi se conduisent les autres habitants de la ronce que j’ai soumis à la même épreuve (Osmia detrita, Anthidium scapulare, Solenius vagus, etc.) ; ainsi doit se conduire l’Odynère rubicole, les analogies les plus pressantes l’affirment. L’exception singulière qui frappait tant l’esprit de L. Dufour est alors une pure illusion de logique.

Une erreur écartée équivaut à une vérité acquise ; cependant, s’il devait se borner là, le résultat de mes expériences serait de mince valeur. Après avoir détruit, tâchons de reconstruire, et peut-être trouverons-nous à nous dédommager d’une illusion perdue. Assistons d’abord à la sortie.

La première Osmie issue des cocons, n’importe sa place dans la série, ne tarde pas à attaquer le plafond qui la sépare de l’étage suivant. Elle y creuse un pertuis assez net en forme de cône tronqué, ayant sa large base du côté où se trouve l’abeille et sa petite base du côté opposé. Cette configuration de la porte de sortie est inhérente au travail. L’insecte, quand il essaye d’attaquer le diaphragme, creuse d’abord un peu au hasard, puis, à mesure que le forage progresse, l’action se concentre sur une aire qui se rétrécit jusqu’à n’offrir que tout juste le passage nécessaire. Aussi le pertuis conique n’est-il pas spécial à l’Osmie ; je l’ai vu pratiquer par les autres habitants de la ronce à travers mes épaisses rondelles en moelle de sorgho. Dans les conditions naturelles, les cloisons, fort minces d’ailleurs, sont détruites de fond en comble, car le rétrécissement supérieur de la cellule ne laisse guère que le large nécessaire à l’insecte. La brèche en cône tronqué m’a été souvent très utile. Sa large base me permettait, sans avoir assisté au travail, de juger laquelle des deux Osmies voisines avait perforé la cloison ; elle m’indiquait dans quel sens s’était opéré un déménagement nocturne, dont je n’avais pu être témoin.

L’Osmie la première éclose, ici ou là, a troué son plafond. La voici en présence du cocon qui suit, la tête à l’orifice du pertuis. Pleine de scrupule devant ce berceau de l’une de ses sœurs, habituellement elle s’arrête ; elle recule dans sa loge, s’y démène au milieu des lambeaux de cocon et des plâtras du plafond effondré ; elle attend un jour, deux jours, trois jours et plus s’il le faut. Si l’impatience la gagne, elle essaye de se couler entre la paroi du canal et le cocon qui lui barre le chemin. Un travail d’érosion est même entrepris, avec ténacité, pour agrandir s’il se peut l’intervalle. Dans le canal d’une ronce, on reconnaît semblables tentatives en des points où la moelle est enlevée jusqu’au bois, où l’enceinte ligneuse est elle-même assez profondément rongée. Inutile de dire que, si ces érosions latérales sont reconnaissables après coup, elles échappent à l’examen au moment où elles se font.

Pour y assister, il faut modifier un peu l’appareil en verre. Je double l’intérieur du tube d’une épaisse feuille de papier gris, mais sur la moitié de la circonférence seulement ; l’autre moitié, restant nue, me permettra de suivre les essais de l’Osmie. Eh bien, la captive s’acharne sur cette doublure, qui lui représente la couche de moelle de son habituel logis ; elle l’arrache par menues parcelles et s’efforce de s’ouvrir une voie entre le cocon et la paroi de verre. Les mâles, de taille un peu moindre, ont plus que les femelles la chance de réussir. S’aplatissant, se faisant petits, déformant un peu le cocon, qui revient du reste à son premier état par le fait de son élasticité, ils s’insinuent dans l’étroit défilé et parviennent dans la loge suivante.

Quand elles sont bien pressées de sortir, les femelles en font autant, si le tube s’y prête un peu. Mais la première cloison franchie, une autre se présente. Elle est percée à son tour. Pareillement seront percées la troisième et d’autres encore jusqu’à épuisement des forces, si l’insecte peut y parvenir. Trop faibles pour ses trouées multiples, les mâles ne vont pas loin à travers mes épais tampons. S’ils viennent à bout de percer le premier, c’est tout ce qu’ils peuvent faire, et encore sont-ils loin de réussir toujours. Mais dans les conditions que leur offre la tige natale, ils n’ont à forcer que des diaphragmes de peu de résistance ; et alors s’insinuant, comme je viens de le dire, entre le cocon et la paroi un peu corrodée par la circonstance, ils peuvent franchir les cellules encore occupées et parvenir au dehors les premiers, quel que soit leur rang dans l’empilement des loges. Il est possible que leur éclosion précoce leur impose ce mode de sortie qui, s’il est souvent essayé, ne réussit pas toujours. Les femelles, douées de robustes outils, progressent plus loin dans mes tubes. J’en vois qui percent trois ou quatre cloisons de file et s’avancent d’autant de rangs dans la série avant l’éclosion de celles qu’elles ont dépassées. Pendant ce long labeur, d’autres, plus rapprochées de l’orifice, ont frayé un passage, dont profiteront celles qui viennent de plus loin. Il peut se faire ainsi, quand l’ampleur du tube le permet, qu’une Osmie d’un rang reculé arrive néanmoins à sortir des premières.

Dans le canal de la ronce, d’un diamètre exactement égal à celui du cocon, cette évasion par le flanc de la colonne ne me paraît guère praticable, si ce n’est pour quelques mâles, et encore faut-il qu’ils trouvent une paroi assez riche en moelle, où la dénudation puisse leur ouvrir un défilé. Supposons donc un tube assez étroit pour s’opposer à toute sortie anticipant sur l’ordre des loges. Qu’adviendra-t-il ? Rien que de très simple. L’Osmie qui, venant d’éclore et de trouer sa cloison, se trouve en face d’un cocon intact par lequel la voie est obstruée, fait quelques tentatives sur les côtés, et son impuissance reconnue, elle rentre dans sa loge, où elle attend des jours et puis des jours encore, jusqu’à ce que sa voisine rompe à son tour son cocon. Sa patience est inaltérable. Du reste, elle n’est pas mise à une trop longue épreuve, car dans l’intervalle d’une semaine, plus ou moins, toute la file des femelles est éclose.

Si deux Osmies voisines sont libres en même temps, il y a des visites mutuelles à travers le pertuis qui fait communiquer les deux chambres : celle d’en haut descend dans l’étage du bas, celle d’en bas monte dans l’étage d’en haut ; parfois les deux sont dans la même loge. Cette fréquentation ne serait-elle pas de nature à les réconforter et à leur faire prendre patience ? Cependant, un peu de ci, un peu delà, des portes s’ouvrent à travers les murailles de séparation ; la voie se fait par tronçons, et un moment vient où le chef de file sort. Les autres suivent si elles sont prêtes ; mais il y a toujours des retardataires qui font attendre jusqu’à leur sortie celles d’un rang plus reculé.

En somme, d’une part l’éclosion s’accomplit sans ordre aucun ; d’autre part, la sortie procède avec régularité, du sommet à la base, mais uniquement par suite de l’impossibilité où se trouve l’insecte d’aller plus avant tant que les loges supérieures ne sont pas évacuées. Il n’y a pas ici évolution exceptionnelle, inverse de l’âge, mais simple impuissance de sortir autrement. Si la possibilité se présente de sortir avant son tour, l’hyménoptère ne manque pas d’en profiter, comme le témoignent ces glissements latéraux qui font progresser les impatients de quelques rangs et même libèrent les mieux favorisés. Tout ce que je vois de remarquable, c’est le scrupuleux respect pour le cocon voisin non encore ouvert. Si pressée qu’elle soit de sortir, l’Osmie se garde bien d’y porter les mandibules : c’est sacré. Elle démolira la cloison, elle rongera la paroi avec acharnement, serait-elle réduite au bois seul, elle mettra tout en poudre autour d’elle ; mai attaquer un gênant cocon, jamais, au grand jamais. Il ne lui est pas permis de s’ouvrir une trouée en éventrant les cocons de ses sœurs.

Vainement l’Osmie est patiente : il peut se faire que la barricade obstruant la voie jamais ne disparaisse. Dans une cellule parfois l’œuf ne se développe pas ; et les provisions, non consommées, deviennent, en se desséchant, un tampon compact, visqueux, moisi, à travers lequel les habitants des étages inférieurs ne sauraient se frayer un passage. Parfois encore une larve meurt dans son cocon, et le berceau de la défunte, devenu cercueil, forme un obstacle d’une durée indéfinie. En ces graves occurrence, comment se tirer d’affaire ?

Parmi tous les bouts de ronce que j’ai recueillis, quelques-uns, en très petit nombre, m’ont présenté une particularité remarquable. Outre l’orifice supérieur, ils avaient sur le flanc un et quelquefois deux orifices ronds, comme pratiqués à l’emporte-pièce. En ouvrant ces tiges, vieux nids abandonnés, j’ai reconnu la cause de ces fenêtres, si exceptionnelles. Au-dessus de chacune d’elles était une cellule pleine de miel moisi. L’œuf avait péri et les provisions étaient restées intactes : d’où l’impossibilité de sortir par la voie ordinaire. Ainsi murée chez elle par l’infranchissable tampon, l’Osmie de l’étage inférieur s’était pratiqué une issue à travers la paroi de l’étui, et celles des étages situés plus bas avaient profité de cette ingénieuse innovation. La porte habituelle étant inaccessible, on avait ouvert, à la force des mâchoires, une fenêtre latérale. Les cocons déchirés, mais encore en place dans les appartements inférieurs, ne laissaient aucun doute sur ce mode original de sortie. D’ailleurs, le même fait se répétait, sur divers tronçons de ronce, pour l’Osmie tridentée ; il se répétait aussi pour l’Anthidie à scapulaire. L’observation méritait d’être confirmée expérimentalement.

Je choisis un bout de ronce à mince paroi, autant que faire se peut, pour faciliter le travail aux Osmies. Je le fends en deux, j’extrais les cocons, et je ratisse avec soin chaque moitié à l’intérieur de façon à obtenir une rigole à paroi uni qui me permettra de mieux juger des évasions futures. Les cocons sont alors alignés dans l’une des rigoles. Je les sépare par des rondelles de sorgho dont chaque face est revêtue d’une bonne couche de cire d’Espagne, matière non attaquable par les mandibules de l’hyménoptère. Les deux rigoles sont juxtaposées et réunies par quelques liens. Un peu de mastic fait disparaître les jointures et intercepte à l’intérieur tout rayon de clarté. Les appareils sont enfin suspendus suivant la verticale, la tête des cocons en haut. Il n’y a plus qu’à attendre. Aucune des Osmies ne peut sortir suivant le mode habituel, renfermées qu’elles sont entre deux cloisons goudronnées de cire d’Espagne. Pour venir au jour, elles n’ont qu’une ressource : s’ouvrir chacune une fenêtre latérale, si toutefois elles en ont l’instinct et le pouvoir.

Au mois de juillet, le résultat est celui-ci. Sur une vingtaine d’Osmies ainsi claquemurées, six parviennent à forer la paroi d’un trou rond par où elles sortent ; les autres périssent dans leurs loges sans parvenir à se libérer. Mais en ouvrant le cylindre, en séparant les deux rigoles de bois, je reconnais que toutes ont essayé l’évasion latérale, car la paroi porte dans chaque loge des traces d’érosion concentrées en un point. Toutes ont donc fait comme leurs sœurs plus heureuses ; si elles n’ont pas réussi, c’est que les forces leur ont manqué. Enfin, dans mes appareils en verre, à demi doublés à l’intérieur d’une épaisse feuille de papier gris, je constate souvent des essais pour une fenêtre sur le flanc de la loge : le papier est percé de part en part d’un trou rond.

Encore un résultat que j’enregistre volontiers pour l’histoire des habitants de la ronce. Si l’Osmie, si l’Anthidie et probablement d’autres, sont dans l’impuissance de sortir par l’habituelle voie, un parti héroïque est pris, et l’étui est perforé sur le côté. C’est l’ultime ressource, celle à laquelle on se résout après avoir essayé vainement les autres moyens. Les vaillants, les forts réussissent ; les faibles succombent à la peine.

En supposant que toutes les Osmies fussent en possession de la force de mâchoire nécessaire à ce forage latéral dont elles ont l’instinct, il est clair que la sortie de chaque cellule par une fenêtre spéciale serait beaucoup plus avantageuse que la sortie par la porte commune. L’insecte, aussitôt éclos, pourrait s’occuper de sa mise en liberté au lieu de la différer jusque après la libération de ceux qui le précèdent ; il éviterait ainsi de longues attentes, qui trop souvent lui sont fatales. Il n’est pas rare, en effet, de trouver des bouts de ronce où plusieurs Osmies sont mortes dans leurs loges, parce que les étages supérieurs n’ont pas été évacués à temps. Oui, ce serait très précieux avantage que cette ouverture latérale, ne subordonnant pas chaque habitant aux éventualités du voisinage : beaucoup périssent qui ne périraient point. Toutes les Osmies, quand les circonstances les y contraignent, en viennent à ce moyen par excellence ; toutes ont l’instinct de trouer par côté ; mais bien peu viennent à bout de l’œuvre. Les privilégiées du sort, les mieux douées en persévérance et en vigueur, seules réussissent.

Si la fameuse loi de sélection qui, dit-on, régente et transforme le monde, avait quelque chose de fondé ; si réellement le mieux doué écartait de la scène le moins bien doué ; si l’avenir était au plus fort, au plus industrieux, n’est-il pas vrai que depuis qu’elle fore des bouts de ronce, la race des Osmies aurait dû laisser éteindre les faibles, qui s’obstinent à la sortie commune, et les remplacer jusqu’au dernier par les vigoureux perforateurs de pertuis latéraux ? Il y a là un progrès immense à faire pour la prospérité de l’espèce ; l’insecte y touche, et il ne peut franchir l’étroite ligne qui l’en sépare. La sélection a certes eu le temps de choisir, et, cependant, s’il y a quelques succès, les insuccès dominent et de beaucoup. La lignée des forts n’a pas fait disparaître la lignée des impuissants ; elle reste inférieure en nombre, ce que de tout temps elle a été sans doute. La loi de sélection me frappe par sa vaste portée ; mais toutes les fois que je veux l’appliquer aux faits observés, elle me laisse tournoyer dans le vide, sans appui pour l’interprétation des réalités. C’est grandiose en théorie, c’est ampoule gonflée de vent en face des choses. C’est majestueux, mais stérile. Où donc est la réponse à l’énigme du monde ? Qui le sait ? Qui jamais le saura ?

Ne nous attardons pas davantage au milieu de ces ténèbres, que nos vaines théories ne dissiperont pas ; revenons aux faits, aux modestes faits, le seul terrain qui ne s’effondre pas sous les pieds. L’Osmie respecte le cocon de sa voisine, et son scrupule est tel, qu’après avoir essayé vainement de se glisser entre ce cocon et la paroi, ou bien de s’ouvrir une issue latérale, elle se laisse mourir dans sa loge plutôt que de passer outre en faisant trouée violente à travers les loges occupées. Si le cocon obstruant la voie contient une larve morte au lieu d’une larve vivante, en sera-t-il de même ?

Dans mes tubes de verre, je fais alterner des cocons d’Osmie contenant une larve vivante, avec d’autres cocons de la même espèce mais à larve asphyxiée par un séjour dans les vapeurs de sulfure de carbone. Des rondelles de sorgho séparent comme toujours les étages. À l’éclosion, les recluses n’hésitent pas longtemps. Une fois la cloison percée, elles attaquent les cocons morts, les traversent de part en part, mettent en poudre la larve morte, actuellement sèche et ratatinée ; elles sortent enfin après avoir tout bouleversé sur leur trajet. Donc les cocons morts ne sont pas épargnés ; ils sont traités comme le serait tout autre obstacle attaquable par les mandibules. L’Osmie n’y voit qu’une barricade à culbuter sans ménagement. Comment est-elle avertie que le cocon, où rien n’est changé quant à l’extérieur, renferme une larve morte et non vivante ? Ce n’est certes pas par la vue. Serait-ce par l’odorat ? Je me méfie toujours un peu de cet odorat, dont on ne sait pas le siège, et que l’on invoque à tout propos pour expliquer commodément ce qui, peut-être, est au-dessus de nos explications.

Cette fois la série ne se compose que de cocons vivants. Ces cocons, je ne peux les prendre évidemment dans la même espèce, car l’expérience ne différerait pas de ce que nous avons déjà vu ; je les prends dans deux espèces différentes, qui sortent de la ronce à des époques ne se confondant pas. De plus, ces cocons doivent être à peu près de même diamètre pour convenir à l’empilement dans un tube sans intervalle vide du côté de la paroi. Les deux espèces adoptées sont le Solenius vagus, qui abandonne la ronce en fin juin, et l’Osmia detrita, qui sort un peu plus tôt, dans la première quinzaine du même mois. Dans des tubes de verre, ou bien entre deux rigoles de ronce rapprochées en cylindre, j’alterne donc des cocons d’Osmie avec des cocons de Solenius. Ce dernier termine en haut la série.

Le résultat de cette promiscuité est frappant. Les Osmies, plus précoces, sortent ; et les cocons de Solenius ainsi que leurs habitants, parvenus alors à l’état parfait, sont réduits en lambeaux, en poudre, où il m’est impossible de rien reconnaître, si ce n’est çà et là, une tête des malheureux exterminés. Donc l’Osmie n’a pas respecté les cocons vivants d’une autre espèce ; pour sortir, elle a passé sur le corps des Solenius intercalés. Que dis-je, passé sur le corps ? Elle a passé à travers, elle a broyé les retardataires sous ses mâchoires, elle les a traitées avec la même sans-façon que mes diaphragmes de sorgho. Ces barricades étaient vivantes pourtant. N’importe ; son heure venue, l’Osmie a passé outre, détruisant tout sur son passage. Voilà une loi sur laquelle on peut du moins compter : la souveraine indifférence de l’animal pour ce qui n’est pas lui et sa race.

Et l’odorat, qui distinguait le mort du vivant ? Ici tout est vivant, et l’hyménoptère fait sa trouée comme à travers une file de morts. Si l’on dit que l’odeur des Solenius peut différer de celle des Osmies, je répondrai que tant de subtilité dans l’olfaction de l’insecte dépasse ce qu’il me semble raisonnable d’admettre. Quelle est alors mon explication du double fait ? L’explication ! mais je n’en ai pas à donner ! Très aisément, je me résous à savoir ignorer, ce qui m’épargne au moins des élucubrations creuses. J’ignore donc comment l’Osmie, dans la profonde obscurité de son canal, distingue un cocon vivant d’un cocon mort de la même espèce ; j’ignore tout autant comment elle parvient à reconnaître un cocon étranger. Oh ! comme on voit bien à ces aveux d’ignorance que je ne suis pas dans le courant du jour ! Je laisse échapper une occasion superbe d’enfiler de grands mots pour n’arriver à rien.

Le bout de ronce est vertical, ou peu éloigné de cette direction ; son orifice est en haut. Voilà la règle dans les conditions naturelles. Mes artifices peuvent modifier cet état de choses : il m’est loisible de tenir le tube vertical ou horizontal ; de diriger son orifice urique son vers le haut, soit vers le bas ; enfin de laisser le canal ouvert aux deux bouts, ce qui donnera double porte de sortie. Que se passera-t-il dans ces diverses conditions ? C’est ce que nous allons examiner avec l’Osmie tridentée.

Le tube est suspendu suivant la verticale, mais il est fermé en haut et ouvert en bas ; il représente en somme un bout de ronce renversé sens dessus dessous. Pour varier et compliquer l’épreuve, mes appareils n’ont pas leurs files de cocons disposées de la même manière. Pour les uns, la tête des cocons regarde le bas, du côté de l’ouverture ; pour les autres, elle regarde le haut, du côté fermé, pour d’autres encore, les cocons alternent d’orientation, c’est-à-dire qu’ils sont tournés tête contre tête, arrière contre arrière, tour à tour. Il va de soi que des cloisons de sorgho forment les planchers de séparation.

Pour tous ces tubes, le résultat est le même. Si les Osmies ont la tête dirigée vers le haut, elles attaquent la cloison supérieure, ainsi que cela se passe dans les conditions normales ; si elles ont la tête dirigée vers le bas, elles se retournent dans leurs loges et travaillent comme à l’ordinaire. En somme, l’élan général pour la sortie est vers le haut, dans quelque position que le cocon soit mis.

Il y a là en jeu manifestement l’influence de la pesanteur, qui avertit l’insecte de sa position renversée et le fait retourner, comme elle nous avertirait nous-mêmes si nous nous trouvions la tête en bas. Dans les conditions naturelles, l’insecte n’a qu’à suivre les avis de la pesanteur, qui lui dit de creuser en haut, et il arrivera infailliblement à la porte de sortie, située au bout supérieur. Mais dans mes appareils, ces mêmes avis le trahissent ; il se dirige vers le haut, où ne se trouve pas d’issue. Ainsi fourvoyées par mes supercheries, les Osmies périssent, amoncelées dans les étages supérieurs et ensevelies dans les décombres.

Il arrive cependant que des tentatives sont faites pour se frayer un chemin par en bas. Mais dans cette direction, il est rare que le travail aboutisse, surtout pour les loges de la région moyenne ou supérieure. L’insecte a peu de tendance à cette marche inverse de celle qui lui est habituelle ; d’ailleurs, une grave difficulté surgit dans ce forage à contresens. À mesure que l’Abeille rejette en arrière d’elle les matériaux extraits, ceux-ci, par leur propre poids, retombent sous les mandibules, et le déblai est à recommencer. Exténuée par cette besogne de Sisyphe, peu confiante dans un moyen si exceptionnel, l’Osmie se résigne et périt dans sa loge. Je dois ajouter cependant que les Osmies des étages les plus inférieurs, les plus voisins de la sortie, tantôt une, tantôt deux ou trois, parviennent à se libérer. Dans ce cas, elles attaquent sans hésitation les cloisons situées au-dessous d’elles, tandis que leurs compagnes, formant la grande majorité, s’opiniâtrent et périssent dans les logis d’en haut.

L’expérience était facile à répéter, sans rien changer aux conditions naturelles, sauf l’orientation des cocons : il suffisait de suspendre suivant la verticale et l’orifice en bas, des bouts de ronce tels qu’ils avaient été recueillis. Deux tiges ainsi disposées et habitées par des Osmies, ne m’ont donné aucune sortie. Tous les insectes sont morts dans le canal, les uns tournés vers le haut, les autres tournés vers le bas. Au contraire, trois tiges habitées par des Anthidies ont eu leur population saine et sauve. La sortie s’est effectuée par le bas, du premier au dernier, sans encombre aucun. Est-ce que les deux genres d’hyménoptères seraient inégalement sensibles aux influences de la pesanteur ? Est-ce que l’Anthidie, fait pour traverser le difficile obstacle de ses sachets de coton, serait plus apte que l’Osmie à se frayer un passage dans des déblais qui retombent sous le travailleur ; ou plutôt, cette bourre elle-même n’empêcherait-elle pas pareille chute, si propre à rebuter l’insecte ? Tout cela est possible, sans que je puisse rien affirmer.

Expérimentons maintenant les tubes verticaux ouverts aux deux bouts. Les dispositions, à part l’ouverture supérieure, sont les mêmes que précédemment. Les cocons, dans quelques appareils, ont la tête tournée vers le bas ; dans d’autres, ils l’ont tournée vers le haut ; dans d’autres enfin, ils alternent entre eux de position. Le résultat est semblable à celui que nous venons d’obtenir. Quelques Osmies, les plus voisines de l’orifice inférieur, prennent la route d’en bas, quelle que soit l’orientation adoptée pour le cocon ; les autres, composant la grande majorité, prennent la route d’en haut, même lorsque le cocon se trouve renversé. Les deux portes étant libres, la sortie s’accomplit de part et d’autre avec succès.

Que conclure de toutes ces épreuves ? D’abord que la pesanteur guide l’insecte vers le haut, où se trouve la porte naturelle, et qu’elle le fait retourner dans sa loge lorsque le cocon a été mis dans une situation renversée. En second lieu, il me semble entrevoir une influence atmosphérique, et dans tous les cas une seconde cause qui achemine l’insecte vers la sortie. Admettons que cette cause soit le voisinage de l’air libre, qui agit sur les recluses à travers les cloisons.

L’animal est donc soumis d’une part aux sollicitations de la pesanteur, et il l’est d’une manière égale pour tous quel que soit l’étage occupé. Voilà le guide commun à la série entière, de la base au sommet. Mais ceux des loges du bas en ont un second lorsque le bout inférieur est ouvert. C’est le stimulant de l’air voisin, stimulant supérieur à celui de la gravité. L’accès de l’air du dehors est très faible à cause des cloisons ; s’il est sensible dans les dernières loges d’en bas, il doit diminuer rapidement à mesure que l’étage s’élève. Aussi les insectes d’en bas, en très petit nombre, obéissant à l’influence prépondérante, celle de l’atmosphère, se dirigent-ils vers la sortie inférieure, et renversent, s’il le faut, leur orientation première ; ceux d’en haut, au contraire, la grande majorité, n’étant guidés que par la pesanteur dans le cas où le bout supérieur est fermé, se dirigent vers le haut. Il va de soi que, si le bout supérieur est ouvert en même temps que l’autre, les habitants d’en haut auront double motif de prendre la voie qui monte ; ce qui n’empêchera pas les habitants des étages les plus bas d’obéir de préférence à l’appel de l’air voisin et de prendre la voie qui descend.

Une ressource me reste pour juger de la valeur de mon explication : c’est d’expérimenter avec des tubes ouverts aux deux bouts et couchés suivant l’horizontale. L’horizontalité a un double avantage. D’abord elle soustrait l’insecte à l’influence de la pesanteur, en ce sens qu’elle le laisse indifférent sur la direction à suivre, soit à droite, soit à gauche. En second lieu, elle écarte la chute des déblais qui, retombant sous les mandibules du travailleur quand le forage se pratique par en bas, rebutent tôt ou tard l’insecte et lui font abandonner son entreprise.

Quelques soins sont à prendre pour bien conduire les épreuves ; je les recommande à ceux qui seraient désireux de recommencer. Il est bon même d’en tenir compte pour les épreuves que j’ai déjà fait connaître. Les mâles, êtres chétifs, non faits pour le travail, sont de tristes ouvriers en face de mes épais diaphragmes. La plupart périssent misérablement dans leurs loges de verre, sans parvenir à percer en entier leur cloison. D’ailleurs ils sont moins bien partagés que les femelles pour les dons de l’instinct. Leurs cadavres, intercalés çà et là dans la série, sont des causes de trouble qu’il est prudent d’éliminer. Je choisis donc des cocons d’apparence la plus robuste, de dimensions les plus grandes. Ceux-là, sauf quelques erreurs difficiles à éviter, appartiennent à des femelles. Je les empile dans des tubes en variant leur orientation de toutes les façons ou bien gardant pour tous une disposition pareille. Peu importe que la série entière provienne d’un même bout de ronce ou de plusieurs ; il nous est loisible de choisir où nous voudrons, le résultat ne sera pas modifié.

La première fois que j’ai préparé de cette manière un tube horizontal ouvert aux deux bouts, le résultat m’a vivement frappé. La série comprenait dix cocons. Elle s’est partagée en deux escouades égales : les cinq de gauche sont sortis par la gauche, les cinq de droite sont sortis par la droite, en renversant, lorsqu’il le fallait, leur orientation première. C’était fort remarquable de symétrie, c’était de plus un arrangement d’une probabilité bien faible, dans le nombre de tous les arrangements possibles, ainsi que le calcul va l’établir.

Supposons n Osmies. Chacune d’elles, du moment que la gravité n’intervient pas et la laisse indifférente pour les deux extrémités du tube, est susceptible de deux positions suivant qu’elle choisit la sortie de droite ou la sortie de gauche. Avec chacune des deux positions de cette première Osmie peut se combiner chacune des deux positions de la seconde : ce qui donne en tout 2 x 2 = 2² arrangements. À leur tour, chacun de ces 2 puissance 2 arrangements peut se combiner avec chacune des deux positions de la troisième Osmie. On obtient ainsi 2 x 2 x 2 = 2³ arrangements avec trois Osmies. Et ainsi de suite, chaque insecte en plus apportant le facteur 2 au résultat précédemment obtenu. Avec n Osmies, le total des arrangements est donc 2 puissance n.

Mais remarquons que ces arrangements sont symétriques deux à deux ; à tel arrangement vers la droite correspond un pareil arrangement vers la gauche ; et cette symétrie entraîne l’équivalence, car dans le problème qui nous occupe, il est indifférent qu’un arrangement déterminé corresponde à la gauche ou à la droite du tube. Le nombre précédent doit donc être divisé par 2. Ainsi n Osmies, suivant que chacune d’elles tourne sa tête vers la droite ou vers la gauche dans mon tube horizontal, peuvent affecter des arrangements au nombre de 2 puissance n-1. Si n = 10, comme dans ma première expérience, le nombre d’arrangements devient 2 puissance 9 = 512.

Ainsi, sur 512 manières que mes dix insectes pouvaient affecter dans leur orientation de sortie, s’était réalisée l’une de celles dont la symétrie est la plus remarquable. Et notons bien que ce n’était pas là un résultat obtenu par des essais multipliés, par des tentatives sans ordre. Chaque Osmie de la moitié de droite avait troué à droite sans toucher à la cloison de gauche, chaque Osmie de la moitié de gauche avait troué à gauche sans toucher à la cloison de droite. La forme des orifices et l’état des surfaces des cloisons au besoin l’indiquait. Il y avait eu décision immédiate, moitié pour la gauche, moitié pour la droite.

L’arrangement réalisé a un autre mérite, supérieur au mérite de la symétrie : c’est celui de correspondre à la moindre somme de forces dépensées. Pour la sortie de toute la série, si la file se compose de n loges, il y a d’abord n cloisons à percer. Il pourrait même y en avoir une de plus par le fait d’un enchevêtrement que j’écarte. Il y a, dis-je, pour le moins, n cloisons à perrcer. Que chaque Osmie perce la sienne, ou que la même Osmie en perce plusieurs en soulageant ainsi ses voisines, peu nous importe : la somme totale des forces dépensées par la série des hyménoptères sera proportionnelle au nombre de ces cloisons de quelque manière que s’effectue la sortie.

Mais il est un autre travail dont il faut largement tenir compte, car il est souvent plus pénible que le forage de la cloison ; c’est celui qui consiste à se frayer un chemin à travers les décombres. Supposons les cloisons percées et les diverses chambres obstruées chacune par les déblais qui lui correspondent, et par ces déblais uniquement, puisque l’horizontalité exclut tout mélange d’une chambre à l’autre. Pour s’ouvrir une voie à travers ces démolitions, chaque insecte aura le moindre effort à faire s’il traverse le moindre nombre de loges possible, enfin s’il s’achemine vers l’ouverture la plus rapprochée de lui. De ces moindres efforts individuels résultera le moindre effort total. C’est donc en se dirigeant comme elles l’ont fait dans mon expérience, que les Osmies opèrent leur sortie avec la moindre dépense de forces. Il est curieux de voir appliquer par un insecte le principe de la moindre action, invoqué par la mécanique.

Un arrangement qui satisfait à ce principe, se conforme aux lois de la symétrie et n’a qu’une seule chance sur 512, n’est certes pas un résultat fortuit. Une cause l’a déterminé ; et cette cause agissant toujours, le même arrangement doit se reproduire, si je recommence. J’ai donc recommencé les années suivantes, avec des appareils aussi nombreux que me le permettaient mes recherches assidues de bouts de ronce, et j’ai revu, à chaque épreuve nouvelle, ce que j’avais vu avec tant d’intérêt une première fois. Si le nombre est pair, et ma colonne se composait alors habituellement de 10, une moitié sort par la droite, l’autre sort par la gauche. Si le nombre est impair, 11 par exemple, l’Osmie qui occupe le milieu sort indifféremment par l’issue de droite ou par l’issue de gauche. Le nombre de loges à traverser étant le même pour elle d’un côté comme de l’autre, sa dépense de force ne varie pas avec la direction de la sortie, et le principe de la moindre action est toujours observé.

Il importait de reconnaître si l’Osmie tridentée partage son aptitude soit avec les autres habitants de la ronce, soit avec des hyménoptères différemment logés, mais destinés à s’ouvrir une voie pénible quand vient l’heure de quitter le nid. Eh bien, abstraction faite de quelques irrégularités provenant soit de cocons dont la larve périt dans mes tube sans se développer, soit de mâles peu experts au travail, le résultat a été le même pour l’Anthidium scapulare. Il s’est fait un partage en deux escouades égales, l’une pour la droite, l’autre pour la gauche. — Le Tripoxylon figulus m’a laissé indécis. Le débile insecte n’est pas apte à trouer mes cloisons ; il les ronge un peu, et c’est d’après les érosions qu’il m’a fallu juger de la direction adoptée. Ces érosions, non toujours bien nettes, ne me permettent pas de me prononcer encore. — Le Solenius vagus, habile perforateur, s’est comporté autrement que l’Osmie. Pour une colonne de 10, la sortie s’est effectuée en totalité dans le même sens.

J’ai soumis d’autre part à l’épreuve le Chalicodome des hangars, qui, pour sortir dans les conditions naturelles, n’a qu’à percer son plafond de ciment et ne trouve pas devant lui une suite de loges à traverser. Quoique étranger aux dispositions que je lui créais, il a donné réponse des plus affirmatives. Disposés en colonne de 10 dans un tube horizontal ouvert aux deux bouts, cinq se sont acheminés à droite et cinq se sont acheminés à gauche. — Le Dioxys cincta, parasite dans les maçonneries soit du Chalicodome des hangars, soit du Chalicodome des murailles, n’a rien fourni de précis. — Le Megachile apicalis Spin., qui édifie dans les vieilles cellules du Chalicodome des murailles ses godets en rondelles de feuilles, fait comme le Solenius et dirige toute sa colonne vers la même issue.

Tout incomplet qu’il est, ce relevé nous montre combien il serait imprudent de généraliser les conclusions où nous amène l’Osmie tridentée. Si quelques hyménoptères, l’Anthidie, le Chalicodome partagent son talent pour la double sortie, quelques autres, Solenius, Mégachile imitent les moutons de Panurge et suivent le premier qui sort. Le monde entomologique n’est pas uniforme ; les dons y sont très divers ; ce que l’une est capable de faire, l’autre ne le peut ; et bien subtil serait le regard qui verrait les causes de ces différences. Quoi qu’il en soit, de plus amples recherches augmenteront certainement le nombre des espèces aptes à la double sortie ; pour aujourd’hui, nous en connaissons trois, et cela nous suffit.

J’ajouterai que si le tube horizontal a l’un de ses bouts fermé, toute la file d’Osmies se dirige vers le bout ouvert, en se retournant, si besoin est.

Maintenant que les faits sont exposés, remontons, s’il se peut, à la cause. Dans un tube horizontal, la gravité n’agit plus pour déterminer la direction que prendra l’insecte. Faut-il attaquer la cloison de droite, faut-il attaquer la cloison de gauche ? Comment décider ? Plus je m’informe, plus mes soupçons se portent sur l’influence atmosphérique qui se fait sentir par les deux extrémités ouvertes. Cette influence, en quoi consiste-t-elle ? Est-ce un effet de pression, d’hygrométrie, d’état électrique, de propriétés échappant à notre grossière physique ? Bien hardi qui déciderait. Nous-mêmes, lorsque le temps veut changer, ne sommes-nous pas soumis à des impressions intimes, à des sensations inexplicables ? Cependant cette vague sensibilité pour les modifications atmosphériques ne nous serait pas d’un grand secours en des circonstances semblables à celles où se trouvent mes recluses. Supposons-nous dans les ténèbres et le silence d’un cachot, que suivent et que précèdent d’autres cachots. Nous avons des outils pour percer les murs ; mais où frapper pour atteindre l’issue finale et l’atteindre au plus vite ? L’influence atmosphérique ne nous en instruirait certes pas.

Elle en instruit cependant l’insecte. Si faible qu’elle soit à travers la multiplicité des cloisons, elle s’exerce d’un côté plus que de l’autre parce que la somme des obstacles y est moindre ; et l’insecte, sensible à cette différence entre ces deux je ne sais quoi, attaque sans hésiter la cloison la plus voisine de l’air libre. Ainsi se décide le partage de la colonne en deux séries inverses, qui accomplissent la libération totale avec la moindre somme de travail. Bref, l’Osmie et ses rivales sentent l’étendue libre. — Encore une aptitude sensorielle que le transformisme aurait bien dû nous laisser pour notre avantage. S’il ne l’a pas fait, sommes nous bien, ainsi que beaucoup le prétendent, la plus haute expression des progrès accomplis, à travers les âges, par le premier atome de glaire gonflé en cellule ?

  1. Insectes habitant la ronce, aux environs de Sérignan (Vaucluse).
    1) HYMENOPTERES MELLIFICIENS. — Osmia tridentata Duf. et Pér. — Osmia detrita Pérez. — Anihidium scapulare Latr. — Heriades rubicola Pérez. — Prosopis confusa Schenck. — Ceratina chalcites Germ. — Ceratina albilabris Fab. — Ceratina callosa Fab. — Ceratina coerulea Villers.
    2) HYMENOPTERES DEPREDATEURS. — Solenius vagus Fab. ( Provisions en diptères). — Solenius lapidarius Lep. (Provisions en araignées ?). — Cemonus unicolor Panz. (Provisions en pucerons). — Psen atratus ( Provisions en pucerons noirs). — Tripoxylon figulus Linn. (Provisions en araignées). — Pompilus, inconnu ( Provisions en araignées). — Odynerus delphinalis Giraud
    3) HYMENOPTERES PARASITES. — Leucopsis, inconnu, parasite de l’Anthidium scapulare. — Scolien de petite taille, inconnu, parasite du Solenius vagus. — Omalus auratus, parasite de divers rubicoles. — Cryptus bimaculatus Grav., parasite de l’Osmia detrita. — Cryptus gyrator Duf., parasite du Tripoxylon figulus. — Ephialtes divinator Rossi, parasite du Cemonus unicolor. — Ephialtes mediator Grav., parasite du Psen atratus. — Foenus pyrenaïcus Guérin. — Euritoma rubicola J. Giraud, parasite de l’Osmia detata. 4) COLEOPTERES. — Zonitis mutica Fab., parasite de l’Osmia tridentata. Pour la plus grande part, ces insectes ont passé sous les yeux d’un savant maître, M. J. Pérez, professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux. Je lui renouvelle ici mes remerciements pour la bienveillance qu’il a mise à me les déterminer.