Aller au contenu

Système des Beaux-Arts/Livre quatrième/4

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 133-134).

CHAPITRE IV

DES CHŒURS

Il y a des sons qui se contrarient et s’annulent, de la même manière que les mouvements à contretemps dans un travail commun. En revanche il y a des sons qui se renforcent par la rencontre favorable de beaucoup de petits mouvements. Il suffit de savoir là-dessus que l’air transmet les sons par des compressions et dilatations qui se communiquent de proche en proche, et que ces vibrations sont d’autant plus rapides que le son est plus aigu. D’après cela il arrive que deux sons purs entendus en même temps fassent un son variable et comme chevrotant ; ainsi deux sons peuvent faire un bruit. Mais deux sons peuvent faire aussi un son plus puissant, où l’on reconnaît une foule déjà qui chante. Il n’est pas nécessaire de connaître les causes physiques de l’unisson, de l’accord et de la dissonance ; le corps tout entier s’y met de la même manière qu’il file le son ou conduit la mélodie. Mais il y a cette différences qu’alors il prend l’autre pour modèle et maître, et l’autre aussi, ce qui fait une belle amitié d’un moment.

On pourrait dire qu’il y a deux manières de s’accorder à d’autres, dont l’une est de suivre la mélodie et de se fier à son propre talent ; c’est la moins parfaite. L’autre, plus libre malgré l’apparence, est de s’accorder à l’autre comme pour une danse, et d’improviser, si l’on peut dire, avec lui. Je crois que l’improvisation en duo, trop peu pratiquée, est le vrai moyen de parvenir à la sonorité parfaite, plus rare encore que la justesse, parce qu’elle tient compte des nuances, de l’accent, et du corps même de la voix. Mais aussi il est de la nature des chœurs de garder la simplicité et la lenteur, et de n’arriver même à la force qu’après une épreuve et une sorte d’entraînement. Un chœur serait donc toujours écrit de façon à régler d’abord les voix l’une sur l’autre. La musique instrumentale a fait oublier un peu trop ces règles prises de la nature. Presque toujours les parties sont trop séparées, trop réglées aussi par la mélodie ; on n’y trouve que rarement ces profondeurs du son, ces étendues pleines et cette joie affirmative qui sont le privilège des voix accordées. Même souvent l’accord ne subsiste que par la même mélodie reconnue, surtout dans les mouvements rapides ; et en cela les voix ne font qu’imiter les instruments ; les voix perdent beaucoup à ces jeux difficiles. Et la musique populaire se moque des recherches harmoniques. L’unisson des voix est l’accord le plus simple ; c’est aussi le plus puissant ; mais c’est aussi peut-être le plus difficile. L’oreille a de la complaisance à l’égard des parties qui se séparent, se retrouvent et jouent ; elle n’en peut avoir pour l’unisson, car l’unisson est plat et faible s’il n’est plus plein et plus riche que tout accord ; et l’auditeur en juge dans ce cas-là comme il faut, sans ce travail d’attention que réclame la musique instrumentale, plus riche en combinaisons, mais moins puissante que la musique vocale naturelle, parce qu’étant trop détachée des passions, aie a aussi moins de prise sur elles. Il faut que la musique véritable soit un cri selon la loi. On dit beaucoup qu’il faut du nouveau en musique et c’est peut-être vrai de la musique instrumentale, destinée principalement à réveiller de l’ennui ; mais les belles chansons restent belles, et l’on ne s’en lasse point.