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Tableau de Paris/312

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CHAPITRE CCCXII.

Mariage, Adultere.


Lindissolubilité du mariage fait les adulteres : on ne peut délier le nœud, on le rompt. Faut-il s’en étonner ? On a bâti le même contrat pour des êtres d’ailleurs si différens dans leur physique, dans leur fortune, dans leurs emplois, dans leurs idées ! Ici, la chaîne a été lâche ; là, trop tendue ; ici, tyrannique ; là, servant de voile à la cupidité. Le soldat, le matelot, le juge, le militaire, l’écrivain, le négociant, le cultivateur, le postillon sont asservis aux mêmes usages.

Après cela, un homme qui veille sur sa femme, passe pour jaloux, & on le blâme. Est-elle infidelle ? on ridiculise le mari. La loi qui empêche le divorce, sans avoir égard à l’antipathie des caracteres, est une loi bizarre. Elle regne à Paris mais qu’en arrive-t-il ? Vous le savez !

Le lendemain des noces bourgeoises, ou tout au plus huit jours après, quel changement s’opere dans l’esprit de l’amoureux mari ! De quelle hauteur tombent les espérances de tel honnête artisan ! Il croyoit avoir épousé une femme économe, rangée, attentive à ses devoirs. Il lui trouve tout-à-coup l’humeur dissipatrice ; elle ne peut plus rester à la maison ; elle joint la dépense à la paresse. L’inconséquence, la légéreté, la folie remplacent les occupations utiles, où elle avoit été élevée dès l’enfance. Loin de fixer dans son ménage l’aisance & la paix par un sage travail, elle se livre à la frénésie des parures.

Qui l’eût dit, que le mariage altéreroit à ce point ses premieres dispositions ? Cette fille timide, craintive, occupée dans la maison paternelle, est devenue une femme exigeante, altiere, qui ne songe qu’à ses propres jouissances, parce qu’elle a mis dans sa tête que tout l’entretien d’une maison devoit rouler sur le mari, tandis que le rôle de la femme étoit, de se livrer à une vie dissipée.

Cet artisan aura beau être laborieux & économe ; l’insouciance journaliere de son épouse mine une maison qui s’abyme insensiblement, parce que la mere de famille a manqué de vigilance, de tendresse & d’économie. Tous les désordres sont nés du premier désordre ; les enfans héritent de la misere de leurs parens, & voilà l’histoire de la moitié des mariages qui se font à Paris dans le second ordre de la bourgeoise.

Autrefois l’adultere étoit puni de mort : aujourd’hui, celui qui parleroit de ces loix austeres & antiques seroit prodigieusement sifflé.

Voyez dans toutes nos comédies, si l’on ne rit pas toujours aux dépens des maris ; voyez les petits vers de nos poëtes légers ; ils plaisantent incessamment sur le mariage, avec un sel qui réjouit tout le monde. Ces gentillesses ne sont qu’une apologie perpétuelle de l’adultere : on diroit qu’on a peur que les femmes ne comprennent assez tôt que leurs charmes ne sont pas faits pour n’appartenir qu’à un seul.

Tous les arts deviennent complices de ces exhortations à l’infidélité, tous s’empressent à les confirmer dans cette idée, à achever d’éteindre tout scrupule dans leurs ames. Nos tableaux, nos statues & nos estampes, qu’offrent-ils ? Tous les tours heureux & triomphans, joués au pauvre dieu d’Hymen. Nos peintures ne sont pas plus chastes que nos vers.

Mais de nos jours, ô raffinement criminel ! on a été encore plus loin que l’adultere ; on a corrompu l’institution la plus auguste ; on s’est servi des loix même, pour consacrer le libertinage & en produire les fruits avec audace. Cette dépravation, ce nouveau scandale, date de notre siecle : c’est encore un crime du luxe.

Un homme opulent est attaché à une fille, en a des enfans dont la loi feroit des bâtards. Il imagine de leur donner un nom & un rang ; il ordonne qu’on lui cherche quelqu’un de noble, mais dont les adversités ont dénaturé l’ame : on le trouve, on le marchande ; il est sorti d’une famille qui a un nom, mais indigente ; il a été élevé dans une fierté oisive, & il n’a pas de pain. Réduit à une pareille extrémité, l’honneur n’est pour lui qu’un vain nom. On lui propose d’épouser cette fille, & d’en reconnoître les enfans : il aura une pension qu’il ira manger dans le coin d’une province éloignée.

Le noble d’abord a quelque répugnance ; mais l’or, ce puissant mobile des actions iniques, l’or le décide. On le mene chez un notaire, où il signe un contrat qui lui assure véritablement une pension, mais qui porte une réparation de biens préliminaire.

Figurez-vous cet homme qui le lendemain trouve, dans une chapelle obscure, quatre témoins, & devant l’autel, une fille jeune & charmante qu’il n’a jamais vue : voilà sa femme, mais sous la condition expresse qu’elle ne sera jamais à lui.

Elle sort en ce moment des bras de la volupté, pour y rentrer après la cérémonie ; l’époux lui touchera une fois la main, pendant que le prêtre prononcera les paroles sacrées. Passé cet instant, à jamais séparé d’elle, il ne reconnoîtra peut-être pas le visage de celle avec qui il aura contracté. L’anneau se donne, le oui se prononce de part & d’autre, ou, pour mieux dire, le parjure & le sacrilege s’accomplissent.

En sortant de la chapelle, l’épouse, sans saluer son mari, monte dans un équipage, & se retrouve dans le lit qu’elle avoit quitté. L’époux fuit vers la province ; on lui paie une année d’avance, & il a une femme dont il ne peut pas visiter l’appartement, ni même habiter la ville. Il a & il aura des enfans qu’il n’a point vus, qu’il ne verra point, & ils porteront son nom.

Il se bannit, & va manger sa honteuse pension dans une petite ville, lorsque sa femme déployant son contrat de mariage & l’acte de célébration, se pare publiquement du nom qu’elle a acheté. Un marbre offre ce nom en lettres d’or au frontispice d’un superbe hôtel, tandis que le mari n’ose articuler le sien dans sa profonde retraite.

Voilà ce qui se pratique sous l’œil de la législation : & la loi outragée est réduite au silence ; car on a tourné contr’elle ses propres formes avec une coupable adresse : l’homme a paru se venger à son tour, d’une loi inflexible & extrême.

N’aurait-il pas mieux valu ne pas abolir ces anciens mariages mixtes & faciles, où la femme n’étoit pas déshonorée, où les enfans innocens n’étoient pas pressés entre l’abnégation & la honte ?

Quelqu’un dira qu’il faudroit le style de Juvénal pour tonner contre cette licence ; mais que feroit le plus véhément satyrique ? à quoi remédieroit-il ? La perte des mœurs vient le plus souvent de l’insuffisance des loix, de leurs erreurs & de leurs contradictions.