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Tableau de Paris/314

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CHAPITRE CCCXIV.

Maîtres Écrivains.


Il ne s’agit point ici de Corneille, de Pascal, de Lafontaine, de la Bruyere, de Fénelon, de Voltaire, de Jean-Jaques Rousseau, de Buffon, de Raynal, & de Paw ; il s’agit de Paillasson, Dautrepe, Rolan, Liversoz. Ils figurent le corps des lettres à main posée, taillent merveilleusement une plume, font le trait & déterminent ce qui caractérise la ronde, la bâtarde & la coulée. Ils sont maîtres en l’art de l’écriture, & non en l’art d’écrire.

Il est nécessaire de savoir bien figurer ses lettres ; car une mauvaise écriture ressemble au bredouillement de la parole ; mais un caractere lisible suffit. Les grands seigneurs, les jolies femmes, les auteurs se piquent de savoir mal peindre ; ils ont tort. D’un autre côté, l’importance que les maîtres écrivains mettent à une belle écriture, est plaisante. Un peu de netteté, voilà tout ce qui convient ; c’est perdre son tems que de vouloir émuler Rossignol. Si ces maîtres ont une belle main, ils n’ont pas en général une main rapide : tel clerc de notaire, tel scribe du palais, fait des expéditions qui ont une grace & une légéreté dont ces experts, avec leur peinture exacte, compassée & froide, n’ont jamais approché.

On vient d’ériger en académie cette communauté ; mais Louis XIV a bien établi une académie de danse après l’académie d’armes ; il n’y a que l’académie de coëffure qui n’a pas encore pu prendre racine : mais cela viendra dans le siecle des beaux arts.

Il y a toutes sortes d’académies établies par lettres-patentes ; on voit à Toulouse celle des lanternistes. Les anciens avoient aussi une foule d’académies ; Ælien rapporte, qu’il étoit expressément défendu d’y rire, afin que l’académie fût à l’abri de toutes sortes de ridicules. Gardons-nous donc bien de rire sous les voûtes de l’académie royale d’écriture, qui dessine si parfaitement des O, des M, des F, & qui chiffre par-dessus le marché.

La fonction la plus importante de ces maîtres-jurés écrivains, c’est qu’ils sont vérificateurs d’écritures contestées en justice ; ceci devient sérieux : l’Encyclopédie soutient que cette vérification n’est qu’une science conjecturale ; les experts disent qu’il y a des regles fixes & certaines pour convaincre les faussaires. Les experts usent de fortes loupes dans l’examen : mais ne faut-il pas autre chose qu’une loupe pour décider dans des cas semblables ? Voyez dans le dernier procès du maréchal de Richelieu, la confusion & l’ambiguïté des rapports.

La vie d’un homme dépend donc quelquefois de ces experts vérificateurs : ce seroit donner un champ trop vaste aux faussaires, que de déclarer qu’il n’y a point de moyens sûrs pour les reconnoître ; mais il faut avouer que l’Encyclopédie offre de terribles objections à résoudre, & qu’il seroit à desirer que l’on consultât tout à la fois & le maître écrivain, & l’écrivain philosophe.