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Tableau de Paris/339

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CHAPITRE CCCXXXIX.

Faux Cheveux.


Vous voyez la tête de cette belle femme, si remarquable par l’édifice de sa coëffure & ses longs cheveux flottans ; vous en admirez la couleur, la forme, le contour & l’élégance… Eh bien ! ils ne lui appartiennent pas. Ils sont empruntés à des têtes de morts ; & ce qui la décore à vos yeux, est la dépouille de sujets qui furent peut-être infectés de maladies affreuses, & dont les noms seuls offenseroient sa délicatesse, si on osoit les prononcer en sa présence.

Cependant elle s’enorgueillit de ces cheveux étrangers. Elle s’expose à hériter des principes nuisibles qu’ils peuvent receler encore. En effet, on se servoit de colliers & de bracelets de cheveux tressés : l’expérience a décidé qu’il falloit y renoncer, à cause des dartes qu’ils produisoient.

Mais les femmes aiment mieux supporter des démangeaisons incommodes que de renoncer à leur coëffure. Elles calment la vivacité de ces démangeaisons, en faisant usage du grattoir. Le sang se porte avec impétuosité à la tête ; les yeux deviennent rouges & animés : qu’importe ! on étale l’édifice dont on est idolâtre.

Indépendamment des faux cheveux, il entre dans cette coëffure un coussin énorme, gonflé de crin, une forêt d’épingles longues de sept à huit pouces, & dont les pointes aiguës reposent sur la peau. Une quantité de poudre & de pommade, qui admettent dans leur composition des aromates, & qui contractent bientôt de l’âcreté, irritent les nerfs. La transpiration insensible de la tête est arrêtée, & elle ne sauroit l’être dans cette partie du corps, sans le plus grand danger.

Si un fardeau venoit à tomber sur cette belle tête, elle risqueroit d’être criblée & percée par tous ces dards d’acier dont elle est hérissée.

Pendant le sommeil, on comprime encore & la fausse chevelure, & les épingles, & ces substances étrangeres & colorantes, à l’aide d’un triple bandeau. La tête ainsi empaquetée acquiert un triple volume, & s’enflamme sur l’oreiller.

Les maux d’yeux, la maladie pédiculaire, l’inflammation du cuir chevelu, naissent de cette complaisance outrée pour une coëffure bizarre. On ne la quitte point pendant les heures du repos ; & le coussinet, base essentielle de l’édifice, n’est quelquefois changé que lorsque la toile est détruite (l’oserai-je dire !) par la crasse infecte qui séjourne sous ce brillant diadême.

La plupart des femmes ne se donnent pas le tems d’enlever tout le superflu de la tête, parce que les heures du plaisir sont précieuses, & que la journée entiere est consacrée à la table, au jeu & à la danse. On ne peut plus se coucher qu’à deux ou trois heures après minuit, & il faut recommencer le lendemain la même vie.

La santé se dérange ; on abrege ses jours ; on perd le peu de cheveux qu’on avoit ; on est affligé de fluxions, de douleurs de dents, de maux d’oreilles, d’érésipeles ; tandis que la villageoise, la paysanne, qui se tient la tête propre & nette, qui ne se sert que de linge blanc & bien lessivé, qui use d’une pommade sans aromates & d’une poudre sans odeur, ne ressent aucune de ces incommodités, conserve ses cheveux jusques dans sa vieillesse, & les étale aux yeux de ses arriere-petits-enfans, lorsque l’âge les a blanchis pour les rendre plus vénérables encore.

Au reste, l’art du perruquier dans l’emploi de ces cheveux artificiels, est parvenu au plus haut point de perfection, & la perruque ou le tour imite aujourd’hui le naturel à s’y méprendre de près comme de loin.