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Tableau de Paris/356

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CHAPITRE CCCLVI.

Supposition.


Je vais faire une supposition qu’on appellera certainement bizarre, forcenée, extravagante ; mais j’ai mes raisons pour ne pas la passer sous silence. Si tous les ordres de l’état assemblés, ayant reconnu après un mûr examen que la capitale épuise le royaume, dépeuple les campagnes, retient loin d’elles les grands propriétaires, ruine l’agriculture, cache une multitude de bandits & d’artisans inutiles, corrompt les mœurs de proche en proche, recule l’époque d’un gouvernement formidable à l’étranger plus libre & plus heureux ; si tous les ordres de l’état, dis-je, tout vu & considéré, ordonnoient qu’on mît le feu aux quatre coins de Paris, après avoir préalablement averti les habitans une année d’avance… quel seroit le résultat de ce grand sacrifice fait à la patrie & aux générations futures ? Seroit-ce là en effet un service rendu aux provinces & au royaume ? Je vous laisse à examiner & à décider cet intéressant problême, lecteur ; & notez bien que dans cet embrasement je comprends Versailles, qui n’est qu’un appendice de la monstrueuse ville ; car Versailles n’existe que par Paris, comme Paris semble n’exister que pour Versailles.

Allons, évertuez-vous, mon cher lecteur, je ne vous dirai pas mon mot aujourd’hui ; je m’en donnerai bien de garde : avec de bons yeux, tels que les vôtres, on voit des choses que d’autres n’ont point vues, ou qu’ils ont mal vues, ce qui revient au même.

Et vous, mes chers Parisiens, consentirez-vous à être brûlés, j’entends seulement vos maisons & vos édifices ? Mais ne sachant pas combien je vous chéris, vous me condamnez moi-même au bûcher, sur cette simple supposition… Allons, appellez tous les seaux, toutes les pompes de la ville, pour éteindre ce furieux incendie : il n’y a plus que de la fumée. Bon ! vous voilà sûrs de vos maisons à huit étages. Mangeons du pain de Gonesse, comme par le passé, & vogue la galere !