Aller au contenu

Tandis que la terre tourne/Musique

La bibliothèque libre.
Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Musique.
Tandis que la terre tourneMercure de France (p. 40-42).


MUSIQUE


Je veux une musique étrange et reculée,
Comme un adieu du jour à l’horizon des nuits,
Où la face lunaire en son plein dévoilée
Laisse errer son halo comme un brouillard d’ennui ;

Qu’une lueur d’étoile y neige atténuée,
Que le silence y dorme ainsi qu’un songe amer,
Qu’on distingue pourtant le pas d’une nuée,
Qui verse en écumant sa bave dans l’éther.


Je veux une musique impalpable et ténue
Où des spectres de fleurs à flots éparpillés
Tournoieront sur une eau phosphorescente et nue
Entre des rayons bleus droits comme des piliers ;

Où des ailes sans corps apparent dans l’espace
Marieront à l’essor leur miroitement blond,
Pendant que pleurera au bord d’une terrasse,
Sans qu’une main l’effleure, un discret violon.

Cela se passera dans un pays gothique,
Dont les palais flanqués de jets lancéolés,
Dressant vers l’infini leur geste fatidique,
Légers, s’ajoureront de signes dentelés.

Les plaines fumeront comme aux lointains de brumes,
Sous le clair incessant des astres nébuleux ;
Tous les contours auront des mollesses de plumes
Et seront indécis de pénombre autour d’eux.


Les couleurs vibreront assez pour que l’on songe
Au reflet vacillant des nénufars dans l’eau,
Et les arbres seront comme un saule qui plonge
Sa chevelure triste au soir dans un ruisseau.

Le sable qui s’effrite aux cieux de crépuscule
Ouatera les chemins bordés de noirs iris
Aux pas aériens de sylphes somnambules,
Qui marcheront suivis d’une file d’ibis.

Alors, sa tête d’or reposant sur les ailes
D’une chauve-souris, la lune descendra
Vers l’étang de moiteur aussi lumineux qu’elle
Pour tracer de sa griffe un pli sur ce front ras,

Tandis que déroulant son écharpe sonore
Qui se dégagera d’un clocheton déclos,
La dolente chanson d’un bonheur qui s’ignore
S’étendra lentement sur le sommeil de l’eau.