Traité populaire d’agriculture/Entretien des champs labourés

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SECTION DEUXIÈME.

Entretien des champs labourés.

La semence enterrée, tout n’est pas encore fini, même pour les céréales, que cependant beaucoup de cultivateurs abandonnent dès lors pour ne plus s’en occuper jusqu’au moment de la récolte.

La plante réclame encore des soins généraux. Il faut la soustraire aux influences pernicieuses d’une eau surabondante : — rigolage ;

Briser cette couche superficielle qui étouffe la plante et empêche l’accès de l’air : — binage ;

Détruire ces mauvaises herbes dont la croissance rapide arrête celle du bon grain : — sarclage ;

Amasser autour de certaines plantes une terre suffisante où puissent se former de nouveaux produits : — buttage ;

Défendre enfin le champ cultivé contre les empiètements des différents animaux qui vivent au pâturage : on y parvient en construisant des clôtures.

I
RIGOLAGE.

Toutes les plantes, en général, souffrent d’un excès d’humidité.

Or, il y a toujours excès d’humidité, lorsqu’après une forte pluie, l’eau, au lieu de s’écouler rapidement, demeure stagnante à la surface du sol.

Il faut de toute nécessité obvier à cet inconvénient, aussitôt que les semailles sont terminées.

C’est par le rigolage qu’on y parvient.

On examine d’abord la conformation générale de la surface du champ, on détermine la pente du terrain. On trace ensuite, à l’aide d’une charrue à deux oreilles, dans les parties les plus basses, des rigoles profondes, dirigées vers une rigole commune qui suit la pente générale du terrain.

Le rigolage est surtout nécessaire dans les terres compactes et peu perméables.

Un détail qu’il importe de ne pas oublier, c’est d’abattre et d’étendre à une certaine distance des rigoles, la terre amassée sur leurs bords par les oreilles de la charrue.

Cette opération s’exécute facilement à l’aide d’un râteau, mais il faut l’exécuter ; autrement, la terre ainsi amassée deviendrait une véritable digue, un obstacle permanent à l’écoulement des eaux, et la portion du champ entourée par ces rigoles se transformerait en étang.

Après les orages, les grosses pluies, il est convenable de visiter ces rigoles d’écoulement, afin de pouvoir réparer celles qui auraient été obstruées par la force des eaux.

II
BINAGE.

Le binage a pour but d’ameublir le sol autour des plantes en végétation.

Il s’effectue, soit à la main, soit au moyen de la herse ou à l’aide de la houe à cheval.

Le binage à la main, le plus parfait de tous, a l’avantage de pouvoir s’appliquer même à une époque avancée de la végétation, quelle que soit la disposition des plantes sur le terrain.

Le travail de la houe à cheval, plus expéditif et moins dispendieux, ne peut s’effectuer que lorsque les plantes se trouvent en lignes et à une distance déterminée. Comme il n’opère que sur l’intervalle séparant chaque rangée de plantes, on termine par un binage à la main, et le pied de la plante se trouve alors également ameubli.

Le binage au moyen de la herse est le plus prompt et le plus économique, mais aussi le moins efficace.

C’est ce binage à la herse que donnent généralement les cultivateurs à la pomme de terre, lorsque sa tige commence à sortir du sol.

Indépendamment de l’action qu’ils peuvent avoir sur l’engrais contenu dans le sol, les binages font profiter les plantes des vapeurs humides répandues dans l’atmosphère et impriment ainsi une vive impulsion à la végétation.

Nous renvoyons le lecteur à la page 80 de ce traité ; il y trouvera les règles auxquelles est soumise l’importante opération du binage.

III
SARCLAGE.

Le sarclage proprement dit consiste, nous le savons, à détruire, en les arrachant avec la main, les mauvaises herbes qui croissent parmi les plantes cultivées.

On assure ainsi aux récoltes l’espace et la nourriture auxquelles elles ont droit.

On arrive également à ce résultat par le hersage, le binage et le buttage ; mais, il est facile de le comprendre, ces opérations ne sont pas possibles dans toutes les cultures, ni à toutes les périodes d’une culture en particulier.

On y supplée par le sarclage.

Pour atteindre son but, le sarclage doit être appliqué lorsque les mauvaises herbes n’ont pas encore pris un grand développement. Il se pratique avec facilité lorsque la terre, sans être humide, conserve encore assez de fraîcheur pour que les plantes soient aisément arrachées.

En général, on ne doit jamais sarcler par un temps humide, sous peine de pétrir la terre et de voir la plupart des mauvaises herbes reprendre après avoir été détachées du sol.

Fait à la main et dans la première période de la végétation, le sarclage est alors avantageusement suivi d’un coup de herse, qui ameublit bien le terrain et le purge surtout des mauvaises herbes qui ont pu, après leur arrachage, être enfoncées dans le sol par le piétinement des travailleurs.

Il faut recourir au sarclage aussi souvent que la terre s’infeste de mauvaises herbes, et jusqu’à ce que la récolte soit assez vigoureuse pour étouffer, par sa propre végétation, toutes les plantes étrangères.

IV
BUTTAGE.

En accumulant de la terre meuble au pied des plantes parvenues à un certain degré de maturité, résultat qu’on obtient par le buttage, on met à leur disposition une plus grande quantité de principes nutritifs ; on favorise d’une manière toute spéciale le développement de leurs parties souterraines.

Le buttage, en effet, y maintient la fraîcheur ; il contribue aussi énergiquement à la destruction des mauvaises herbes et, dans certains cas, préserve les plantes du froid.

Le buttage se fait à la main ou à l’aide du buttoir : ce dernier procédé, de beaucoup le plus parfait et le plus expéditif, est aussi le plus économique.

Le moment le plus favorable au buttage est celui où les plantes ont pris assez de développement pour que leur tige ne soit pas entièrement couverte par la terre jetée à droite et à gauche par les deux oreilles de la charrue.

Le buttage est bien fait lorsque la terre, relevée des deux côtés de l’ados, ne forme qu’une arête au sommet, laissant passer la partie supérieure de la tige.

Dans certaines circonstances déterminées par la végétation des plantes, l’opération du buttage s’effectue en deux fois.

Voici alors comment on procède.

La première fois, on écarte beaucoup les oreilles ou versoirs et on ne pénètre qu’à une petite profondeur ; la deuxième fois, c’est-à-dire après un intervalle de dix ou quinze jours, suivant la rapidité de la végétation, on rapproche davantage les versoirs et on pénètre plus avant.

L’opération est alors complète.

V
CLÔTURES.

Clore un champ est une opération importante, d’une nécessité absolue.

Avec notre système de culture, notre système de pâturage, point de récoltes si l’on n’empêche l’accès des champs cultivés par un mur assez fort et assez élevé ; assez fort pour résister aux animaux, assez élevé pour qu’ils ne puissent le franchir.

Ce mur d’enceinte, c’est la clôture.

Avec notre climat rigoureux, nos froids hyperboréens, il est bon d’amasser sur nos prairies et nos pâturages une couche épaisse de neige.

C’est un manteau jeté sur le tapis vert de nos champs, qui protège la racine des plantes contre les pernicieux effets des gelées.

On l’obtient par la clôture.

On distingue les clôtures en clôture de ligne, clôture de refend, clôture de traverse.

On appelle clôture de ligne celle qui sépare deux propriétés, clôture de refend celle qui subdivise une même propriété dans le sens de la longueur, et clôture de traverse ou simplement traverse, celle qui sépare ou subdivise les propriétés dans le sens de la largeur.

Toute clôture comprend deux parties distinctes : une partie verticale, composée, le plus généralement, de deux petits poteaux en bois, enfoncés en terre et auxquels on donne le nom de piquets ; une partie horizontale, formée de trois, quatre ou cinq traverses en bois, superposées les unes aux autres, reliant les piquets entre eux et connus sous le nom de pieux ou perches.

Les piquets doivent être en cèdre ; on leur donne une longueur de cinq à six pieds.

Pour leur assurer une durée plus longue, on carbonise le bout que l’on doit enfoncer dans le sol, après qu’il a été préalablement taillé en pointe.

On le taille en pointe pour faciliter son entrée dans la terre et on le carbonise parce que alors il acquiert la propriété de résister plus longtemps à la putréfaction.

Les pieux ont généralement une longueur de dix à douze pieds.

Avant de les employer on leur équarrit les bouts sur deux faces, afin qu’ils puissent facilement pénétrer entre les deux piquets qui doivent les retenir et y occuper, par leur épaisseur, un espace sensiblement le même.

On pratique aussi sur les pieux ce qu’on appelle le recepage. Receper les pieux c’est les tailler tous de la même longueur : l’opération se fait à l’aide d’une scie.

Voici maintenant comment on procède pour faire la clôture.

Deux piquets sont d’abord enfoncés à coups de masse, un de chaque côté du pieu dont l’épaisseur détermine ainsi l’espace qui doit exister entre les piquets. À l’autre extrémité du pieu, on enfonce de la même manière deux autres piquets. Cette extrémité du pieu repose sur un bloc en bois ou sur une pierre qui la soulève de quelques pouces du sol. Sur cette extrémité ainsi soulevée du premier pieu, on pose un second pieu dont le bout opposé reposant sur un bloc marque l’endroit où l’on doit enfoncer une autre paire de piquets, et ainsi de suite jusqu’au bout du champ.

La seconde rangée de pieux se pose d’une manière analogue ; on supprime toutefois les blocs, l’épaisseur des pieux du premier rang suffisant pour espacer convenablement un rang d’un autre.

On pose subséquemment une troisième et souvent une quatrième rangée de pieux.

Chaque paire de piquets renferme, dans une clôture de quatre pieux, les quatre bouts des pieux d’une pagée, ainsi que les bouts des quatre pieux de la pagée suivante ; de sorte que réellement, chaque paire de piquets renferme huit pieux.

Ceci est important à savoir pour déterminer l’endroit où doit passer le lien qui unit un piquet à l’autre, à son vis-à-vis.

Dans toute clôture bien faite, ce lien passe entre le cinquième et le sixième pieu.

L’avantage d’un tel arrangement est facile à saisir.

Et en effet, si l’on place dans une paire de piquets le lien qui doit les unir entre le cinquième et le sixième pieu, on trouvera que ce sixième pieu qui vient dans un piquet, immédiatement au-dessus du lien, n’est plus que le cinquième au piquet suivant, par conséquent est placé immédiatement au-dessous du lien.

Dans toute pagée à quatre pieux, c’est le troisième qui se trouve ainsi sixième dans une paire de piquets et cinquième dans l’autre.

Voici maintenant ce qui arrive.

Les pieux situés au-dessous du lien baissent souvent pour une cause ou pour une autre, ou les piquets sortent insensiblement de terre, éloignant du sol les liens qu’ils portent.

L’espace entre les pieux situés au-dessus du lien et ceux placés au-dessous augmente ; mais alors, si on a adopté le mode de clore que l’on vient de mentionner, cet espace est traversé diagonalement par le troisième pieu ; la grandeur de l’ouverture est conséquemment diminuée.

Le lien dont on se sert le plus généralement est la cheville.

On fait avec une tarière un trou qui traverse les deux piquets ; on y place la cheville qu’on enfonce jusqu’à la tête ; on ouvre, lorsqu’elle est placée, l’autre extrémité de la cheville ; on y introduit un coin.

Le coin écarte les deux branches de la cheville et augmente tellement le volume de cette dernière qu’elle ne peut plus sortir des piquets.

On remplace très avantageusement et très économiquement — nous parlons d’expérience — le système de clore à la cheville par celui de clore à la broche.

On substitue simplement l’une à l’autre.

Voici comment on procède.

On entoure les deux piquets, entre le cinquième et le sixième pieu, d’un collier en fil de fer, d’une broche dont on accroche les deux bouts l’un à l’autre.

Pour faciliter cette dernière opération, on rapproche les têtes des piquets autant qu’il est possible.

On se sert à cet effet d’un petit cadre de bois, assez grand toutefois pour pouvoir entourer les têtes de piquets. À la base du cadre est une ouverture qui laisse passer une vis, à laquelle est adaptée extérieurement une manivelle.

En tournant la manivelle la vis entre dans le cadre, s’appuie sur un piquet, et comme l’autre piquet ne peut pas fuir, puisqu’il se trouve lui-même dans le cadre, chaque pas de vis rapproche les piquets l’un de l’autre.

Lorsque le collier de fil est posé, on dévisse, on enlève le cadre.

Avec ce système l’ouvrage marche rapidement, et, pour se servir d’une expression usitée parmi les cultivateurs, c’est un ouvrage pour toujours.

Sur notre ferme, nous avons adopté cette manière de clore ; nous avons même de la clôture faite il y a quatorze ans d’après ce système. Elle n’a pas bronché et n’exige aucune réparation annuelle.

Nous recommandons fortement cette méthode de réunir les piquets.

Elle est très économique, au point de vue de la main-d’œuvre, même au point de vue du matériel employé, si l’on sait faire un achat convenable.

Les marchands de bric-à-brac ont toujours dans leurs boutiques des haubans en fils tordus qu’ils vendent deux ou trois centins la livre. C’est le meilleur fil de fer que l’on puisse désirer : le prix n’en est pas trop élevé.