Une leçon de morale/II/Grèce ma rose de raison
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GRÈCE MA ROSE DE RAISON
I
LE SOIR RECULE
Il n’y a pas de porte mystérieuse
Par où passer de la nature à l’homme
Par où passer de la nature à l’homme
Il n’y a pas d’arbre où battent les feuilles
Sans évoquer un cœur qui se compose
Sans évoquer un cœur qui se compose
Qui se défait pour renaître au printemps
⁂
Jour après jour l’homme change de sang
Nuit noire attend la splendeur du réveil
Nuit noire attend la splendeur du réveil
Malheur accroît le pouvoir maternel
Bien plus subtil que ce qu’on lui oppose
Bien plus subtil que ce qu’on lui oppose
Jour après jour malheur fait place à l’aube.
II
DES YEUX QUI ONT VRAIMENT
TROP SOUFFERT DE VOIR
Plus beau visage ne peut pas se plaindre
Plus violemment des horreurs de la guerre
Plus violemment des horreurs de la guerre
Plus beaux yeux noirs ne peuvent se couvrir
Plus doucement d’un voile mortuaire
Plus doucement d’un voile mortuaire
Et tout vivants le chagrin les enterre.
III
PRIÈRE
DES VEUVES ET DES MÈRES
Nous avions accordé nos mains
Et nos yeux riaient sans raison
Et nos yeux riaient sans raison
Par les armes et par le sang
Délivrez-nous du fascisme
Délivrez-nous du fascisme
Nous bercions toute la lumière
Et nos seins se gonflaient de lait
Et nos seins se gonflaient de lait
Laissez-nous tenir un fusil
Pour tirer sur les fascistes
Pour tirer sur les fascistes
Nous étions la source et le fleuve
Nous rêvions d’être l’océan
Nous rêvions d’être l’océan
Donnez-nous juste le moyen
De ne pas gracier les fascistes
De ne pas gracier les fascistes
Ils sont moins nombreux que nos morts
Nos morts n’avaient tué personne
Nos morts n’avaient tué personne
Nous nous aimions sans y penser
Sans rien comprendre que la vie
Sans rien comprendre que la vie
Laissez-nous tenir un fusil
Et nous mourrons contre la mort.
Et nous mourrons contre la mort.
IV
DANS LA MONTAGNE VIERGE
Les herbes et les fleurs ne m’abandonnent pas
Leur odeur suit le vent
Leur odeur suit le vent
Les chevreaux jouent de leur jeunesse
Un aigle fait le point dans le ciel sans secrets
Un aigle fait le point dans le ciel sans secrets
Le soleil est vivant ses pieds sont sur la terre
Ses couleurs font les joues rougissantes d’amour
Et la lumière humaine se dilate d’aise
Ses couleurs font les joues rougissantes d’amour
Et la lumière humaine se dilate d’aise
L’homme en grandeur au cœur d’un monde impérissable
Inscrit son ombre au ciel et son feu sur la terre.
Inscrit son ombre au ciel et son feu sur la terre.
V
LE MONT GRAMMOS
Le mont Grammos est un peu rude
Mais les hommes l’adoucissent
Mais les hommes l’adoucissent
Les barbares nous les tuons
Nous abrégeons notre nuit
Nous abrégeons notre nuit
Plus bêtes que poudre à canon
Nos ennemis nous ignorent
Nos ennemis nous ignorent
Ils ne savent rien de l’homme
Ni de son pouvoir insigne
Ni de son pouvoir insigne
Notre cœur polit la pierre.
VI
VIEILLE JEUNESSE
À la fontaine il lui donna un baiser dans la bouche
Sous le ciel vide il lui donna ses dix doigts et ses yeux
Au cours du temps il lui donna sa vie et des enfants
Sous le ciel vide il lui donna ses dix doigts et ses yeux
Au cours du temps il lui donna sa vie et des enfants
L’écho fidèle répéta sans fin cette chanson
Le miroir clair du corps humain en fit tout un bouquet
Façon de vivre façon d’être et l’unique raison
Le miroir clair du corps humain en fit tout un bouquet
Façon de vivre façon d’être et l’unique raison
De se défendre sans douter de son éternité.
VII
POUR NE PLUS ÊTRE SEULS
Comme un flot d’oiseaux noirs ils dansaient dans la nuit
Et leur cœur était pur on ne voyait plus bien
Quels étaient les garçons quelles étaient les filles
Et leur cœur était pur on ne voyait plus bien
Quels étaient les garçons quelles étaient les filles
Tous avaient leur fusil au dos
Se tenant par la main ils dansaient ils chantaient
Un air ancien nouveau un air de liberté
L’ombre en était illuminée elle flambait
Un air ancien nouveau un air de liberté
L’ombre en était illuminée elle flambait
L’ennemi s’était endormi
Et l’écho répétait leur amour de la vie
Et leur jeunesse était comme une plage immense
Où la mer vient offrir tous les baisers du monde
Et leur jeunesse était comme une plage immense
Où la mer vient offrir tous les baisers du monde
Peu d’entre eux avaient vu la mer
Pourtant bien vivre est un voyage sans frontières
Ils vivaient bien vivant entre eux et pour leurs frères
Leurs frères de partout ils en rêvaient tout haut
Ils vivaient bien vivant entre eux et pour leurs frères
Leurs frères de partout ils en rêvaient tout haut
Et la montagne allait vers la plaine et la plage
Reproduisant leur rêve et leur folle conquête
La main allant aux mains comme source à la mer.
Reproduisant leur rêve et leur folle conquête
La main allant aux mains comme source à la mer.
Juin 1949.