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Union ouvrière/Chapitre 4

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IV.

Plan de l’UNION UNIVERSELLE
des Ouvriers et Ouvrières.


Je vais jeter ici un léger aperçu de la marche qu’il serait convenable de suivre, si l’on veut constituer promptement et sur des bases solides, L’UNION OUVRIÈRE.

Il est bien entendu que je n’ai pas la prétention de tracer un plan définitif dont on ne devra point s’écarter. Je ne pense pas qu’un plan tracé ainsi à l’avance puisse jamais se réaliser. — C’est lorsqu’on est à l’œuvre, et seulement alors, qu’il est possible de bien apprécier les moyens les plus propres à faire réussir l’entreprise. — Tailler, trancher, affirmer en théorie est, selon moi, faire preuve d’une grande ignorance des difficultés de la mise en pratique.

Cependant, comme il est naturel que la personne qui a conçu une idée, en saisisse toute l’étendue et comprenne tous les développements qu’elle peut comporter, je crois devoir, afin d’aplanir beaucoup de difficultés, poser quelques bases qui pourront servir à fonder l’organisation de l’UNION-OUVRIÈRE.

Afin qu’on puisse retrouver plus facilement les paragraphes qu’on pourrait avoir besoin de consulter, je prends le parti de les numéroter. — Cette forme paraîtra peut-être un peu bizarre ; car je n’ai pas l’intention de rédiger des statuts, mais en ceci, comme dans tout le reste de ce travail, je prie le lecteur de ne pas oublier que j’ai dû, et ne me suis, en effet, occupée que du fonds. J’ai senti que pour bien traiter de pareilles questions, il fallait se borner à être claire, laconique et ne pas reculer devant certains détails prêtant peu à faire du style ; l’élégance des formes littéraires auraient nui à mon sujet. Désirant convaincre, je devais employer la logique ; or, la logique est l’ennemie jurée des formes dites poétiques. — C’est pourquoi j’ai évité avec grand soin de me servir de cette forme qui plaît, mais en définitive ne prouve rien, et laisse le lecteur enchanté, mais non convaincu.

Voulant rendre mon idée encore plus claire, je divise l’esquisse de ce plan par parties et place en tête un sommaire où l’on pourra saisir d’un coup-d’œil les points principaux.

SOMMAIRE. — I. Comment les Ouvriers doivent procéder pour constituer l’UNION-OUVRIÈRE. — II. Comment l’UNION-OUVRIÈRE doit procéder au point de vue matériel. — III. Au point de vue intellectuel. — IV. Emploi des fonds. — V. Construction des palais. — VI. Conditions d’admission dans les palais, pour les vieillards, les blessés et les enfants. — VII. Organisation du travail dans les palais. — VIII. Education morale, intellectuelle et professionnelle à donner aux enfants. — IX. Résultats que devra avoir nécessairement cette éducation.

I. — Comment les Ouvriers doivent procéder pour constituer l’Union Ouvrière

1. Les ouvriers doivent commencer par former dans leurs sociétés respectives de compagnonnage, de l’union, de secours mutuels, etc.[1], un ou plusieurs comités (selon le nombre de sociétaires) composés de 7 membres (5 hommes et 2 femmes[2]), choisis parmi les plus capables.

2. Ces comités ne pourront recevoir aucune cotisation : — provisoirement leur fonction se bornera à faire inscrire sur un grand livre registre, le sexe, l’âge, les noms, la demeure, la profession de tous ceux qui voudront devenir membres de l’UNION-OUVRIÈRE, et le montant de la cotisation pour laquelle chacun voudra souscrire,

3. Pour avoir droit à faire mettre son nom sur le livre, il faudra prouver qu’on est effectivement ' ouvrier ou ouvrière[3]. Et nous entendons par ouvrier et ouvrière tout individu qui travaille de ses mains n’importe comment. Ainsi les domestiques, les portiers, les commissionnaires, les laboureurs et tous gens dits de peine, seront considérés comme ouvriers. On devra excepter seulement les militaires et les marins. — Voici la cause de cette exception : 1o C’est que l’État vient au secours des militaires et des marins par la caisse des invalides ; 2o C’est que les militaires ne sachant faire qu’un travail destructif et les marins un travail de mer, ne pourraient ni les uns ni les autres trouver à s’occuper utilement dans les palais de l’UNION-OUVRIÈRE.

4. Cependant, comme les soldats et les marins appartiennent à la classe ouvrière, et qu’à ce titre ils ont droit à faire partie de l’UNION OUVRIÈRE, on les inscrira sur un livre à part à titre de frères. Ils pourront verser des cotisations afin de faire admettre leurs enfants dans les palais. Sur un troisième livre on inscrira, à titre de membres sympathiques, toutes les personnes qui voudront coopérer à la pros périté de la classe ouvrière.

5. Dans aucun cas le mendiant de profession ne pourra mettre son nom sur le livre. Mais les ouvriers qui sont inscrits au bureau de charité et qui reçoivent des secours parce que leur travail est insuffisant pour faire vivre leur famille, ne pourront être exclus. Le malheur est respectable ; la paresse seule avilit, dégrade et on doit la repousser sans pitié.

6. En vue de l’Union, il faut, et ceci est de la plus grande importance, que les ouvriers se fassent un devoir, une mission d’employer toute l’influence dont ils jouissent auprès des ouvrières leurs mères, femmes, sœurs, filles et amies, afin de les engager à se joindre à eux. Il faut qu’ils les entraînent et les accompagnent eux-mêmes au comité afin qu’elles signent leurs noms sur le grand livre de l’Union. C’est là une belle mission pour les ouvriers.

7. Aussitôt que tous les ouvriers et ouvrières seront représentés par des comités nommés par eux ; ces comités éliront dans leur sein un comité central pour toute la France ; son siège sera à Paris ou à Lyon (dans celle de ces deux villes où il y aura le plus d’ouvriers). Ce comité sera composé de 50 membres. (40 hommes et 10 femmes) choisis parmi les plus capables.

8. Il est bien entendu qu’on ne devra pas attendre que toute la classe ouvrière soit représentée par des comités pour nommer le comité central. Ainsi pour Paris il suffit qu’un nombre convenable d’ouvriers et d’ouvrières soit représenté pour qu’on procède à l’élection du comité central[4] 9. Dès que le comité central sera élu, l’UNION-OUVRIÈRE sera constituée.

II. — Comment l’Union Ouvrière doit procéder au point de vue matériel.

10. Le premier acte du comité central doit être : de donner l’ordre à tous les comités correspondants de faire remettre aux notaires ou banquiers désignés (un par arrondissement) les grands livres registres sur lesquels les noms et les cotisations auront été inscrits, afin que chaque membre de l’UNION-OUVRIÈRE puisse aller verser en mains sûres, soit le dimanche soit le lundi matin, le montant de sa cotisation[5].

11. Pour la comptabilité qu’exigeront les sommes incessamment versées, on imitera autant que possible, l’organisation des caisses d’épargnes.

12. On nommera, pour aller percevoir les cotisations dans les ateliers et à domicile, des hommes qui recevront un salaire, mais qui seront obligés de donner un cautionnement.

13. Le second acte du comité central doit être : de chercher parmi les membres de l’UNION, ou en dehors, quatre personnes, hommes ou femmes, offrant des garanties, 1o comme ayant du cœur et du dévouement ; 2o de l’intelligence et de la capacité ; 3o une connaissance réelle de l’esprit et de la position matérielle de la classe ouvrière ; 4o une activité et une eloquence propre à avoir action sur des ouvriers. Le comité central investira ces quatre personnes de ses pleins pouvoirs et les enverra parcourir toute la France. On leur donnera le titre d’ENVOYÉS DE L’UNION-OUVRIÈRE. Les envoyés auront pour mission : de former dans toutes les villes, villages, bourgs et hameaux, des comités organisés absolument sur la même base que ceux de Paris.

14. Le comité central allouera aux envoyés un traitement annuel, pour cette mission, ou une somme suffisante pour leurs voyages.

15. Afin de simplifier autant que possible l’action administrative, et aussi de rendre la surveillance plus active et plus facile, les comités des petites villes, bourgs et hameaux, correspondront avec les villes-chefs[6] de leur département, et les comités de ces villes-chefs rendront compte au comité central des opérations faites par les petits comités.

16. Quant à la manière de réunir les cotisations et de les faire parvenir au comité central, rien de plus facile. — À mesure que les notaires recevront des fonds, ils les déposeront chez les receveurs-généraux de leurs villes, et ceux-ci les feront passer au comité central. De cette manière, on pourra transporter d’un bout de la France à l’autre des sommes considérables à très peu de frais[7].

17. En ce qui concerne le placement des fonds, je m’abstiendrai, quant à présent, d’en rien dire. J’avoue que j’ai l’esprit trop positif pour faire des calculs sur une chose qui n’existe pas encore. — Provisoirement le comité central sera tenu de placer les fonds qu’il recevra en rentes sur l’État, afin qu’on ne perde pas l’intérêt de l’argent.

18. Trois inspecteurs-généraux seront nommés, ayant pour mission de surveiller les opérations financières du comité central ; et, à la fin de chaque année, ils publieront sur cet objet un rapport qui devra être distribué à tous les comités de l’UNION.

19. Ces quelques lignes suffisent, je pense, pour donner un aperçu de l’organisation matérielle que je conçois pour l’UNION OUVRIÈRE. — Maintenant, passons à la partie intellectuelle.

III. — Au point de vue intellectuel

20. J’ai dit, dans le second chapitre, que l’UNION OUVRIÈRE devait commencer par se faire représenter devant le pays. — Or, aussitôt qu’elle sera constituée matériellement, elle devra procéder à la nomination de son défenseur. — Mais, me dira-t-on, comment nommer un défenseur, si on n’a pas d’argent en caisse pour le payer. Oh ! en pareille circonstance, je pense que le comité central peut bien demander six mois ou un an de crédit à son défenseur. — Il est probable que, la première année, on ne pourra pas donner 500 000 francs au défenseur, — mais il ne faut pas que le comité central s’arrête devant l’obstacle du manque d’argent. — Quel est donc l’homme qui oserait refuser crédit à une UNION OUVRIÈRE qui l’aurait choisi pour défendre la sainte cause ? — Pas un, soyez-en sûrs. — Ensuite le défenseur comprendra très bien que sa seule nomination fera venir à l’UNION OUVRIÈRE 2, 3 et 4 millions d’ouvriers qui ne viendraient pas sans cette nomination. — Oui, car n’oubliez pas que ce défenseur, nommé et salarié par l’UNION, sera la preuve vivante que la classe ouvrière est bien réellement constituée. Dès lors, on ne pourra plus contester sa force, sa puissance, et une fois sa force et sa puissance reconnues, les ouvriers incrédules, insouciants (et c’est le plus grand nombre), ne douteront plus, et pleins d’espoir, viendront apporter leur cotisation. — C’est l’histoire de l’affaire qui a réussi : tout le monde veut prendre des actions ; c’est l’histoire des moutons de Panurge : si le berger peut parvenir à en faire passer une douzaine, le reste suit tout seul. Il faut done nommer le défenseur, le nommer tout de suite, et, je le répète, si on hésite, si on recale, l’UNION est retardée de 50 ans.

21. Aussitôt le défenseur nommé, le comité central devra faire un appel au Roi des Français, comme étant le chef de l’État ; aux membres du clergé catholique, comme étant les chefs d’une religion qui repose sur un principe tout à fait démocratique, à la noblesse, comme étant ce que la nation renferme de plus généreux et de plus charitable ; — aux chefs d’usines, comme étant redevables de leur fortune au travail des ouvriers ; — aux financiers, comme étant redevables des richesses qu’ils possèdent au travail des ouvriers, travail qui a donné de la valeur à l’argent ; — aux propriétaires, comme étant redevables de leur fortune aux ouvriers, dont le travail a donné de la valeur à la terre ; — enfin, aux bourgeois qui, eux aussi, vivent et s’enrichissent par le travail des ouvriers.

22. Ces appels auraient un double but : 1o de faire verser des sommes dans la caisse de l’UNION OUVRIÈRE, par des dons volontaires qui seraient l’expression de la gratitude des classes dites supérieures envers la classe ouvrière. — Ces sommes d’argent accéléreraient la construction des palais de l’UNION OUVRIÈRE. — 2o Ces dons et les refus de dons feraient connaître quelles sont les classes qui sympathisent avec l’UNION OUVRIÈRE, ou qui désapprouvent sa formation. — Eh bien ! à l’époque où nous vivons, il est très important pour la classe ouvrière de savoir au juste à quoi s’en tenir sur la sympathie ou l’antipathie que lui vouent les autres classes de la société.

23. Voici le canevas de ces sortes d’appels tels que je les conçois. Au comité central à en modifier la rédaction, s’il le juge nécessaire.

24. Appel au Roi des Français, comme étant le chef nommé par la nation[8].

Sire,

Les anciens rois de France contractaient, en acceptant le titre de Roi, l’obligation sacrée de défendre valeureusement la nation, dont ils étaient les chefs militaires, contre toute attaque ennemie. — Dans ces temps de guerre la France appartenait de fait à deux classes privilégiées, la noblesse et le clergé. Seigneurs, barons, nobles et évêques étaient les chefs religieux, militaires et civils, eux seuls gouvernaient la plèbe à leur gré et selon leur bon plaisir. — Serfs, vilains, manants et même bourgeois, subissaient leur domination. — Certes, le despotisme de ces seigneurs faisait peser sur la plèbe bien des douleurs et bien des souffrances… Cependant, tout en recevant de son maître des coups de fouet, le serf en recevait aussi du pain pour sa nourriture, des vêtements pour se couvrir, du bois pour se chauffer et un asile pour s’abriter.

Sire, aujourd’hui les choses sont changées. — Il n’y a plus de roi de France, — plus de barons, — plus d’évêques. — Le peuple ne reçoit plus de coups de fouet ; il est libre, et tous sont égaux devant la loi, — oui, mais en l’absence du droit au travail, il est exposé à mourir de faim !

En 1830, les représentants de la nation, jugeant qu’à une époque de paix, de liberté, d’égalité et de travail, elle n’avait plus besoin d’un chef militaire, prononcèrent la déchéance du dernier roi de France, — et en pleine Chambre des députés ils élurent un roi des Français[9].

Sire, en acceptant le titre de Roi des Français, vous avez contracté l’obligation sacrée de défendre les intérêts de tous les Français. Sire, c’est donc au nom du mandat que vous avez reçu du peuple français que l’UNION OUVRIÈRE vient avertir votre Majesté que les souffrances de la classe la plus nombreuse et la plus utile lui ont été cachées, — L’UNION OUVRIÈRE ne demande aucun privilège, elle réclame seulement la reconnaissance d’un droit qu’on lui a dénié, et sans la jouissance duquel sa vie n’est point en sûreté ; elle réclame le DROIT AU TRAVAIL.

Sire, comme chef de l’État, vous pouvez prendre l’initiative d’une loi. Vous pouvez proposer aux Chambres une loi qui, accorde à tous et à toutes le DROIT AU TRAVAIL.

Sire, en reconnaissant que les intérêts de la classe la plus nombreuse doivent, dans l’intérêt général, prévaloir sur tous les intérêts fractionnaires, les seuls qui jusqu’ici se soient fait entendre, vous tracerez un devoir dont aucun de vos successeurs ne tentera de s’écarter ; vous assurerez au trône de juillet le plus ferme appui, à la France le plus haut degré de puissance et de richesse, à la nation le plus beau caractère moral ; car la stabilité du trône, la puissance et la richesse de la France, la beauté morale du caractère national, la prospérité de la nation toute entière dépendent du degré d’instruction professionnelle et morale de la classe la plus nombreuse et la plus utile.

Comme chef de l’État, vous pouvez donner une éclatante marque de sympathie et de gratitude à l’UNION OUVRIÈRE. — Sire, vous êtes propriétaire de plusieurs magnifiques domaines situés sur le sol français ; vous pourriez immortaliser votre nom en offrant à l’UNION OUVRIÈRE, comme une marque de votre sympathie et de votre gratitude pour la classe la plus nombreuse et la plus utile, un de vos plus beaux domaines, pour qu’elle y bâtisse son premier palais. Une reine d’Angleterre a donné son propre palais, afin que les vieux marins, qui faisaient la richesse et la gloire de son empire, eussent un asile pour mourir en paix[10] ; Louis le Grand a fait bâtir les Invalides ; c’est au roi citoyen à élever le premier palais de l’UNION OUVRIÈRE.

Sire, en agissant ainsi, vous donnerez un grand et salutaire exemple qu’à l’avenir tout chef d’État sera forcé d’imiter. — Cet acte de générosité sera la proclamation que le devoir des rois est de s’occuper principalement de la défense des intérêts de la classe la plus nombreuse et la plus utile.


25. Au Clergé Catholique.
.

Prêtres catholiques,

L’UNION OUVRIÈRE vient vous demander votre aide, votre concours, votre appui.

Fatigués de luttes et de réactions violentes, les prolétaires français cherchent aujourd’hui un remède à leur misère dans la fraternité et l’UNION. — Prêtres catholiques, soyez pour eux, dans cette grande œuvre, les apôtres de Jésus-Christ. Aidez de votre influence, de votre pouvoir, la classe ouvrière qui vous fait un appel, et, à son tour, elle vous aidera à reconstruire votre Église sur des bases solides. Prêtres catholiques, vous n’avez de vie qu’à la condition d’agir en vertu du principe que vous représentez : la démocratie. — Prêchant pour le peuple, vous serez puissants, vénérés ; tandis que, prêchant pour les riches, vous serez faibles et méprisés. Déclarez vous donc hautement les défenseurs de la classe la plus nombreuse et la plus utile. Voilà votre devoir, voilà votre sainte mission : Prêtres catholiques, montrez-vous en dignes.

C’est au nom du Christ, votre maître ; au nom des apôtres, qui eux ont établi l’Église catholique en prêchant, au péril de leur vie, l’égalité, la fraternité, l’UNION — ; au nom des Pères de l’Église, qui n’écoutant que leur devoir, interdisaient l’entrée du temple à des empereurs souillés du sang de leurs peuples ; — au nom des grands pontifes du moyen-âge qui lancèrent l’interdit sur les rois oppresseurs de leurs sujets ; — au nom de ces célèbres orateurs, vos oracles, Bossuet, Massillon, Bourdaloue, le père Bridaine, qui faisaient trembler les grands du monde, en leur parlant des terribles jugements de Dieu touchant l’orgueil, et humiliaient le faste des princes, en leur rappelant d’une voix sévère que le premier devoir du chrétien est la charité envers les pauvres ; — c’est au nom de tout ce passé catholique si puissant, si beau, si étincelant dans l’histoire, que l’UNION OUVRIÈRE vous demande de redevenir pour elle des prêtres chrétiens !

Nous savons que le mot Église catholique signifie association universelle ; — que le mot communion signifie fraternité universelle ; nous savons que l’Église catholique a pour base le principe de l’UNITÉ, et pour but la fusion de tous les peuples, afin de constituer le monde en un grand corps religieux et social. — Prêtres catholiques, c’est à vous de réaliser ces grandes pensées d’UNITÉ posées par le Christ et ses apôtres. — Songez-y bien, vous ne pouvez effectuer cette œuvre qu’en vous faisant les prêtres de la classe la plus nombreuse et la plus utile. — Eh bien ! l’UNION OUVRIÈRE poursuit absolument le même but que celui de l’Église catholique. — L’UNION OUVRIÈRE veut la paix, la fraternité, l’égalité entre tous et toutes, l’UNITÉ HUMAINE. — Prêtres catholiques, si donc vous êtes réellement des hommes de paix et de vrais catholiques, votre place est parmi le peuple. C’est avec lui et à sa tête que vous devez marcher.

Vous, Prêtres, qui avez de vastes églises où se rassemble la population des villes et des campagnes ; vous qui, du haut de votre chaire, pouvez parler aux riches et aux pauvres, prêchez donc aux uns la justice, et aux autres l’union.

Seulement comprenez bien que les prolétaires ne demandent pas l’aumône aux 10 millions de propriétaires. — Non, ils réclament le droit au travail, afin qu’assurés de pouvoir toujours gagner leur pain, ils ne soient plus avilis, dégradés par l’aumône que les riches leur jettent avec dédain.

Prêtres catholiques, si vous le voulez, vous pouvez hâter la construction du premier palais de l’UNION OUVRIÈRE. — Pour cela, vous n’avez qu’à prêcher l’union en l’humanité, la fraternité en l’humanité et l’égalité entre tous et toutes.

Quelle belle mission ! — Oh ! alors vous aurez droit à l’amour du peuple, à sa reconnaissance, à ses offrandes, à ses bénédictions ; — car alors vous serez réellement les prêtres du peuple.


26. À la Noblesse française.

Noblesse française,

Nous, pauvres prolétaires, qui sommes de père en fils vos serviteurs, nous savons par expérience que, chez vous, la générosité du cœur tient de race comme la bravoure et l’élégance des manières. C’est pourquoi l’UNION OUVRIÈRE vient en toute confiance vous demander votre coopération pour édifier son premier palais. — Vous, Nobles Seigneurs, qui habitez dans les villes vos vastes et magnifiques demeures, — qui possédez dans toute la France des châteaux dignes d’être des résidences royales, — vous qui vivez avec un faste princier, est-ce que vous refuseriez de donner quelques petites offrandes prises sur votre superflu aux travailleurs qui labourent vos terres, tissent vos riches étoffes de velours et de soie, — cultivent vos magnifiques serres, afin que vous ayiez sur votre table, en toutes saisons, de beaux fruits et de belles fleurs, — soignent vos forêts, vos chevaux et vos chiens, afin que vous puissiez prendre le plaisir de la chasse, — en un mot travaillent 14 heures par jour pour que vous puissiez jouir à bon marché de toutes les superfluités du luxe le plus raffiné.

Non, sans doute, vous ne nous refuserez pas. Un de vos plus grands mérites est de savoir donner. — L’UNION OUVRIÈRE recevra avec gratitude les gracieuses offrandes que vous voudrez bien lui envoyer pour son premier palais.


27. Aux Chefs d’usines.

Messieurs et Patrons,

En nous faisant travailler, vous vivez vous et votre famille comme des banquiers anglais. Vous amassez des richesses plus ou moins considérables. — Nous, en travaillant pour vous, nous avons bien de la peine à vivre et à nourrir notre pauvre famille. — Ceci est de l’ordre légal. — Aussi, remarquez bien que nous ne récriminons pas ; nous ne vous accusons pas ; nous constatons seulement ce qui est. Aujourd’hui enfin, les ouvriers connaissent la cause de leurs maux, et voulant les faire cesser, ils se sont UNIS.

L’UNION OUVRIÈRE a jugé qu’elle devait faire un appel à la générosité des patrons. Elle a pensé que Messieurs les chefs d’usines, pénétrés en leur âme et conscience de la gratitude qu’ils doivent à la classe ouvrière, seraient heureux de pouvoir lui donner une marque de leur sympathie. L’UNION OUVRIÈRE, animée de sentiments purement fraternels et d’intentions toutes pacifiques, a lieu de pouvoir compter sur l’appui de messieurs les Patrons. Aussi vient-elle en toute confiance leur demander leur patronage réel et leur coopération active, Si messieurs les Patrons voulaient offrir à l’UNION OUVRIÈRE des dons, soit en argent soit en nature, leurs offrandes, de quel que espèce qu’elles fussent, seraient reçues avec reconnaissance.


28. Aux Financiers, aux Propriétaires et aux Bourgeois.

Ce serait la même lettre qu’on vient de lire, quant au fond, avec quelques variantes dans la forme.

29. Enfin le comité central devrait faire un dernier appel, celui sur lequel je compterais le plus[11], — aux femmes. — Voici comment je le conçois :

30. Appel aux Femmes de tous les rangs, de tous les ages, de toutes les opinions, de tous les pays..

Femmes,

Vous, dont l’âme, le cœur, l’esprit, les sens, sont dotés d’une impressionabilité telle, qu’à votre insu vous avez une larme pour toutes les douleurs, — un cri pour tous les gémissements, — un élan sublime pour toute action généreuse, — un dévouement pour toutes les souffrances, — une parole consolante pour tous les affligés ; — femmes, vous qui êtes dévorées du besoin d’aimer, d’agir, de vivre ; vous qui cherchez partout un but à cette brûlante et incessante activité de l’âme qui vous vivifie et vous mine, vous ronge, vous tue ; — femmes, resterez-vous silencieuses et toujours cachées, lorsque la classe la plus nombreuse et la plus utile, vos frères et vos sœurs les prolétaires, ceux qui travaillent, souffrent, pleurent et gémissent, viennent vous demander, les mains suppliantes, de les aider à sortir de la misère et de l’ignorance !

Femmes, l’UNION OUVRIÈRE a jeté les yeux sur vous. — Elle a compris qu’elle ne pouvait pas avoir d’auxiliaires plus dévoués, plus intelligents, plus puissants. — Femmes, l’UNION OUVRIÈRE a droit à votre gratitude. C’est elle la première qui a reconnu en principe les droits de la femme. Aujourd’hui votre cause et la sienne deviennent donc communes. — Femmes de la classe riche, vous qui êtes instruites, intelligentes, qui jouissez du pouvoir que donne l’éducation, le mérite, le rang, la fortune ; vous qui pouvez influencer les hommes dont vous êtes entourées, vos enfants, vos domestiques et les travailleurs vos subordonnés, prêtez votre puissante protection aux hommes qui n’ont pour eux que la force du nombre et du droit. — À leur tour, les hommes aux bras nus vous prêteront leur appui. — Vous êtes opprimées par les lois, les préjugés ; UNISSEZ-VOUS aux opprimés, et au moyen de cette légitime et sainte alliance, nous pourrons lutter légalement, loyalement contre les lois et les préjugés qui nous oppriment.

Femmes, quelle mission remplissez-vous dans la société ? — Aucune. Eh bien ! voulez-vous occuper dignement votre vie, consacrez-la au triomphe de la plus sainte des causes : l’UNION OUVRIÈRE.

Femmes, qui sentez en vous le feu sacré qu’on nomme foi, amour, dévoûment, intelligence, activité, faites-vous les prédicatrices de l’UNION OUVRIÈRE.

Femmes écrivains, poètes, artistes, écrivez pour instruire le peuple, et que l’UNION soit le texte de vos chants.

Femmes riches, supprimez toutes ces frivolités de toilette qui absorbent des sommes énormes et sachez employer plus utilement et plus magnifiquement votre fortune. Faites des dons à l’UNION OUVRIÈRE.

Femmes du peuple, faites vous membres de l’UNION OUVRIÈRE. engagez vos filles, vos fils à s’inscrire sur le livre de l’UNION.

Femmes de toute la France, de toute la terre, mettez votre gloire à vous faire hautement et publiquement les défenseurs de l’UNION.

Oh ! femmes, nos sœurs, ne restez pas sourdes à notre appel ! — Venez à nous, nous avons besoin de votre secours, de votre aide, de votre protection !

Femmes, c’est au nom de vos souffrances et des nôtres que nous vous demandons votre coopération pour notre grande œuvre.


31. Le comité central pourrait faire aussi un appel aux artistes. — En général, ils sont très généreux. Ils pourraient apporter leur coopération à la construction du premier palais et le décorer avec leurs tableaux et statues. — Les artistes dramatiques et musiciens pourraient donner des représentations et des concerts au bénéfice de l’UNION OUVRIÈRE, dont le montant servirait à acheter des blocs de marbre, des toiles, des couleurs, et tout ce qu’il faudrait fournir aux artistes pour l’exécution de leurs travaux.

32. Le comité central devra revêtir d’un caractère de légalité et de solennité la forme donnée à ces sortes d’appels. — D’abord ils doivent être revêtus des signatures de tous les comités de France. Ensuite le comité central se rendra à pied et bannière en tête[12] chez le roi. — Là, un homme et une femme, se donnant la main en signe d’union, présenteront au roi l’appel. — Après, un homme et une femme portant un grand livre (livre des dons), le présenteront au roi, afin qu’il y inscrive de sa main son nom et les dons qu’il voudra faire à l’UNION OUVRIÈRE. — Ensuite le président de l’UNION OUVRIÈRE priera le roi de vouloir bien présenter les députés de l’UNION OUVRIÈRE à la reine et aux dames de la famille royale, pour qu’elles inscrivent leurs noms et leurs dons à la suite de ceux du roi.

33. En sortant de chez le roi, le comité central, séance tenante, rédigera une sorte de procès-verbal de tout ce qui se sera dit et fait durant cette visite au Château. — Les cinquante membres du comité signeront cette rédaction, et aussitôt on fera imprimer l’appel en y annexant le procès-verbal à 500 000 exemplaires. Le comité central enverra à tous les comités de France un certain nombre d’exemplaires qui seront distribués également et gratis dans toute la France.

34. On devra procéder de même pour tous les autres appels. Le comité se rendra à l’Archevêché pour présenter, avec les mêmes formes, le livre des dons à l’archevêque de Paris ; puis aux principaux membres de la noblesse française résidant à Paris ; — de même chez les artistes, les chefs d’usines, les banquiers, les grands propriétaires et les bourgeois représentés par leurs corps respectifs, Chambres du commerce, des notaires, des avoués, etc., etc. — Quant aux femmes : comme dans la société actuelle elles ne peuvent disposer de leur fortune (à part les veuves et les demoiselles majeures), le comité ne pouvant s’adresser à elles, leur fera savoir qu’elles trouveront au bureau du comité central un livre spécial où elles pourront venir inscrire leurs noms et leurs dons.

35. Je le répète, le comité central commettrait une grande faute, s’il négligeait d’attirer sur l’UNION OUVRIÈRE la sympathie de toutes les classes de la société.


IV. — De l’Emploi des Fonds.

36. Les premiers fonds provenant des cotisations seront employés : — 1o à payer les dépenses faites pour l’achat des livres-registres et autres petits frais de ce genre ; — 2o à louer un local et à le meubler très simplement, pour que le comité central ait un lieu de réunion ; — 3o à faire les frais de toutes les impressions jugées utiles ; — 4o à donner aux envoyés les sommes nécessaires pour leurs voyages après le calcul fait ; — 5o à payer les percepteurs ; — 6o à allouer une somme au défenseur ; — 7o à l’achat d’une propriété de l’étendue de 100 à 150 hectares de terre ; — 8o à la construction du premier palais ; — 9o à son ameublement ; — 10o à l’approvisionnement complet pour la consommation générale d’une année.

37. La propriété que l’on achètera doit réunir pour conditions : 1o d’être située près de la ville siège du comité central. Comme salubrité, elle ne pourra pas en être éloignée moins de 8 kilomètres, et comme commodité, elle ne pourra pas en être éloignée de plus de 24 kilomètres[13]. — 2o Elle devra être placée dans un joli site, aéré et salubre ; la terre devra en être très bonne. — 3o Il faut qu’il s’y trouve de l’eau courante.


V. — Construction des Palais.

38. Nous sommes arrivés à une époque où, de progrès en progrès, l’état social marche à une complète transformation. — La construction des palais de l’UNION OUVRIÈRE ne doit pas être d’une solidité à durer des siècles — L’essentiel est que les palais soient construits de manière à offrir à la fois : 1o salubrité sous le rapport de l’espace, du jour, du soleil, de la ventilation et du chauffage ; — 2o commodité sous le rapport de la facilité et de la promptitude de communication entre les divers corps de bâtiments ; — 3o à l’intérieur, des logements commodément distribués pour les vieillards, les employés et les enfants ; — 4o à l’extérieur, des ateliers, des écoles et des salles d’exercices, et enfin une ferme et toutes ses dépendances en rapport avec les besoins de l’agriculture. — Il est urgent que le palais soit alimenté d’eaux abondantes, afin d’y maintenir constamment une propreté rigoureuse. — L’architecture de ce palais doit être d’un aspect noble mais simple. Il doit présenter, par l’élévation de son style et la beauté de ses ornements, un ensemble artistique, harmonieux dans toutes ses parties. — L’architecte doit avoir constamment à la pensée que les enfants élevés dans ces palais sont destinés à construire eux-mêmes des palais pour loger l’humanité ; — qu’ils doivent devenir des artisans-artistes, et que, pour atteindre ce but, il faut, dès leur jeune âge, impressionner leur cœur, leur imagination et leurs sens par là vue du beau. — Rien ne réussira mieux à faire naître en eux le goût des arts, la passion du beau, que de vivre au milieu d’un assemblage de belles lignes, et d’avoir constamment les yeux impressionnés par l’élégance et la noblesse des formes qui les entourent.

39. Ce premier palais étant destiné à servir d’essai, sa construction devra captiver l’attention du comité central.

40. Peu d’architectes pourront être chargés de cette construction. — Construire un temple, une église, une mosquée, un panthéon, pour loger une abstraction quelconque… ou des tombeaux, c’est faire, en pierres, une belle pièce de poésie. — Élever un palais pour un prince, c’est faire une ode ; — bâtir un hôtel pour 3 000 soldats invalides soumis à la discipline, c’est, avant tout, faire un calcul de mathématiques ; — enfin, bâtir un monastère pour 1 200 moines, un hôpital pour 4 000 malades, une caserne pour 2 000 soldats, une prison pour 3 000 prisonniers, un collége pour 2 000 élèves, — tous ces individus étant indistinctement soumis à une règle uniforme, de telles constructions, bien qu’elles soient difficiles, n’exigent pourtant pas de la part de l’architecte un grand effort d’imagination, tandis que la création d’un palais de l’UNION OUVRIÈRE présente des difficultés bien autrement sérieuses.

41. Jusqu’ici les habitations communes ont offert invariablement un caractère d’uniformité tellement fatigant et ennuyeux, que l’idée seule de vivre dans ces maisons, inspire à tous la plus vive répugnance. C’est à cette horreur pour l’habitation commune, que l’on doit le système de morcelage ; il est donc très essentiel que le palais de l’UNION OUVRIÈRE ne ressemble à rien de tout ce qui s’est fait jusqu’à présent.

42. Le séjour du palais de l’union doit être un séjour agréable, désirable ; il doit provoquer l’envie, comme le couvent, la caserne, l’hôpital, le collége provoquent la répugnance et le dégoût. Or, je ne conçois de séjour agréable que là, où chaque individu peut jouir du bien-être, de l’activité et du repos, selon son age, et surtout d’une grande somme de liberté. Comme chacun de ces palais doit donner asile à 2 ou 3000 individus de sexe, d’âge, de métier et de goûts différents, il faut autant que possible, que chacun puisse se mouvoir sans gêner son voisin, et c’est là une immense difficulté. Ensuite, il faut songer que les palais de l’UNION OUVRIÈRE seront de grands centres d’activité. Il y aura là, travaux industriels, travaux agricoles, instruction morale et professionnelle pour les enfants, divertissements servant de récompenses et de délassements pour tous les travailleurs. La construction de ces palais doit donc satisfaire à la fois aux exigences de l’habitation intérieure et de la vie domestique, aux exigences de l’atelier, et enfin aux besoins si nombreux et si variés des travaux de l’agriculture. Il ne s’agit donc, pas seulement de faire une habitation, une usine, une ferme ; ici les trois doivent être combinés de manière à ne faire qu’un ; en effet, les trois sont les membres d’un même corps, et ce corps doit être beau et très bien proportionné. L’architecte devra donc établir, avec le plus grand soin, et déterminer avec une exactitude rigoureuse, quels doivent être les rapports qui relient entre elles ces trois constructions ne faisant qu’une, et s’il veut que l’ensemble présente une harmonie parfaite, il faut qu’il donne à chacune des parties son développement complet. Or, la construction d’une vaste habitation commune, en même temps triple et une, et qui remplirait à la fois des conditions de beauté, de comfort, de liberté, capables de satisfaire aux nécessités d’un nombre de natures aussi variées, me paraît un important problème à résoudre. Je ne connais qu’un architecte capable de faire le plan du palais de l’UNION OUVRIÈRE ; c’est M. César Daly. Du reste, il a pour lui un excellent antécédent ; il a déjà exécuté le plan d’un édifice non moins difficile, celui du petit phalanstère d’enfants, d’après les idées de Fourier. Le plan de cet édifice se trouve exposé au bureau de la Phalange, le comité central pourrait aller l’examiner.

VI. — Conditions d’admission dans les palais pour les Vieillards, les Blessés et les Enfants.

43. En toutes choses les commencements présentent inévitablement d’immenses difficultés ; le christianisme a été des siècles avant de pouvoir s’établir et se faire accepter ; mais est-ce à dire que parce que la chose présente de grandes difficultés, il ne faut pas se mettre à l’œuvre ? Au contraire, plus il y a de difficultés à surmonter, plus on doit s’empresser de commencer. Il n’en sera pas, pour l’UNION OUVRIÈRE, de même qu’il en a été pour l’établissement du christianisme. Une fois constituée, dix ans après elle sera forte, puissante, et tout qui émanera de son sein se fera avec l’ordre et la régularité propres à tout corps agissant en vertu de la constitution qui le régit. La mission des moniteurs (ainsi je nommerai ceux qui se mettront à la tête de la force populaire, force morale, le droit), leur mission sera, pendant les premières années, fort difficile. Il sera impossible de procéder avec toute la régularité voulue.

44. Je suppose ici le premier palais construit, meublé, approvisionné pour une année. Alors le comité central procédera à l’admission, non pas d’après l’ancienneté de date, comme cela se pratiquera par la suite, mais d’après le montant de l’argent en caisse.

45. D’abord on admettra dans les palais de l’union tant d’individus par département, proportionnellement au nombre des souscripteurs. On pourrait, afin d’éviter les préférences, passe-droits et injustices, faire tirer au sort.

46. Par exemple, on admettra 600, 1000, 1500 ou 2000 individus, puis à mesure que les ressources augmenteront, on bâtira de nouveaux palais. D’après cette progression, dans 30 ans tous les ouvriers et ouvrières seront sûrs d’avoir leurs enfants élevés. dans les palais de l’union, et d’y trouver un lit pour leur vieillesse.

47. Pour règle générale, on admettra dans les palais de l’UNION OUVRIÈRE la moitié d’enfants (l’âge d’admission sera six ans) et l’autre moitié de vieillards ou blessés.

48. Je ne veux ni ne puis faire ici aucun règlement d’admission ; ces règlements changeront au fur et à mesure que les ressources de l’union augmenteront ; seulement je crois qu’il faudrait admettre de préférence les enfants orphelins ou fils de veuves ou ceux dont les parents seraient blessés ou très vieux, et enfin admettre, comme principe, que toute famille d’ouvriers ayant plus de cinq enfants, le 6e, 7e, 8e et au-delà entreraient de plein droit. Quant aux blessés, on admettra de préférence les veufs et les veuves ; mais cela, on le sent, n’est qu’une légère indication,


VII. — Organisation du travail dans les palais.

49. Les palais de l’UNION OUVRIÈRE offriront le milieu le plus convenable, sous tous les rapports, pour procéder à un ou plusieurs essais d’organisation du travail. Là, hommes, femmes, enfants, tous seront travailleurs ; tous se trouvant par leur position dégagés du soin de la vie matérielle ; ils pourront, sans aucune répugnance, travailler selon le mode que l’on voudra essayer[14]. Mais jusqu’au jour où l’on se sera accordé sur le mode à suivre pour l’organisation du travail, le comité central instituera dans chaque palais de l’Union un comité directeur des travaux. Le comité se composera de 3, 5, 7 (selon le nombre des habitants du palais) hommes des plus capables sous le double point de vue théorique et pratique. Il faudra, au moyen d’une combinaison, intéresser les membres du comité directeur à la prospérité du palais, soit par une part dans les bénéfices des travaux, soit par la certitude d’une retraite, soit enfin par l’admission de leurs enfants ou par des distinctions honorifiques. Ceci est très important. Comme les travaux agricoles s’exécuteront aussi dans les palais, les agriculteurs théoriciens, et surtout pratiques, feront partie du comité directeur.

50. Tous, hommes et femmes, étant ouvriers, seront obligés, selon leur âge, leurs forces et leur savoir, à travailler une partie du jour, sous la direction d’un chef d’atelier ; ils rempliront le rôle de moniteurs, et dirigeront des groupes d’enfants[15].

VIII. — Éducation morale, intellectuelle et professionnelle à donner aux enfants.

51. Le lecteur comprendra que pour traiter des questions de cette importance, il faudrait écrire au moins un volume, et il serait bien rempli. Mais, ne voulant donner aux ouvriers qu’un petit livre, c’est à peine si j’ai pu indiquer ma pensée.

52. Il faudra nommer un second comité directeur pour diriger l’éducation des enfants. On procéderait, au sujet des directeurs et directrices de l’éducation, de la même manière qu’avec les directeurs et directrices des travaux.

53. Pour avoir des hommes et des femmes intelligents, instruits, moraux, et entrant bien dans l’esprit de l’UNION OUVRIÈRE, le comité central doit faire de grands sacrifices. — Forts appointements, retraites assurées, droit à faire élever leurs enfants, beau logement, grande considération ; en un mot, donner beaucoup aux instituteurs, afin d’être en droit d’exiger beaucoup d’eux.

54. Selon moi, il ne peut y avoir de saine et véritable morale que celle qui découle logiquement de la croyance à un Dieu bon, juste, créant, et guidant sa création avec ordre, sagesse et providence. — La morale à enseigner aux enfants consisterait à leur faire comprendre l’existence d’un Dieu bon, et l’action toujours providentielle exercée par Dieu sur toute sa création. L’enfant, élevé depuis l’âge de six ans dans une telle croyance, serait à l’abri des superstitions ridicules, des terreurs absurdes, des préjugés stupides, qui sont, en général, le partage des classes du peuple. — Ensuite, on leur ferait comprendre que la loi de l’humanité est le progrès continu ; sa condition, la perfectibilité. — Il faudrait, par toutes les démonstrations possibles, faire comprendre à l’enfant que notre globe est un grand corps humanitaire dont les nations diverses représentent les viscères, les membres et les principaux organes ; dont les individus représentent les artères, les veines, les nerfs, les muscles, et jusqu’aux fibres les plus tenues ; que toutes les parties de ce grand corps sont aussi étroitement liées entre elles que les diverses parties du corps humain, toutes s’entr’aidant les unes les autres, et puisant la vie à la même source… ; qu’un nerf, qu’un muscle, qu’un vaisseau, qu’une fibre, ne peuvent pas souffrir sans que le corps tout entier ne se ressente de leur souffrance. — De même, lorsqu’un pied, un bras ou un doigt nous fait mal, tout notre corps est malade. — Rien de plus facile à faire comprendre à l’enfant. que cette indivisibilité du grand corps humanitaire et cette solidarité des nations et des individus. — Si jusqu’à présent, cette figure n’a pas été introduite dans l’enseignement, la faute en est aux opinions religieuses et politiques qui ont divisé les nations et les individus.

55. Au moyen de cette figure, reproduite sons toutes les formes, selon l’esprit de l’élève, les enfants finiront pas comprendre parfaitement qu’en aimant et servant leurs frères en l’humanité, c’est en définitive eux-mêmes qu’ils aiment et servent, et qu’en haïssant et faisant du mal à leurs frères en l’humanité, c’est en definitive eux-mêmes qu’ils haïssent et à qui ils font du mal.

56. Qu’on ne vienne pas dire qu’une semblable morale ne serait que la légitimation de l’égoïsme. Ceux qui jugent ainsi sont de petits esprits à courte vue. — Aimer et servir soi-même en l’humanité, c’est aimer et servir la créature de Dieu — Et n’est-ce pas en ce sens que Jésus l’a compris, lorsqu’il disait : « Aime ton prochain comme toi-même. » Puis, « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fût fait. Aimez-vous et servez-vous les uns les autres. » — Le mot religion signifie s’allier. — Eh bien ! je le demande, comment rallier les nations, les peuples, les individus, dans une même pensée, pour travailler à un but commun, si nations, peuples et individus se haïssent, s’entr’égorgent ? — Comment un Français aimerait-il un Anglais, un Russe, un Turc, s’il ne comprend pas qu’il y va de son intérêt à lui d’aimer et de servir le Turc, le Russe et l’Anglais, parce qu’ils font tous corps avec lui et lui avec eux. — Si l’amour est l’âme de l’intelligence, l’intelligence, à son tour, est le flambeau de l’amour. — Ces deux termes réunis forment ce que j’appellerai la compréhension et le sens complet ; tandis que l’un séparé de l’autre ne forme qu’un je ne sais quoi de bâtard, d’incomplet, de châtré, ne possédant nulle force, nulle puissance, nulle vie.

57, En séparant l’amour de l’intelligence, on a porté un coup mortel à la religion de Jésus, — Le catholicisme a dit : « Croyez et n’examinez point. » — Qu’en est-il résulté ? — Les natures plus intelligentes qu’aimantes, les savants, les philosophes, ne trouvant dans la religion catholique aucun aliment propre à leur esprit, ont renié l’Église en lui jetant force dédains, mépris et injures. Puis du dédain ils ont passé à la colère, à l’indignation, et frappant à coups redoublés, ils ont démoli le grand édifice pierre par pierre. — D’un autre côté, les natures plus aimantes qu’intelligentes, séduites par la puissance attractive de l’extase, ont été s’abîmer, se perdre dans le vide. — Car aimer Dieu en dehors de l’humanité, c’est mépriser et insulter la créature, or, c’est outrager Dieu dans sa manifestation.

58. Les instituteurs devront donc se poser comme loi fondamentale de développer simultanément les facultés aimantes et intelligentes de chaque enfant.

59. Si l’on veut atteindre ce double résultat, il faut introduire dans la méthode à suivre un ressort très puissant, — le pourquoi. La méthode Jacotot repose en partie sur le pourquoi ; cependant je voudrais qu’on lui donnât une acception plus large. — Appliquer le pourquoi aux solutions des grandes questions de l’ordre moral, social et philosophique, et cela dans l’enseignement journalier donné aux enfants de la classe du peuple, serait le moyen de faire marcher l’intelligence humaine à pas de géant.

60. Donc, au lieu de fatiguer la tête de l’enfant en surchargeant sa mémoire d’une foule de choses inutiles, on s’occuperait uniquement de développer son entendement par l’étude des pourquoi, expliquée en toutes choses. — Un enfant instruit de cette manière, à 12 ou 14 ans, pourrait se rendre compte du pourquoi de tout ce qu’on lui ferait faire, et même de tout ce qui est, au moins dans une certaine limite. — Cette méthode des pourquoi est tellement supérieure à toutes les autres, qu’il y aurait à cet égard un traité spécial à faire, et ce traité servirait de rudiment dans toutes les salles d’étude des palais.

61. Les directeurs de l’éducation s’entendraient avec les directeurs des travaux d’atelier et d’agriculture, afin de faire marcher les trois choses de front. Il faudrait consulter les ouvrages de Fourier. La partie où il traite de l’éducation industrielle des enfants contient de très bonnes choses. Mettant de côté son système, on prendrait seulement chez lui tout ce qu’on jugerait pouvoir être appliqué aux jeunes élèves du palais de l’UNION OUVRIÈRE. On pourrait prendre aussi dans Owen : sa méthode d’enseignement se rapproche de celle que je propose (Le Pourquoi).

62. Si l’UNION OUVRIÈRE veut qu’il sorte de son sein des hommes et des femmes libres, il faut que dans tous les rapports de la vie on enseigne aux enfants à avoir un grand respect de la dignité humaine. C’est en vue de ce respect qu’on doit leur apprendre à ne jamais faire aux autres ni offense ni injure, et à ne jamais souffrir ni la plus petite injustice, ni la plus légère insulte, soit de la part de leurs camarades soit de celle de leurs supérieurs. Afin de rendre ce respect à la dignité de l’être plus frappant, je voudrais que tout dans la maison fût régi par des lois et des règlements écrits, où les droits et les devoirs de chacun, seraient définis d’une manière claire et précise.

63. Ces lois et règlements imprimés seraient distribués à tous et à toutes, afin que tous et toutes n’obéissent qu’à la loi, et jamais à la volonté arbitraire du chef.

64. Dans aucun cas, aucun individu ne pourrait subir, dans le palais, une punition dégradante. Si un enfant ou un vieillard se conduisait mal, il serait renvoyé du palais et ne pourrait y rentrer[16].

65. Comme tout être qui se respecte et respecte les autres doit le manifester par sa bonne tenue, il serait essentiel d’habituer les enfants à soigner leur personne sous le rapport d’une extrême propreté. Je voudrais qu’on apportât dans les soins donnés à leurs personnes la même sollicitude que dans les soins apportés à la culture de leur intelligence. À force de souffrances, de privations, aujourd’hui la classe du peuple est tout-à-fait rachitique. Eh bien ! il faudrait combattre ce rachitisme par tous les moyens dont dispose la Science médicale : l’exercice, la gymnastique, etc., etc. Recevant l’enfant à six ans (on n’en recevrait pas passé cet âge), il serait temps encore d’opérer sur lui ; on soignerait ses dents, ses cheveux, ses pieds ; on redresserait son corps par l’exercice de travaux appropriés à ses forces ; on lui donnerait la nourriture qui conviendrait le mieux à son tempérament. Il faudrait faire de nombreuses séries. À ceux-là de la viande, du vin ; à ceux-ci des légumes, des fruits, de l’eau. L’association offre de si grands avantages, que tout ce qui nous paraît impossible dans nos ménages morcelés, devient chose facile dans une vaste association.

66. Il sera bon d’adopter un costume qui remplisse à la fois trois conditions essentielles il faut donc : 1o qu’il soit de forme et d’étoffe à ne point gêner le développement corporel de l’enfant. Par exemple, les filles ne porteront point de corsets ; les garçons point de bretelles ni de cravates ; 2o qu’il soit commode pour le travail, et point salissant ; 3o que sa coupe soit élégante et présente un ensemble harmonieux et agréable à l’œil.

67. Quant à l’éducation professionnelle, chaque enfant choisirait le métier pour lequel il se sentira le plus de goût. À part tous les autres travaux qu’on lui ferait faire, il devra être, en sortant du palais, bon ouvrier au moins dans deux métiers.

68. Afin de l’intéresser aux travaux, dès l’âge de dix ans l’enfant aura droit à une part dans les bénéfices des travaux exécutés dans la maison. Cette part augmentera chaque année, et fera masse lors de sa sortie à dix-huit ans. La moitié de cette masse lui sera remise en un trousseau confectionné dans la maison, et l’autre moitié en argent.

69. On pourrait peut-être prendre des pensionnaires en les soumettant aux mêmes conditions que les enfants de l’union. Depuis six ans jusqu’à dix, ils paierait 300 f. par an, et de dix à dix-huit ils auraient leur part dans les bénéfices des travaux. De telles conditions offriraient à la classe bourgeoise d’immenses avantages dont elle s’empresserait de profiter pour ses enfants. Les petits rentiers, les petits commerçants, les cultivateurs, les artistes peu fortunés, etc., seraient enchantés de pouvoir placer leurs enfants (avec la certitude qu’ils seraient bien élevés et auraient un état) en ne payant pour cela que quatre années de pension. Je jette cette idée en avant parce que je la crois réalisable et susceptible d’être utile à la classe des petits bourgeois, qu’il faut attirer par tous les avantages possibles à la cause de la classe ouvrière ; mais ceci, comme le reste, est à l’état d’ébauche et mérite d’être examiné mûrement.

70. Je voudrais aussi, comme acte de haute religiosité, que chaque palais offrit l’hospitalité à douze personnes (six hommes et six femmes) qui auraient pour titre hôtes du palais. Le choix de ces hôtes se ferait parmi des vieillards (ils ne pourraient être admis avant 60 ans) artistes, professeurs, savants, écrivains sans ressources. On admettrait de préférence des étrangers. Dans toutes les cérémonies les hôtes auraient les places d’honneur ; cette libéralité serait une moralité en action, qui apprendrait aux enfants à respecter le talent jusques dans la pauvreté. La présence de ces douze hôtes, traités avec toutes sortes d’égards et de considération, ferait plus d’impression sur l’esprit des enfants habitués à saluer l’étranger avec vénération, que les belles tirades en vers et en prose débitées par nos poètes et romanciers, sur le respect dû au malheur, au talent, à l’âge, etc.


IX. — Résultats que devra avoir nécessairement cette éducation.

71. Les résultats que doit avoir l’UNION OUVRIÈRE sont incalculables. Cette union est un pont jeté entre la civilisation qui se meurt, et l’ordre social harmonique entrevu par des esprits supérieurs. Pour premier effet, elle opérera la rehabilitation du travail manuel, flétrie par des milliers d’années d’esclavage ! et ceci est un point capital. Dès l’instant où il n’y aura plus de déshonneur à travailler de ses mains, où le travail sera même un fait honorable[17], tous, riches et pauvres travailleront ; car l’oisiveté est à la fois une torture pour l’homme et la cause de ses maux. Tous travailleront, et par ce fait seul, l’abondance régnera pour tous. Dès lors plus de misère, et la misère cessant, l’ignorance cessera aussi. Qui produit le mal dont nous souffrons aujourd’hui ? n’est-ce pas ce monstre à mille têtes, l’ÉGOÏSME ! mais l’égoïsme n’est pas la cause première, c’est la misère et l’ignorance qui produisent l’égoïsme.

72. Qu’un paysan ait des prunes en abondance dans son jardin, et que ses voisins aient de même tant de prunes que personne ne se présente pour les acheter, dans ce cas, le paysan se montrera très-charitable ; il laissera les pauvres du village manger ses prunes. Mais qu’il s’établisse un chemin de fer traversant le dit village, situé à trente lieues de la capitale, et que par ce moyen le paysan puisse porter à peu de frais ses prunes à la halle de Paris, où elles seront vendues 12 fr. le panier, oh ! alors notre homme changera de ton avec les pauvres. Malheur à celui qui, passant près de l’arbre, osera ramasser une prune ; ce paysan se mettra jour et nuit à surveiller sa propriété ; il criera au vol ! à l’attaque contre ses droits sacrés ! et sans pitié il traduira en police correctionnelle le vieux mendiant coupable d’avoir ramassé une prune. Sans remords, sans pudeur, il le fera condamner à la prison pour ce vol, parce que cette prune représente un liard. Voilà un paysan bien égoïste, dira-t-on ? Pas du tout ; et la preuve que cet homme n’est pas égoïste c’est que, lorsqu’il avait trop de prunes pour lui, il donnait le superflu aux pauvres. Que le chemin de fer se prolonge cent lieues de plus, et qu’il arrive à Paris des prunes en telle abondance qu’elles ne se vendent plus que 50 c. le panier, vous verrez le même paysan cesser d’être égoïste, et laisser prendre ses prunes par les pauvres. La société est exactement dans la même position que ce paysan, elle est égoïste parce qu’elle est pauvre en production. Que demain elle produise de manière à regorger de tout en abondance, et l’égoïsme disparaîtra.

73. Cette immense production si désirable, comme l’unique moyen d’extirper les vices que l’égoïsme engendre, par conséquent de moraliser les hommes ; cette grande production ne pourra avoir lieu que lorsque tous et toutes travailleront de leurs mains, et s’en glorifieront !

74. Le second résultat et non moins grand qu’amènera nécessairement l’UNION OUVRIÈRE sera d’établir de fait l’égalité réelle entre tous les hommes. — En effet, dès le jour où les enfants de la classe ouvrière seront élevés avec soin et qu’on s’appliquera à développer leur intelligence, leurs facultés, leurs forces physiques, en un mot, tout ce qu’il y a de bon et de beau dans la nature de l’homme ; dès le moment où par leur instruction, leur talent, leurs bonnes manières, il n’y aura plus entre les enfants du peuple et ceux de la classe riche aucune différence, je le demande, en quoi pourrait encore consister l’inégalité ? En rien, absolument en rien. Alors on ne reconnaîtra plus qu’une seule inégalité ; mais celle-là, il nous faut la subir, l’accepter, car c’est Dieu qui l’a posée. — À l’un il distribue le génie, l’amour, l’intelligence, l’esprit, la force, la beauté — à l’autre, il dénie tous ces dons, en fait un être stupide, sec de cœur et d’esprit, faible de corps, vilain de forme. Voilà l’inégalité native devant laquelle l’orgueil de l’homme doit s’humilier, et cette inégalité-là atteint indistinctement les fils des rois et les fils des esclaves.

75. Je m’arrête, voulant laisser à mes lecteurs la douce joie d’énumérer eux-mêmes les importants et magnifiques résultats qu’aura indubitablement l’UNION OUVRIÈRE. Le pays trouvera dans cette institution des éléments d’ordre, de prospérité, de richesse, de moralité et de bonheur tels qu’on peut les désirer.

  1. Les sociétés de Paris et de la banlieue sont au nombre de deux cent trente-six, comprenant quinze mille huit cent quarante souscripteurs, et ayant en caisse trois millions environ. (De la condition des ouvriers de Paris, de 1789 jusqu’en 1841, page 254).
  2. Si je n’admets pas dans les comités un nombre égal de femmes et d’hommes, c’est parce qu’il est constaté qu’aujourd’hui les femmes ouvrières sont beaucoup moins instruites et moins développées intellectuellement que les hommes ouvriers. — Mais il est bien entendu que cette inégalité ne sera que transitoire.
  3. L’UNION OUVRIÈRE procédant au nom de l’UNITÉ UNIVERSELLE, ne doit faire aucune distinction entre les nationaux et les ouvriers et ouvrières appartenant à n’importe quelle nation de la terre. — Ainsi, pour tout individu dit étranger, les bénéfices de l’UNION seront absolument les mêmes que pour les Français. L’UNION OUVRIÈRE devra établir dans les principales villes d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie, en un mot, dans toutes les capitales de l’Europe des comités de correspondance, — afin que les ouvriers et ouvrières de toutes les nations européennes puissent se faire inscrire sur les registres de l’UNION OUVRIÈRE comme membres de l’UNION. — On devra prendre, pour les comités de correspondance les mêmes précautions que pour ceux de France. — Le montant de ces cotisations sera envoyé au comité central, et chaque membre de l’UNION aura droit à l’admission soit pour lui, soit pour ses enfants, selon leur tour de rôle.
  4. Il y a dans Paris 275 000 ouvriers de tout âge et de tout sexe ; à ce nombre, il faut ajouter celui de 50 000 pour les portiers, leurs femmes et leurs enfants, pour les domestiques de tout sexe, ainsi que pour les commissionnaires. On peut évaluer à 80 000 les ouvriers et les ouvrières, blanchisseuses ou couturières qui travaillent dans leur chambre ou vont en journée. Additionnant ces divers chiffres, on a pour résultat 335 000 à 350 000 ouvriers.
    (De la condition des ouvriers de Paris, page 234.)
  5. Certaines personnes pourront être effrayées à l’idée de percevoir 14 millions au moyen de petites cotisations de fr. Cependant, rien ne serait plus simple, par exemple, pour les ouvriers rangés (on peut compter dans cette catégorie hardiment la moitié) et qui travaillent chez des patrons amis de l’ordre, et comprenant que, du bien-être de la classe ouvrière, dépend la prospérité du pays (et, disons le, ces patrons sont en majorité), ces ouvriers, dis-je, pourraient s’entendre avec leurs patrons pour qu’ils versassent entre les mains des percepteurs de l’UNION-OUVRIÈRE les fr. de cotisation de chacun. — De cette manière, il n’y aurait aucun dérangement ni pour l’ouvrier, ni pour le percepteur. Quant aux ouvriers qui ne travaillent pas régulièrement chez les mêmes patrons, il est clair que la perception de leur cotisation ne pourra se faire aussi facilement, et donnera aux percepteurs plus de peine pour les allées et venues, — mais, en définitive, la chose est faisable.
    Du reste, à cet égard, on pourra se guider sur ce qu’O’connell et le comité directeur ont établi pour l’Irlande, et là les perceptions présentent encore de bien plus grandes difficultés, puisqu’on reçoit un sou par semaine. — Les sociétés religieuses ont établi partout de ces sortes de cotisations ; les fidèles donnent un sou par semaine, six sous par mois, etc., etc., — et toutes les petites sommes avec lesquelles les prêtres de toutes les religions font de si grandes choses, se perçoivent, soit par les membres des confréries, ou par un prêtre quelconque, sans la moindre difficulté.
  6. La ville-chef sera celle où il y aura le plus d’ouvriers.
  7. Comme la province doit presque toujours à Paris, le papier sur cette ville gagnera plutôt qu’il ne perdra.
  8. Roi (du latin rex, regis, fait de regere, régir, gouverner), celui qui, dans un royaume, exerce la puissance souveraine (Dict.)
    Chef, celui qui est à la tête, qui commande, qui dirige, qui conduit, etc., etc. (Dict.).
  9. {Louis-Philippe Ier, élu roi des Français le 9 août 1830
  10. La reine Élisabeth donna son palais de Greenwich pour faire un hôtel des invalides aux marins.
  11. On peut juger de ce que peuvent les femmes, lorsqu’elles le veulent, par ce qui vient de se passer au sujet du désastre de la Pointe-à-Pitre. — La Reine, à la tête, toutes les grandes dames de la Cour se sont mises à travailler de leurs mains avec une activité incroyable. — Elles ont organisé des quêtes ; des loteries ; et enfin, nous les avons vues se faire marchandes en boutiques pour exercer la charité ! (Voyez le Journal des Débats du 30 avril 1843.
  12. L’UNION OUVRIÈRE devra adopter pour drapeau la couleur blanche (l’unité). — Sa devise sera : UNION OUVRIÈRE, réclamant le droit au travail et l’organisation du travail.
  13. Avec les chemins de fer, cette distance ne représente qu’une demi heure,
  14. Pourvu, toutefois, que ce mode ne soit pas attentatoire à la liberté et à la dignité humaines, comme, par exemple, l’enrégimentation que propose M. Enfantin.
  15. J’espère que personne ne sera tenté de dénaturer ma pensée et de m’accuser de vouloir faire, sous le nom de palais, des work-houses anglaises — (maisons de refuge pour la mendicité, où les pauvres sont forcés de travailler fort péniblement). Les vieillards et les enfants, selon que les médecins jugeront la capacité de leurs forces, travailleront à des travaux matériels, 2, 4, 5 heures, mais, dans aucune occasion, jamais plus de 6 heures par jour, — et les travaux devront être variés de manière à être plutôt une récréation qu’une fatigue.
  16. On ferait à ce sujet un règlement où la gravité des cas serait déterminée.
  17. Je suis tout à fait de l’opinion de Fourier, qu’il faut trouver le moyen de rendre le travail attrayant ; — mais je crois qu’avant d’arriver à ce terme, qui est le dernier, il faut d’abord que le travail cesse d’être déshonorant.