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Union ouvrière/Chapitre 3

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III.

LE POURQUOI je mentionne les Femmes.


Ouvriers, mes frères, vous pour lesquels je travaille avec amour, parce que vous représentez la partie la plus vivace, la plus nombreuse et la plus utile de l’humanité, et qu’à ce point de vue je trouve ma propre satisfaction à servir votre cause, je vous prie instamment de vouloir bien lire avec la plus grande attention ce chapitre, — car, il faut bien vous le persuader, il y va pour vous de vos intérêts matériels à bien comprendre pourquoi je mentionne toujours les femmes en les désignant par : ouvrières ou toutes.

Pour celui dont l’intelligence est illuminée par les rayons de l’amour divin ; l’amour de l’humanité, il lui est facile de saisir l’enchaînement logique des rapports qui existent entre les causes et les effets. — Pour celui-là, toute la philosophie, toute la religion, se résument par ces deux questions : — la première : — comment on peut et l’on doit aimer Dieu et le servir en vue du bien-être universel de tous et de toutes en l’humanité ? — La seconde : — comment on peut et l’on doit aimer et traiter la femme, en vue du bien-être universel de tous et de toutes en l’humanité. Ces deux questions ainsi posées sont, selon moi, la base sur laquelle doit reposer, en vue de l’ordre naturel, tout ce qui se produit dans le monde moral et le monde matériel (l’un découle de l’autre).

Je ne crois pas que ce soit ici la place de répondre à ces deux questions. — Plus tard, si les ouvriers m’en manifestent le désir, je traiterai très volontiers avec eux métaphysiquement et philosophiquement les questions de l’ordre le plus élevé. Mais, pour le moment, il nous suffit de poser ici ces deux questions, comme étant la déclaration formelle d’un principe absolu.

Sans remonter directement aux causes, bornons-nous à examiner les effets.

Jusqu’à présent, la femme n’a compté pour rien dans les sociétés humaines. — Qu’en est-il résulté ? — Que le prêtre, le législateur, le philosophe, l’ont traitée en vraie paria. La femme (c’est la moitié de l’humanité) a été mise hors l’Église, hors la loi, hors la société[1]. — Pour elle, point de fonctions dans l’Église, point de représentation devant la loi, point de fonctions dans l’État. — Le prêtre lui a dit : — Femme, tu es la tentation, le péché, le mal ; — tu représentes la chair, c’est-à-dire la corruption, la pourriture, — Pleure sur ta condition, jette de la cendré sur ta tête, enferme-toi dans un cloître, et là, macère ton cœur, qui est fait pour l’amour, et tes entrailles de femme, qui sont faites pour la maternité ; et quand tu auras ainsi mutilé ton cœur et ton corps, offre les tout sanglants et tout desséchés à un Dieu pour la rémission du péché originel commis par ta mère Ève. Puis le législateur lui a dit : — Femme, par toi-même tu n’es rien comme membre actif du corps humanitaire ; tu ne peux espérer trouver place au banquet social. — Il faut, si tu veux vivre, que tu serves d’annexe à ton seigneur et maître, l’homme. — Donc, jeune fille, tu obéiras à ton père ; — mariée, tu obéiras à ton mari, veuve et vieille, on ne fera plus aucun cas de toi. Ensuite le savant philosophe lui a dit : — Femme ; il a été constaté par la science que d’après ton organisation, tu es inférieure à l’homme[2]. — Or, tu n’as pas d’intelligence, pas de compréhension pour les hautes questions, pas de suite dans les idées, aucune capacité pour les sciences dites exactes, pas d’aptitude pour les travaux sérieux, — enfin, tu es un être faible de corps et d’esprit, pusillanime, superstitieux ; en un mot, tu n’es qu’un enfant capricieux ; volontaire, frivole ; pendant 10 ou 15 ans de la vie tu es une gentille petite poupée, mais remplie de défauts et de vices. — C’est pourquoi, femme, il faut que l’homme soit ton maître et ait toute autorité sur toi[3].

Voilà, depuis six mille ans que le monde existe, comment les sages des sages ont jugé la race femme.

Une aussi terrible condamnation, et répétée pendant six mille ans, était de nature à frapper la foule, car la sanction du temps a beaucoup d’autorité sur la foule. — Cependant, ce qui doit nous faire espérer qu’on pourra en appeler de ce jugement, c’est que de même, pendant six mille ans, les sages des sages ont porté un jugement non moins terrible sur une autre race de l’humanité : les PROLÉTAIRES. — Avant 89, qu’était le prolétaire dans la société française ? — Un vilain, un manant, dont on faisait une bête de somme taillable et corvéable. — Puis arrive la révolution de 89 et tout à coup voilà les sages des sages qui proclament que la plèbe se nomme peuple, que les vilains et les manants se nomment citoyens. — Enfin, ils proclament en pleine assemblée nationale les droits de l’homme[4]. Le prolétaire, lui pauvre ouvrier regardé jusque là comme une brute, fut bien surpris en apprenant que c’était l’oubli et le mépris qu’on avait fait de ses droits qui avaient causé les malheurs du monde’. — Oh ! il fut bien surpris d’apprendre qu’il allait jouir de droits civils, politiques et sociaux, et qu’enfin il devenait l’égal de son ancien seigneur et maître. — Sa surprise augmenta quand on lui apprit qu’il possédait un cerveau absolument de même qualité que celui du prince royal héréditaire. — Quel changement ! — Cependant on ne tarda pas à s’apercevoir que ce second jugement porté sur la race prolétaire était bien plus exact que le premier, puisqu’à peine eut-on proclamé que les prolétaires étaient aptes à toute espèce de fonctions civiles, militaires et sociales que l’on vit sortir de leurs rangs des généraux comme Charlemagne, Henri IV ni Louis XIV n’avaient jamais pu en recruter dans les rangs de leur orgueilleuse et brillante noblesse[5]. Puis, comme par enchantement, il surgit en foule des rangs des prolétaires des savants, des artistes, des poètes, des écrivains, des hommes d’État, des financiers, qui jetèrent sur la France un lustre que jamais elle n’avait eu. — Alors la gloire militaire vint la couvrir comme d’une auréole ; les découvertes scientifiques l’enrichirent, les arts l’embellirent ; son commerce prit une extension immense, et en moins de 30 ans la richesse du pays tripla. La démonstration par les faits est sans réplique. — Aussi tout le monde convient aujourd’hui que les hommes naissent indistinctement avec des facultés à peu près égales, et que la seule chose dont on devrait s’occuper, serait de chercher à développer toutes les facultés de l’individu en vue du bien-être général.

Ce qui est arrivé pour les prolétaires est, il faut en convenir, de bon augure pour les femmes lorsque leur 89 aura sonné. — D’après un calcul fort simple, il est évident que la richesse croîtra indéfiniment le jour où l’on appellera les femmes (la moitié du genre humain) à apporter dans l’activité sociale leur somme d’intelligence, de force et de capacité. — Ceci est aussi facile à comprendre que 2 est le double de 1. Mais, hélas ! nous ne sommes pas encore là, et en attendant cet heureux 89 constatons ce qui se passe en 1843.

L’Église ayant dit que la femme était le péché ; le législateur, que par elle-même elle n’était rien, qu’elle ne devait jouir d’aucun droit ; le savant philosophe, que par son organisation elle n’avait pas d’intelligence, on en a conclu que c’était un pauvre être déshérité de Dieu, et les hommes et la société l’ont traitée en conséquence,

Je ne connais rien de puissant comme la logique forcée, inévitable, qui découle d’un principe posé ou de l’hypothèse qui le représente : — L’infériorité de la femme une fois proclamée et posée comme principe, voyez quelles conséquences désastreuses il en résulte pour le bien-être universel de tous et de toutes en l’humanité.

Croyant que la femme, par son organisation manquait de force, d’intelligence, de capacité et qu’elle était impropre aux travaux sérieux et utiles, on en a conclu très logiquement que ce serait perdre son temps que de lui donner une éducation rationnelle, solide, sévère, capable d’en faire un membre utile de la société. On l’a donc élevée pour être une gentille poupée et une esclave destinée à distraire son maître et à le servir. — À la vérité, de temps à autre quelques hommes doués d’intelligence, de sensibilité, souffrant dans leurs mères, dans leurs femmes, dans leurs filles, se sont récriés, contre la barbarie, et l’absurdité d’un pareil ordre de choses, et ont protesté énergiquement contre une condamnation aussi inique[6]. — À plusieurs reprises la société s’est émue un moment ; mais, poussée par la logique, elle a répondu : Eh bien ! mettons que les femmes ne soient pas ce que les sages ont cru ; supposons même qu’elles aient beaucoup de force morale et beaucoup d’intelligence : eh bien ! dans ce cas, à quoi servirait de développer leurs facultés, puisqu’elles ne trouveraient pas à les employer utilement dans cette société qui les repousse ? — Quel supplice plus affreux que de sentir en soi la force et la puissance d’agir, et de se voir condamné à l’inaction !

Ce raisonnement était d’une vérité irréfragable. — Aussi tout le monde de répéter : C’est vrai, les femmes souffriraient trop si l’on développait en elles les belles facultés dont Dieu les a dotées, si dès leur enfance on les élevait de manière à ce qu’elles comprissent bien leur dignité d’être et qu’elles eussent conscience de leur valeur comme membres de la société ; jamais, non, jamais elles ne pourraient supporter, la condition avilissante que l’Église, la loi et les préjugés leur ont faite. Il vaut mieux les traiter comme des enfants et les laisser dans l’ignorance sur elles-mêmes ; elles souffriront moins.

Suivez bien, et vous verrez quelle effroyable perturbation résulte uniquement de l’acceptation d’un faux principe.

Ne voulant pas m’écarter de mon sujet, bien qu’ici l’occasion soit belle pour parler au point de vue général, je rentre dans mon cadre, la classe ouvrière.

Dans la vie des ouvriers la femme est tout. — Elle est leur unique providence. — Si elle leur manque, tout leur manque. Aussi disent-ils « C’est la femme qui fait ou défait la maison, » et ceci est l’exacte vérité ; c’est pourquoi on en a fait un proverbe. — Cependant quelle éducation, quelle instruction, quelle direction, quel développement moral ou physique reçoit la femme du peuple ? — Aucun. — Enfant, elle est laissée à la merci d’une mère et d’une grand’mère qui, elles-mêmes, n’ont reçu aucune éducation : — l’une, selon son naturel, sera brutale et méchante, la battra et la maltraitera sans motif ; — l’autre sera faible insouciante, et lui laissera faire toutes ses volontés. (En ceci, comme en tout ce que j’avance, je parle en général ; bien entendu j’admets de nombreuses exceptions.) La pauvre enfant s’élèvera au milieu des contradictions les plus choquantes, — un jour irritée par les coups et les traitements injustes, — le lendemain amollie, viciée par des gâteries non moins pernicieuses.

Au lieu de l’envoyer à l’école[7], on la gardera à la maison de préférence à ses frères, parce qu’on en tire mieux parti dans le ménage, soit pour bercer les enfants, faire les commissions, soigner la soupe, etc. — À 12 ans on la met en apprentissage : là elle continue à être exploitée par la patronne et souvent à être aussi maltraitée qu’elle l’était chez ses parents.

Rien n’aigrit le caractère, n’endurcit le cœur, ne rend l’esprit méchant comme la souffrance continuelle qu’un enfant endure par suite d’un traitement injuste et brutal. — D’abord l’injustice nous blesse, nous afflige, nous désespère ; puis lorsqu’elle se prolonge, elle nous irrite, nous exaspère, et, ne rêvant plus qu’au moyen de nous venger, nous finissons par devenir nous-mêmes durs, injustes, méchants. — Tel sera l’état normal de la pauvre fille à 20 ans. — Alors elle se mariera, sans amour, uniquement parce qu’il faut se marier si l’on veut se soustraire à la tyrannie des parents. Qu’arrivera-t-il ? — Je suppose qu’elle ait des enfants : — à son tour, elle sera tout-à-fait incapable d’élever convenablement ses fils et ses filles : elle se montrera envers eux aussi brutale que sa mère et sa grand-mère l’ont été envers elle[8].

Femmes de la classe ouvrière, observez bien, je vous prie, qu’en signalant ici ce qui est touchant votre ignorance et votre incapacité à élever vos enfants, je n’ai nullement l’intention de porter contre vous et votre nature la moindre accusation. Non, c’est la société que j’accuse de vous laisser ainsi incultes, vous, femmes ; vous, mères, qui auriez tant besoin, au contraire, d’être instruites et développées, afin de pouvoir à votre tour instruire et développer les hommes, enfants, confiés à vos soins.

Les femmes du peuple, en général, sont brutales, méchantes, parfois dures. — C’est vrai ; mais d’où provient cet état de choses si peu conforme avec la nature douce, bonne, sensible, généreuse, de la femme ?

Pauvres ouvrières ! elles ont tant de sujets d’irritation ! D’abord le mari. — (Il faut en convenir, il y a peu de ménages d’ouvriers qui soient heureux.) — Le mari ayant reçu plus d’instruction, étant le chef de par la loi, et aussi de par l’argent qu’il apporte dans le ménage[9], se croit (et il l’est de fait) bien supérieur à la femme, qui, elle, n’apporte que le petit salaire de sa journée, et n’est dans la maison que la très humble servante.

Il résulte de ceci que le mari traite sa femme pour le moins avec beaucoup de dédain. — La pauvre femme, qui se sent humiliée dans chaque parole, dans chaque regard que son mari lui adresse se révolte ouvertement ou sourdement, selon son caractère ; de là naissent des scènes violentes, douloureuses qui finissent par amener entre le maître et la servante (on peu : même dire l’esclave, car la femme est, pour ainsi dire, la propriété du mari) un état constant d’irritation. — Cet état devient si pénible, que le mari, au lieu de rester chez lui à causer avec sa femme, se hâte de fuir, et comme il n’a point d’autre lieu où aller, il va au cabaret boire du vin bleu avec d’autres maris aussi malheureux que lui, dans l’espoir de s’étourdir[10].

Ce moyen de distraction aggrave le mal. — La femme qui attend la paye du dimanche pour faire vivre toute la famille pendant la semaine, se désespère en voyant son mari en dépenser la plus forte partie au cabaret. Alors son irritation est portée au comble, et sa brutalité, sa méchanceté redoublent. — Il faut avoir vu de près ces ménages d’ouvriers (surtout les mauvais) pour se faire une idée du malheur qu’éprouve le mari, de la souffrance qu’éprouve la femme. — Des reproches, des injures, on passe aux coups, ensuite aux pleurs, au découragement et au désespoir[11].

Après les cuisants chagrins causés par le mari, viennent ensuite les grossesses, les maladies, le manque d’ouvrage et la misère, la misère, qui est toujours là plantée à la porte comme la tête de Méduse. — Ajoutez à tout cela cette irritation incessante causée par quatre ou cinq enfants criards, turbulents, ennuyeux, qui sont à tournoyer autour de la mère, et cela dans une petite chambre d’ouvrier, où l’on n’a pas de place pour se remuer. Oh ! il faudrait être un ange descendu sur la terre pour ne pas s’irriter, ne pas devenir brutale et méchante dans une pareille position. — Cependant, dans un tel milieu de famille, que deviennent les enfants ? Ils ne voient leur père que le soir et le dimanche. Ce père, toujours en état d’irritation ou d’ivresse ne leur parle qu’en colère, et ils ne reçoivent de lui que des injures et des coups ; entendant leur mère s’en plaindre continuellement, ils le prenne en haine, en mépris. — Quant à leur mère, ils la craignent, lui obéissent, mais ne l’aiment pas ; car l’homme est ainsi fait, il ne peut aimer ceux qui le maltraitent. — Et n’est-ce donc pas déjà un grand malheur pour un enfant de ne pas pouvoir aimer sa mère ! — S’il a du chagrin, dans le sein de qui ira-t-il pleurer ? — Si par étourderie, entraînement, il a commis quelque faute grave, à qui pourra-t-il se confier ? N’ayant aucun attrait à rester près de sa mère l’enfant cherchera tous les prétextes pour s’éloigner de la maison maternelle. Les mauvaises sociétés sont faciles à faire, pour les filles comme pour les garçons. De la flânerie on passera au vagabondage, et souvent du vagabondage au vol.

Parmi les malheureuses qui peuplent les maisons de prostitution… et les malheureux qui gémissent au bagne, combien s’en trouve-t-il qui peuvent dire : — « Si nous avions eu une mère capable de nous élever, certes nous ne serions pas ici. »

Je le répète, la femme est tout dans la vie de l’ouvrier : comme mère, elle a action sur lui pendant son enfance ; c’est d’elle, et uniquement d’elle, qu’il puise les premières notions de cette science si importante à acquérir, la science de la vie, celle qui nous enseigne à vivre convenablement pour nous et pour les autres, selon le milieu où le sort nous a placés[12]. Comme amante, elle a action sur lui penddant toute sa jeunesse, et quelle puissante action pourrait exercer une jeune fille belle et aimée ! — Comme épouse, elle a action sur lui les trois quarts de sa vie. — Enfin comme fille, elle a action sur lui dans sa vieillesse. — Remarquez que la position de l’ouvrier est tout autre que celle de l’oisif. — Si l’enfant du riche a une mère incapable de l’élever, on le met en pension ou on lui donne une gouvernante. — Si le jeune homme riche n’a pas de maîtresse, il peut occuper son cœur et son imagination par l’étude des beaux-arts ou de la science. — Si l’homme riche n’a point d’épouse, il ne manque pas de rencontrer des distractions dans le monde. — Si le vieillard riche n’a pas de fille, il trouve quelques vieux amis ou jeunes neveux qui consentent très volontiers à venir faire sa partie de boston, tandis que l’ouvrier, auquel tous ces plaisirs sont interdits, n’a pour toute joie, pour toute consolation, que la société des femmes de sa famille, ses compagnes d’infortune. Il résulte de cette position qu’il serait de la plus haute importance au point de vue de l’amélioration intellectuelle, morale et matérielle de la classe ouvrière, que les femmes du peuple reçussent dès leur enfance une éducation rationnelle, solide, propre à développer tous les bons penchants qui sont en elles, afin qu’elles pussent devenir des ouvrières habiles dans leur métier, de bonnes mères de famille capables d’élever et de diriger leurs enfants et d’être pour eux, comme le dit la Presse, des répétiteurs naturels et gratuits des leçons de l’école, et afin qu’elles pussent servir aussi d’agents moralisateurs pour les hommes sur lesquels elles ont action depuis la naissance jusqu’à la mort.

Commencez-vous à comprendre, vous, hommes, qui criez au scandale avant de vouloir examiner la question, pourquoi je réclame des droits pour la femme ? — pourquoi je voudrais qu’elle fût placée dans la société sur un pied d’égalité absolue avec l’homme, et qu’elle en jouit en vertu du droit légal que tout être apporte en naissant ?

Je réclame des droits pour la femme, parce que je suis convaincue que tous les malheurs du monde proviennent de cet oubli et mépris qu’on a fait jusqu’ici des droits naturels et imprescriptibles de l’être femme. — Je réclame des droits pour la femme, parce que c’est l’unique moyen qu’on s’occupe de son éducation, et que de l’éducation de la femme dépend celle de l’homme en général, et particulièrement celle de l’homme du peuple. — Je réclame des droits pour la femme, parce que c’est le seul moyen d’obtenir sa réhabilitation devant l’église, devant la loi et devant la société, et qu’il faut cette réhabilitation préalable pour que les ouvriers soient eux-mêmes réhabilités. — Tous les maux de la classe ouvrière se résument par ces deux mots : Misère et ignorance, ignorance et misère. Or, pour sortir de ce dédale, je ne vois qu’un moyen : commencer par instruire les femmes, parce que les femmes sont chargées d’élever les enfants males et femelles.

Ouvriers, dans l’état actuel des choses, vous savez ce qui se passe dans vos ménages. Vous, homme, le maître ayant droit sur votre femme, vivez-vous avec elle le cœur content ? dites : êtes-vous heureux ?

Non, non ; il est facile de voir qu’en dépit de votre droit, vous n’êtes ni content ni heureux.

Entre le maître et l’esclave, il ne peut y avoir que la fatigue du poids de la chaîne qui les lie l’un à l’autre. — Là où l’absence de liberté se fait sentir, le bonheur ne saurait exister.

Les hommes se plaignent sans cesse de l’humeur acariâtre, du caractère rusé et sourdement méchant, que manifeste la femme dans presque toutes ses relations. — Oh ! j’aurais bien mauvaise opinion de la race femme, si dans l’état d’abjection où la loi et les mœurs les ont placées, les femmes se soumettaient au joug qui pèse sur elles sans proférer un murmure. — Grâce à Dieu, il n’en est pas ainsi ! leur protestation, et cela depuis le commencement des temps, a toujours été incessante. — Mais depuis la déclaration des droits de l’homme, acte solennel qui proclamait l’oubli et le mépris que les hommes nouveaux faisaient d’elles, leur protestation a pris un caractère d’énergie et de violence, qui prouve qué l’exaspération de l’esclave est au comble[13].

Ouvriers, vous qui avez du bon sens et avec les quels on peut raisonner, parce que vous n’avez pas comme dit Fourier, l’esprit farci d’un tas de systèmes, voulez-vous supposer pour un moment, que la femme est en droit l’égale de l’homme ? eh bien ! qu’en résulterait-il ?

1o Que dès l’instant où l’on n’aurait plus à redouter les conséquences dangereuses qu’amène nécessairement, dans l’état actuel de sa servitude, le développement moral et physique des facultés de la femme, on l’instruirait avec beaucoup de soin, afin de tirer de son intelligence et de son travail le meilleur parti possible ; — 2o Que vous, hommes du peuple, vous auriez pour mères des ouvrières habiles, gagnant de bonnes journées, instruites, bien élevées et très capables de vous instruire, de vous bien élever, vous, ouvriers, comme il convient à des hommes libres ; — 3o Que vous auriez pour sœurs, pour amantes, pour épouses, pour amies, des femmes instruites, bien élevées, et dont le commerce journalier serait pour vous on ne peut plus agréable : car, rien n’est plus doux, plus suave au cœur de l’homme, que la conversation des femmes lorsqu’elles sont instruites, bonnes, et causent avec sens et bienveillance.

Nous avons jeté un coup d’œil rapide sur ce qui se passe actuellement dans les ménages d’ouvriers ; examinons maintenant ce qui se passerait dans ces mêmes ménages si la femme était l’égale de l’homme.

Le mari, sachant que sa femme a des droits égaux aux siens, ne la traiterait plus avec le dédain, le mépris qu’on montre aux inférieurs ; au contraire, il la traiterait avec ce respect et cette déférence qu’on accorde aux égaux. Alors plus de sujet d’irritation pour la femme, et, une fois la cause de l’irritation détruite, la femme ne se montrera plus ni brutale, ni rusée, ni acariâtre, ni colère, ni exaspérée, ni méchante. — N’étant plus regardée dans la maison comme la servante du mari, mais bien comme l’associée, l’amie, la compagne de l’homme, naturellement elle prendra intérêt à l’association et fera tout ce qu’elle pourra pour faire fructifier le petit ménage. — Ayant des connaissances théoriques et pratiques, elle emploiera toute son intelligence à mener sa maison avec ordre, économie et entendement. — Instruite et connaissant l’utilité de l’instruction, elle mettra toute son ambition à bien élever ses enfants, elle les instruira elle-même avec amour, surveillera leurs travaux d’école, les placera en apprentissage chez de bons patrons ; enfin elle les dirigera en toutes choses avec sollicitude, tendresse et discernement. — Quel sera alors le contentement de cœur, la sécurité d’esprit, le bonheur de l’âme de l’homme, du mari, de l’ouvrier qui possédera une telle femme ! — Trouvant dans sa femme de l’intelligence, du bon sens, des vues élevées, il pourra causer avec elle sur des sujets, sérieux, lui communiquer ses projets, et, de concert avec elle, travailler aux moyens d’améliorer encore leur position. — Flattée de sa confiance, elle l’aidera dans ses entreprises et affaires, soit par ses bons conseils, soit par son activité. — L’ouvrier étant lui-même instruit et bien élevé, trouvera un grand charme à instruire et à développer ses jeunes enfants. — Les ouvriers, en général, ont très bon cœur, ils aiment beaucoup les enfants. Avec quel courage cet homme travaillera toute la semaine, quand il saura qu’il doit passer le dimanche en compagnie de sa femme, qu’il aimera, de ses deux petites fillettes espiègles, caressantes, folâtres, de ses deux garçons déjà instruits et pouvant causer avec leur père sur des sujets sérieux ! Avec quelle ardeur ce père travaillera pour gagner quelques sous en sus de sa paye ordinaire, afin de pouvoir faire cadeau à ses petites filles d’un joli bonnet, et à ses fils d’un livre, d’une gravure ou de toute autre chose qu’il saura devoir leur faire plaisir ! avec quels transports de joie ces petits cadeaux seraient reçus ! et quel bonheur pour la mère de voir cet amour réciproque entre le père et les enfants ! il est clair que, dans cette supposition, la vie de ménage de famille, serait pour l’ouvrier ce qu’il y aurait de plus désirable. — Se trouvant bien chez lui, heureux et satisfait dans la compagnie de sa bonne vieille mère, de sa jeune femme et de ses enfants, il ne lui viendrait pas à l’idée de quitter sa maison pour aller se distraire au cabaret, lieu de perdition où l’ouvrier perd son temps, son argent, sa santé, et abrutit son intelligence. — Avec la moitié de ce qu’ivrogne dépense au cabaret, toute une famille d’ouvriers vivant unis, pourrait, en été, aller dîner dans les champs.Il faut si peu de chose aux gens qui savent vivre sobrement. — Là, les enfants respirant le grand air, seront tout joyeux de courir avec le père et la mère, qui se feront enfants pour les amuser ; et le soir, la famille, le cœur content, les membres un peu délassés du travail de la semaine rentrera au logis très satisfaite de la journée. — En hiver, la famille ira au spectacle. — Ces divertissements offrent un double avantage, ils instruisent les enfants en les amusant. Dans une journée passée à la campagne, une soirée passée au théâtre, que de sujets d’étude une mère intelligente peut trouver pour instruire ses enfants !

Dans les conditions que je viens de tracer, le ménage, au lieu d’être une cause de ruine pour l’ouvrier, serait du contraire une cause de bien-être. Qui ne sait combien l’amour et le contentement du cœur, triple, quadruple les forces de l’homme ? Nous l’avons vu par quelques rares exemples. Il est arrivé qu’un ouvrier, adorant sa famille et se mettant en tête de donner de l’éducation à ses enfants, faisait, pour atteindre ce noble but, l’ouvrage que trois hommes non mariés n’auraient pu faire. Puis le chapitre des privations. Les célibataires dépensent largement, ils ne se refusent rien. — Que nous importe, disent-ils, après tout, nous pouvons boire et vivre joyeusement, puisque nous n’avons personne à nourrir. Tandis que l’homme marié qui aime sa famille, trouve de la satisfaction à se priver pour elle et vit avec une frugalité exemplaire.

Ouvriers, ce petit tableau, à peine esquissé, de la position dont jouirait la classe prolétaire si la femme était reconnue l’égale de l’homme, doit vous donner à réfléchir sur le mal qui existe et sur le bien qui pourrait être. — Cela doit vous faire prendre une grande détermination.

Ouvriers, vous n’avez pas pouvoir d’abroger les anciennes lois et d’en faire de nouvelles, — non, sans doute ; — mais vous avez le pouvoir de protester contre l’iniquité et l’absurdité des lois qui entravent le progrès de l’humanité et qui vous font souffrir, vous, plus particulièrement. — Vous pouvez donc, c’est même un devoir sacré, protester énergiquement en pensées, en paroles et en écrits, contre toutes les lois qui vous oppriment. — Or donc, tâchez de bien comprendre ceci : — La loi qui asservit la femme et la prive d’instruction, vous opprime, vous ; hommes prolétaires.

Pour l’élever, l’instruire et lui apprendre la science du monde, le fils du riche a des gouvernantes et institutrices savantes, des directrices habiles, et enfin, de belles marquises, femmes élégantes, spirituelles, dont les fonctions, dans la haute société, consistent à se charger de faire l’éducation des fils de famille qui sortent du collége. — C’est une fonction très utile pour le bien-être de ces messieurs de la haute noblesse. — Ces dames leur apprennent à avoir de la politesse, du tact, de la finesse, de la souplesse dans l’esprit, de belles manières ; en un mot, elles en font des hommes qui savent vivre, des hommes comme il faut. — Pour peu qu’un jeune homme ait de la capacité, s’il a le bonheur d’être sous la protection d’une de ces femmes aimables, sa fortune est faite. — À trente-cinq ans il est sûr d’être ambassadeur ou ministre. — Tandis que vous, pauvres ouvriers, pour vous élever, vous instruire, vous n’avez que votre mère ; pour faire de vous des hommes sachant vivre, vous n’avez que les femmes de votre classe, vos compagnes d’ignorance et de misère[14]. Ce n’est donc pas au nom de la supériorité de la femme (comme on ne manquera pas de m’en accuser) que je vous dis de réclamer des droits pour la femme : non vraiment. — D’abord, avant de discuter sur sa supériorité, il faut que son individu social soit reconnu. — Je m’appuie sur une base plus solide. — C’est au nom de votre propre intérêt à vous, hommes ; c’est au nom de votre amélioration, à vous, hommes ; enfin, c’est au nom du bien-être universel de tous et de toutes que je vous engage à réclamer des droits pour la femme, et, en attendant, de les lui reconnaître au moins en principe.

C’est donc à vous, ouvriers, qui êtes les victimes de l’inégalité de fait et de l’injustice, c’est à vous qu’il appartient d’établir enfin sur la terre le règne de la justice et de l’égalité absolue entre la femme et l’homme.

Donnez un grand exemple au monde, exemple qui prouvera à vos oppresseurs que c’est par le droit que vous voulez triompher, et non par la force brutale ; vous, cependant, 7, 10, 15 millions de prolétaires, qui pourriez disposer de cette force brutale !

Tout en réclamant pour vous la justice : prouvez que vous êtes justes, équitables ; proclamez, vous, les hommes forts, les hommes aux bras nus, que vous reconnaissez la femme pour votre égale, et qu’à ce titre, vous lui reconnaissez un droit égal aux bénéfices de l’UNION UNIVERSELLE DES OUVRIERS ET OUVRIÈRES.

Ouvriers, peut-être que dans trois ou quatre ans vous aurez votre premier palais à vous, prêt à recevoir 600 vieillards et 600 enfants. — Eh bien ! proclamez par vos statuts, qui deviendront VOTRE CHARTE, proclamez les droits de la femme, à l’égalité. Qu’il soit écrit dans VOTRE CHARTE qu’on admettra, dans les palais de l’UNION OUVRIÈRE, pour y recevoir l’éducation intellectuelle et professionnelle, un nombre égal de FILLES et de GARÇONS.

Ouvriers, en 91, vos pères ont proclamé l’immortelle déclaration des DROITS DE L’HOMME, et c’est à cette solennelle déclaration que vous devez d’être aujourd’hui des hommes libres et égaux en droit devant la loi'. — Honneur à vos pères pour cette grande œuvre ! — Mais, prolétaires, il vous reste à vous, hommes de 1843, une œuvre non moins grande accomplir. — À votre tour, affranchissez les dernières esclaves qui restent encore dans la société française ; proclamez les DROITS DE LA FEMME, et dans les mêmes termes que vos pères ont proclamé les vôtres, dites :

« Nous, prolétaires français, après cinquante-trois ans d’expérience, nous reconnaissons être duement éclairés et convaincus que l’oubli et le mépris qu’on a fait des droits naturels de la femme sont les seules causes des malheurs du monde, et nous avons résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, inscrite dans notre charte, ses droits sacrés et inaliénables. Nous voulons que les femmes soient instruites de notre déclaration, afin qu’elles ne se laissent plus opprimer et avilir par l’injustice et la tyrannie de l’homme, et que les hommes respectent dans les femmes, leurs mères, la liberté et l’égalité dont ils jouissent eux-mêmes.

1o Le but de la société devant être le bonheur commun de l’homme et de la femme, L’UNION OUVRIÈRE garantit à l’homme et à la femme la jouissance de leurs droits d’ouvriers et d’ouvrières.

2o Ces droits sont : l’égalité à l’admission dans les PALAIS de l’UNION OUVRIÈRE, soit comme enfants, blessés ou vieillards.

3o Pour nous, la femme étant l’égale de l’homme, il est bien entendu que les filles recevront, quoique diverse, une instruction aussi rationnelle, aussi solide, aussi étendue en science morale et professionnelle, que les garçons.

4o Quant aux blessés et aux vieillards, le traitement en tout sera le même pour les femmes que pour les hommes.

Ouvriers, soyez-en sûrs ; si vous avez assez d’équité, de justice, pour inscrire dans votre Charte les quelques lignes que je viens de tracer, cette déclaration des droits de la femme passera bientôt dans les mœurs ; des mœurs dans la loi, et avant vingt-cinq ans yous verrez inscrit en tête du livre de la loi qui régira la société française : — ÉGALITE ABSOLUE « de » « l’homme et de la femme ».

Alors, mes frères, et seulement alors, l’UNITÉ HUMAINE sera CONSTITUÉE.

Fils de 89, voilà l’œuvre que vos pères vous ont léguée !


  1. Aristote, moins tendre que Platon, posait, sans la résoudre, cette question : Les femmes ont-elles une âme ? question que daigna trancher en leur faveur le concile de Mâcon, à la majorité de trois voix.(La Phalange, 21 août 1842.)

    Ainsi, trois voix de moins, et la femme était reconnue appartenir au règne des bêtes brutes, et ceci étant, l’homme, le maître, le seigneur, aurait été obligé de cohabiter avec la bête brute ! cette pensée fait frémir et glace d’horreur !….. Du reste, telles que sont les choses, cela doit être un profond sujet de douleur pour les sages des sages de penser qu’ils descendent de la race femme. — Car, si réellement ils sont convaincus que la femme est aussi stupide qu’ils le prétendent, quelle honte pour eux d’avoir été conçus dans les flancs d’une semblable créature, d’avoir sucé son lait et d’être restés sous sa tutelle une grande partie de leur vie ! — Oh ! il est bien probable que, si ces sages avaient pu mettre la femme hors la nature, comme ils l’ont mise hors l’Église, hors la loi et hors la société, ils se seraient épargné la honte de descendre d’une femme. — Mais heureusement qu’au dessus de la sagesse des sages, il y a la loi de Dieu.
    Tous les prophètes, excepté Jésus, ont traité la femme avec une iniquité, un mépris et une dureté inexplicables. — Moïse fait dire à son Dieu :
    « 16. Dieu dit aussi à la femme : Je vous afflige de plusieurs maux pendant votre grossesse ; vous enfanterez, dans la douleur ; vous serez sous la puissance de votre mari, et il vous dominera.(Genèse, chap. III.)
    L’auteur de l’Écclésiastique avait poussé l’orgueil du sexe jusqu’à dire : Mieux vaut un homme vicieux qu’une femme vertueuse.
    Mahomet dit au nom de son Dieu :
    « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci, et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes.
    Vous réprimanderez celles dont vous aurez à craindre l’inobéissance ; vous les reléguerez dans des lits à part, vous les battrez ; mais aussitôt qu’elles vous obéissent, ne leur cherchez point querelle. » (Koran, chap. IV, 38.)
    Les lois de Manon disent :
    « Pendant son enfance, une femme doit dépendre de son père : pendant sa jeunesse, elle dépend de son mari ; son mari étant mort, de ses fils si elle n’a pas de fils, des proches parents de son mari, ou à leur défaut, de ceux de son père ; si elle n’a pas de parents paternels, du souverain : une femme ne doit jamais se gouverner à sa guise ! »
    Voici qui est le plus curieux : « Elle doit être toujours de bonne humeur. »
    215, La femme ne peut ester en jugement sans l’autorisation de son mari, quand même elle serait marchande publique, ou non commune, ou séparée de biens.
    37. Les témoins produits aux actes de l’état civil ne pourront être que du sexe masculin.(Code civil.)

    L’un (l’homme) doit être actif et fort, l’autre (la femme) passif et faibles (J.-J. Rousseau, Émile.)

    Cette formule de trouve reproduite dans le Code :
    213. Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari.
  2. La plupart des savants, soit naturalistes, médecins ou philosophies, ont conclu plus ou moins explicitement à l’infériorité intellectuelle de la femme.
  3. La femme a été faite pour l’homme.(St Paul)
  4. Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle ses droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du Gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur, le magistrat la règle de ses devoirs, le législateur l’objet de sa mission.
    En conséquence, il proclame, en présence de l’Être suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen :
    1. Le but de la société est le bonheur commun. Le Gouvernement est constitué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
    2. Ces droits sont, l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
    3. Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.
    4. La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale.(Convention nationale, 27 juin 1793.)
  5. Tous les fameux généraux de l’Empire sortaient de la classe ouvrière. — Avant 89, les nobles seuls étaient officiers.
  6. Voici, entre autres choses, ce que dit Fourier
    « J’ai trouvé dans le cours de mes recherches sur le régime sociétaire beaucoup plus de raison chez les femmes que chez les hommes ; car elles m’ont plusieurs fois donnée des idées neuves qui m’ont valu des solutions de problèmes très imprévues.
    Plusieurs fois j’ai dû à des femmes de la classe nommée primesautier (esprit qui saisit promptement et rend ses idées avec exactitude, sans intermédiaire), des solutions précieuse qui m’avaient mis l’esprit à la torture. Les hommes ne m’ont jamais été d’aucun secours en ce genre.
    Pourquoi ne trouve-t-on pas chez eux cette aptitude aux idées neuves, exemptes de préjugés ? C’est qu’ils ont l’esprit asservi, enchaîné par les préventions philosophiques dont on les a imbus dans les écoles. Ils en sortent la tête farcie de principes contraires à la nature, et ne peuvent plus envisager avec indépendance une idée neuve. Pour peu qu’elle discorde avec Platon ou Sénèque, ils s’insurgent et lancent l’anathème sur celui qui ose contredire le divin Platon, le divin Caton, le divin Raton. »
    (La fausse Industrie, page 326.)
  7. J’ai su, par une personne qui a passé les examens pour tenir une salle d’asile, que, par des ordres reçus de haut, les instituteurs de ces sortes d’écoles devaient s’occuper de développer l’intelligence des garçons plus que celle des filles. — Généralement, tous les maîtres d’école de village agissent de même à l’égard des enfants qu’ils instruisent. Plusieurs m’ont avoué qu’ils en recevaient l’ordre. Ceci est encore une conséquence logique de la position inégale qu’occupent dans la société l’homme et la femme. Il y a, à ce sujet, un dire, qui est proverbial : « Oh ! pour une femme, elle en sait toujours bien assez ! »
  8. Les femmes du peuple se montrent très tendres mères pour les petits enfants jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de deux à trois ans. — Leur instinct de femme leur fait comprendre que l’enfant, pendant ses deux premières années a besoin d’une sollicitude continuelle. — Mais passé cet âge, elles les brutalisent, (sauf exceptions).
  9. Il est à remarquer que dans tous les métiers exercés par les hommes et les femmes, on paie la journée de l’ouvrière, moitié moins que celle de l’ouvrier, ou, si elle travaille à la tâche, son salaire est moitié moindre. Ne pouvant pas supposer une injustice aussi flagrante, la première pensée qui nous frappe est celle-ci : — À raison de ses forces musculaires, l’homme fait sans doute le double de travail de la femme. Eh bien ! lecteur, il arrive justement le contraire. — Dans tous les métiers où il faut de l’adresse et l’agilité des doigts, les femmes font presque le double d’ouvrage des hommes. — Par exemple, dans l’imprimerie, pour composer (à la vérité elles font beaucoup de fautes, mais cela tient à leur manque d’instruction) ; dans les filatures de coton, fil ou soie, pour rattacher les fils ; en un mot, dans tous les métiers où il faut une certaine légèreté de main, les femmes excellent. — Un imprimeur me disait un jour avec une naïveté tout à fait caractéristique : — « On les paie moitié moins, c’est très juste puisqu’elles vont plus vite que les hommes ; elles gagneraient trop si on les payait le même prix. » — Oui, on les paie, non en raison du travail qu’elles font, mais en raison du peu de dépenses qu’elles font, par suite des privations qu’elles s’imposent. — Ouvriers, vous n’avez pas entrevu les conséquences désastreuses qui résulteraient pour vous d’une semblable injustice faite au détriment de vos mères, de vos sœurs, de vos femmes, de vos filles. — Qu’est-il arrivé ? Que les industriels, voyant les ouvrières travailler plus vite et à moitié prix, congédient chaque jour les ouvriers de leurs ateliers et les remplacent par des ouvrières. — Aussi l’homme se croise les bras et meurt de faim sur le pavé ! — C’est ainsi qu’ont procédé les chefs des manufactures en Angleterre. — Une fois entré dans cette voie, on congédie les femmes pour les remplacer par des enfants de douze ans ; — Économie de la moitié du salaire ! — Enfin on arrive à ne plus occuper que des enfants de sept ou huit ans. — Laissez passer une injustice, vous êtes sûrs qu’elle en engendrera des milliers.
  10. Pourquoi les ouvriers vont-ils au cabaret ? — L’égoïsme a frappé les hautes classes, celles qui gouvernent, d’une cécité complète. — Elles ne comprennent pas que leur fortune, leur bonheur, leur sûreté, dépendent de l’amélioration morale, intellectuelle et matérielle de la classe ouvrière. Elles abandonnent l’ouvrier à la misère, à l’ignorance, pensant, selon l’ancienne maxime, que plus le peuple est brute, plus il est facile à museler — Ceci était bon avant la déclaration des droits de l’homme ; depuis, c’est commettre un grossier anachronisme, une faute grave. — Du reste, il faudrait être au moins conséquent : si l’on croit qu’il soit d’une bonne et savante politique de laisser la classe pauvre à l’état de brute, alors pourquoi récriminer sans cesse contre ses vices. — Les riches, accusent les ouvriers d’être paresseux, débauchés, ivrognes ; et pour appuyer leurs accusations, ils s’écrient : — « Si les ouvriers sont misérables, c’est uniquement " « par » «  » « leur faute » ". — Allez aux barrières, entrez dans les cabarets, vous les trouverez remplis d’ouvriers qui sont là à boire et perdre. leur temps. » — Je crois que si les ouvriers, au lieu d’aller au cabaret, se réunissaient sept (nombre que permettent les lois de septembre) dans une chambre, pour s’y instruire en commun de leurs droits et aviser aux moyens à prendre pour les faire valoir légalement, les riches seraient plus mécontents que de voir les cabarets pleins.
    Dans l’état actuel des choses, de cabaret est le TEMPLE de l’ouvrier ; c’est le seul lieu où il puisse aller. — L’Église, il n’y croit point ; le théâtre, il n’y comprend rien. — Voilà pourquoi les cabarets sont toujours pleins. — À Paris, les trois quarts des ouvriers n’ont pas même de domicile : ils couchent en garni dans des chambrées ; et ceux qui sont en ménage logent dans des greniers où la place et l’air manquent, par conséquent ils sont forcés d’en sortir, s’ils veulent exercer un peu leurs membres et raviver leurs poumons. — Vous ne voulez pas instruire le peuple, vous lui défendez de se réunir, dans la crainte qu’il s’instruise lui-même, qu’il parle de politique ou de doctrines sociales ; vous ne voulez pas qu’il lise, qu’il écrive, qu’il occupe sa pensée, dans la crainte qu’il ne se révolte !… Mais que voulez-vous donc qu’il fasse ? Si vous lui interdisez tout ce qui est du ressort de l’esprit, il est clair que, pour toute ressource, il ne lui reste que le cabaret. — Pauvres ouvriers ! Accablés de misères, de chagrins de toutes sortes, soit dans le ménage, chez le patron, ou enfin, parce que les travaux répugnants et, forcés auxquels ils sont condamnés, leur irritent tellement le système nerveux, qu’ils en deviennent parfois comme fous ; dans cet état, pour échapper à leurs souffrances, ils n’ont d’autre refuge que le cabaret. — Aussi vont-ils là, boire du vin bleu, médecine exécrable ! — mais qui a la vertu d’étourdir.
    En face de pareils faits, il se rencontre dans le monde des gens dits vertueux, dits religieux, qui, confortablement établis dans leurs maisons, boivent à chaque repas et en abondance du bon vin de Bordeaux, du vieux Chablis, d’excellent Champagne, — et ces gens-là font de belles tartines morales contre l’ivrognerie, la débauche et l’intempérance de la classe ouvrière !….
    Dans le cours des études que j’ai faites sur les ouvriers (depuis dix ans je m’en occupe), jamais je n’ai rencontré d’ivrogne, de vrai débauché, parmi les ouvriers heureux en ménage et jouissant d’une certaine aisance. — Tandis que, parmi ceux qui sont ' malheureux en ménage et plongés dans une misère extrême, j’ai trouvé des ivrognes incorrigibles.
    Le cabaret n’est donc pas la cause du mal, mais simplement l’effet. — La cause du mal est uniquement dans l’ignorance, la misère, l’abrutissement où la classe ouvrière est plongée. — Instruisez le peuple, et dans vingt ans les débitants de vin bleu, qui tiennent cabaret aux barrières, fermeront boutique faute de consommateurs.
    En Angleterre, où la classe ouvrière est beaucoup plus ignorante et malheureuse qu’en France, les ouvriers et ouvrières poussent ce vice de l’ivrognerie jusqu’à la démence.
    (Voyez à ce sujet ce qu’en dit Eug. Buret.)
  11. Je citerai à l’appui de ce que j’avance ici, touchant la brutalité des femmes du peuple et aussi l’excellence de leur nature, un fait qui est arrivé à Bordeaux en 1827, pendant mon séjour dans cette ville.
    Parmi les vendeuses de légumes qui tiennent boutique en plein vent sur la place du marché, il y en avait une redoutée de toutes les bonnes, tant elle était insolente, méchante et brutale. — Le mari de cette femme était boueur, et ramassait les boues dans les rues de la ville. — Un soir il rentre, et la soupe n’était pas prête. — Une dispute s’élève entre le mari et la femme. — Des injures le mari veut en venir aux voies de fait, et il donne un soufflet à sa femme. — Celle-ci, qui, en cet instant, taillait la soupe avec un grand couteau de cuisine, exaspérée par la colère, fondit sur son mari, son couteau à la main, et lui traversa le cœur. — Celui-ci tomba roide mort. — La femme fut conduite en prison.
    En voyant son mari mort, cette femme si brutale, si méchante, fut saisie d’une si grande douleur, d’un si grand repentir, que, malgré son crime, elle inspira à tout le monde, non seulement de la compassion, mais encore du respect. — Il fut facile d’établir que c’était le mari qui l’avait provoquée ; que le meurtre avait été commis dans un moment de colère, mais sans nulle préméditation. — Sa douleur était telle, qu’on craignait pour sa vie, et comme elle nourrissait un enfant de quatre mois, le juge d’instruction, croyant la calmer, lui dit qu’elle pouvait se tranquilliser, qu’elle serait acquittée. — Mais quelle fut la surprise de tous les assistants, lorsqu’en entendant ces paroles cette femme s’écria : — « Moi, acquittée ! Ah ! monsieur le juge, qu’osez-vous dire ?… Si l’on acquittait une misérable comme moi, il n’y aurait plus aucune justice sur la terre. »
    On employa tous les raisonnements pour lui faire comprendre qu’elle n’était point criminelle, puisqu’elle n’avait pas eu la pensée de commettre un meurtre. — « Eh ! qu’importe la pensée ? répétait-elle, s’il y a en moi une brutalité qui me porte tantôt à estropier un de mes enfants, tantôt à tuer mon mari ? — Ne suis-je pas un être dangereux, incapable de vivre parmi la société ? » — Enfin, lorsqu’elle fut bien convaincue qu’elle serait acquittée, cette femme, brute, sans la moindre éducation, prit une résolution digne des hommes les plus forts de la République romaine. — Elle déclara qu’elle voulait se faire justice à elle-même et qu’elle allait se laisser mourir de faim… Et avec quelle force, quelle dignité elle exécuta cette terrible sentence de mort prononcée par elle-même ! — Sa mère, sa famille, ses sept enfants, vinrent la supplier en pleurs de consentir à vivre pour eux. — Elle rendit à sa mère son petit nourrisson en disant : — « Apprenez à mes enfants à se féliciter d’avoir perdu une pareille mère, car, dans un moment de brutalité, je pourrais les tuer, comme j’ai tué leur père. » — Les juges, les prêtres, les femmes du marché, et beaucoup de personnes de la ville, allèrent auprès d’elle pour la solliciter en sa faveur. Elle fut inébranlable. — Alors, on essaya d’un autre moyen ; on mit dans sa chambre des gâteaux, des fruits, du laitage, du vin, des viandes ; on alla jus qu’à faire rôtir de la volaille qu’on lui apportait toute chaude, afin que l’odeur l’excitât à manger, — « Tout ce que vous faites-là est inutile, répétait-elle avec beaucoup de sang-froid et de dignité ; une femme qui est assez brutale pour tuer le père de ses sept enfants doit mourir, et je mourrai. » — Elle souffrit des tortures affreuses sans se plaindre, et le septième jour, elle expira.
  12. Voici comment la Phalange, du 11 septembre 1842, s’exprime au sujet d’un article fort remarquable de la Presse :
    La Presse a pris le sage parti de laisser là les vaines querelles sur la petite session, sur le caractère des votes de l’enquête et de la loi de régence, sur la conversion de M. Thiers, et elle se met à étudier les questions qui vont être soumises aux conseils-généraux… Aujourd’hui beaucoup d’enfants restent encore privés d’instruction, et 4 196 communes n’ont pas d’école. Pour enlever tout prétexte aux parents, pour triompher de l’insouciance et du mauvais vouloir de quelques conseils municipaux, le publiciste de la Presse propose de supprimer la rétribution mensuelle payée par les élèves, et demande que l’établissement et l’entretien de toutes les écoles cessent d’être à la charge des communes, et soient désormais inscrits au budget de l’État. Nous avons toujours dit que la société doit l’éducation à tous ses membres, et il est tout à fait déplorable que le gouvernement d’un pays éclairé ne pourvoie pas lui-même, et de rigueur, à ce que l’enfance soit entourée de tous les soins nécessaires à son développement. Nous citons la fin de l’article de la Presse, Les réflexions de ce journal sur l’instruction des femmes sont justes et lui font honneur. Nous avons, en toute occasion, protesté contre cet odieux et stupide abandon d’un sexe entier dont se rendait coupable notre société dite civilisée et réellement barbare sous beaucoup de rapports.
    « À côté de cette réforme importante, il en est une autre, plus urgente peut-être ; que les conseils-généraux doivent également recommander à l’administration et aux chambres, nous voulons parler de l’organisation des écoles primaires pour les filles. N’est-il pas étrange qu’un pays comme la France, qui se regarde comme à la tête de la civilisation, qui cherche à le prouver en répandant sur toutes les classes de citoyens les lumières de l’instruction, qui ouvre partout des écoles pour les enfants et des écoles pour leurs maîtres, néglige aussi complétement d’instruire les femmes, ces premiers instituteurs de l’enfance ? Cet oubli n’est pas seulement une injustice, c’est une imprudence, c’est une faute. Que résulte-t-il en effet, de l’ignorance de la plupart des mères de famille ? Que lorsqu’à cinq ans leurs fils arrivent à l’école, ils apportent une foule de dispositions mauvaises, de croyances absurdes, d’idées fausses, qu’ils ont sucées avec leur lait ; et le maître a plus de peine à les leur faire oublier, à les détruire dans leur esprit, qu’à leur apprendre à lire. C’est donc, en définitive plus de temps et d’argent qu’il en coûte, pour consommer une injustice et avoir de mauvais élèves, que pour donner de l’instruction aux femmes, et en faire en même temps des ouvrières plus habiles, des ménagères plus utiles, et des répétiteurs naturels et gratuits des leçons de l’école. »
  13. Lisez la Gazette des Tribunaux. — C’est là, en face des faits, qu’il faut étudier l’état d’exaspération que manifestent aujourd’hui les femmes.
  14. Je viens de démontrer que l’ignorance des femmes du peuple a les conséquences, les plus funestes. — Je soutiens que l’émancipation des ouvriers est impossible tant que les femmes resteront dans cet état d’abrutissement. — Elles arrêtent tout progrès. — Parfois j’ai été témoin de scènes violentes entre le mari et la femme. — Souvent j’en ai été victime, en recevant les injures les plus grossières. — Ces pauvres créatures, ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez, comme on dit, se mettaient en fureur après le mari, et après moi, parce que l’ouvrier perdait quelques heures de son temps, à s’occuper d’idées politiques ou sociales. — « Qu’as-tu besoin de t’occuper des choses qui ne te regardent pas ? s’écriaient-elles, pense à gagner de quoi manger et laisse aller le monde comme il voudra. »
    Ceci est cruel à dire, mais je connais de malheureux ouvriers, hommes de cœur, d’intelligence et de bon vouloir, qui ne demanderaient pas mieux de consacrer leur dimanche et leurs petites épargnes au service de la cause, et qui, pour avoir la paix dans leur maison, cachent à leur femme et à leur mère qu’ils viennent me voir et qu’ils m’écrivent. Ces mêmes femmes m’ont en exécration, disent des horreurs de moi, et, sans la crainte de la prison, peut-être pousseraient-elle le zèle jusqu’à venir m’injurier chez moi et me battre, et tout cela, parce que je commets le grand crime, disent-elles, de mettre en tête de leurs hommes des idées qui les obligent à lire, à écrire, à parler entre eux, toutes choses inutiles qui font perdre du temps. — Ceci est déplorable ! — Cependant j’en ai rencontré quelques unes capables de comprendre les questions sociales et, qui se montrent dévouées