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Valentine (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 15

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J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 32-34).
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XV.

Personne ne dormit à la ferme dans la nuit qui suivit cette journée. Athénaïs se trouva mal en rentrant ; sa mère en conçut une vive inquiétude, et ne consentit à se coucher que pressée par les instances de Louise. Celle-ci s’engagea à passer la nuit dans la chambre de sa jeune compagne, et Bénédict se retira dans la sienne, où partagé entre la joie et le remords, il ne put goûter un instant de repos.

Après la fatigue d’une attaque de nerfs, Athénaïs s’endormit profondément ; mais bientôt les chagrins qui l’avaient torturée durant le jour se présentèrent dans les images de son sommeil, et elle se mit à pleurer amèrement. Louise, qui s’était assoupie sur une chaise, s’éveilla en sursaut en l’entendant sangloter ; et se penchant vers elle, lui demanda avec affection la cause de ses larmes. N’en obtenant pas de réponse, elle s’aperçut qu’elle dormait et se hâta de l’arracher à cet état pénible. Louise était la plus compatissante personne du monde ; elle avait tant souffert pour son compte, qu’elle sympathisait avec toutes les peines d’autrui. Elle mit en œuvre tout ce qu’elle possédait de douceur et de bonté pour consoler la jeune fille ; mais celle-ci se jetant à son cou :

— Pourquoi voulez-vous me tromper aussi ? s’écria-t-elle ; pourquoi voulez-vous prolonger une erreur qui doit cesser entièrement tôt ou tard ? Mon cousin ne m’aime pas ; il ne m’aimera jamais, vous le savez bien ! Allons, convenez qu’il vous l’a dit.

Louise était fort embarrassée de lui répondre. Après le jamais qu’avait prononcé Bénédict (mot dont elle ne pouvait apprécier la valeur), elle n’osait pas répondre de l’avenir à sa jeune amie, dans la crainte de lui apprêter une déception. D’un autre côté, elle aurait voulu trouver un motif de consolation ; car sa douleur l’affligeait sincèrement. Elle s’attacha donc à lui démontrer que si son cousin n’avait pas d’amour pour elle, du moins il n’était pas vraisemblable qu’il en eut pour aucune autre femme, et elle s’efforça de lui faire espérer qu’elle triompherait de sa froideur ; mais Athénaïs n’écouta rien.



Ah ! te voilà, ma petite. (Page 18.)

— Non, non, ma chère demoiselle, répondit-elle en essuyant tout à coup ses larmes, il faut que j’en prenne mon parti ; j’en mourrai peut-être de chagrin, mais enfin je ferai mon possible pour en guérir. Il est trop humiliant de se voir mépriser ainsi ! J’ai bien d’autres aspirants ! Si Bénédict croit qu’il était le seul dans le monde à me faire la cour, il se trompe. J’en connais qui ne me trouveront pas si indigne d’être recherchée. Il verra ! il verra que je m’en vengerai, que je ne serai pas longtemps au dépourvu, que j’épouse Georges Simonneau, ou Pierre Blutty, ou bien encore Blaise Moret ! Il est vrai que je ne peux pas les souffrir. Oh ! oui, je sens bien que je haïrai l’homme qui m’épousera à la place de Bénédict ! Mais c’est lui qui l’aura voulu ; et, si je suis une mauvaise femme, il en répondra devant Dieu !

— Tout cela n’arrivera pas, ma chère enfant, reprit Louise ; vous ne trouverez point parmi vos nombreux adorateurs un homme que vous puissiez comparer à Bénédict pour l’esprit, la délicatesse et les talents, comme, de son côté, il ne trouvera jamais une femme qui vous surpasse en beauté et en attachement…

— Oh ! pour cela, arrêtez, ma bonne demoiselle Louise, arrêtez ; je ne suis pas aveugle, ni vous non plus. Il est bien facile de voir quand on a des yeux, et M. Bénédict ne se donne pas beaucoup de peine pour échapper aux nôtres. Rien n’a été si clair pour moi que sa conduite d’aujourd’hui. Ah ! si ce n’était pas votre sœur, que je la haïrais !

— Haïr Valentine ! elle, votre compagne d’enfance, qui vous aime tant, qui est si loin d’imaginer ce que vous soupçonnez ? Valentine, si amicale et si bienveillante de cœur, mais si fière par modestie ! Ah ! qu’elle souffrirait, Athénaïs, si elle pouvait deviner ce qui se passe en vous !

— Ah ! vous avez raison ! dit la jeune fille en recommençant à pleurer ; je suis bien injuste, bien impertinente de l’accuser d’une chose semblable ! Je sais bien que si elle en avait la pensée, elle frémirait d’indignation. Eh bien ! voilà ce qui me désespère pour Bénédict ; voilà ce qui me révolte contre sa folie : c’est de le voir se rendre malheureux à plaisir. Qu’espère-t-il donc ? quel égarement d’esprit le pousse à sa perte ? Pourquoi faut-il qu’il s’éprenne de la femme qui ne pourra jamais être rien pour lui, tandis que sous sa main il y en a une qui lui apporterait jeunesse, amour, fortune ? Ô Bénédict ! Bénédict ! quel homme êtes-vous donc ? Et moi, quelle femme suis-je aussi, puisque je ne peux pas me faire aimer ! Vous m’avez toutes trompée ; vous m’avez dit que j’étais jolie, que j’avais des talents, que j’étais aimable et faite pour plaire. Vous m’avez trompée ; vous voyez bien que je ne plais pas !

Athénaïs passa ses mains dans ses cheveux noirs comme si elle eût voulu les arracher ; mais son regard tomba sur la toilette de citronnier ouverte à côté de son lit, et le miroir lui donna un si formel démenti qu’elle se réconcilia un peu avec elle-même.

— Vous êtes bien enfant ! lui dit Louise. Comment pouvez-vous croire que Bénédict soit déjà épris de ma sœur, qu’il a vue trois fois ?

— Que trois fois ! Oh ! que trois fois !

— Mettons-en quatre ou cinq, qu’importe ! Certes, s’il l’aimait ce serait depuis peu ; car, hier encore, il me disait que Valentine était la plus belle, la plus estimable des femmes…

— Voyez-vous, la plus belle, la plus estimable…

— Attendez donc. Il disait qu’elle était digne des hommages de toute la terre, et que son mari serait le plus heureux des hommes ; et cependant, ajoutait-il, je crois que je pourrais vivre dix ans auprès d’elle sans en devenir amoureux, tant sa confiante franchise m’inspire de respect, tant son front pur et serein répand de calme autour d’elle !

— Il disait cela hier ?

— Je vous le jure par l’amitié que j’ai pour vous.

— Eh bien ! oui ; mais c’était hier ! aujourd’hui tout cela est bien changé !

— Croyez-vous donc que Valentine ait perdu le charme qui la rendait si imposante ?

— Peut-être en a-t-elle acquis d’autres ; qui sait ? l’amour vient si vite ! Moi, il n’y a guère qu’un mois que j’aime mon cousin. Avant je ne l’aimais pas ; je ne l’avais pas vu depuis qu’il était sorti du collège, et dans ce temps-là j’étais si jeune ! Et puis je me souvenais de l’avoir vu si grand, si gauche, si embarrassé de ses bras trop longs de moitié pour ses manches ! Mais quand je l’ai retrouvé si élégant, si aimable, ayant si bonne tournure, sachant tant de choses, et puis ayant ce regard un peu sévère qui lui sied si bien et qui fait que j’ai toujours peur de lui… oh ! de ce moment-là je l’ai aimé, et je l’ai aimé tout d’un coup ; du soir au matin mon cœur a été surpris. Qui empêche que Valentine n’ait pris le sien de même aujourd’hui ? Elle est bien belle Valentine ; elle a toujours l’esprit de dire ce qui est dans les idées de Bénédict. Il semble qu’elle devine ce qu’il a envie de lui entendre dire, et moi je fais tout le contraire. Où prend-elle cet esprit-là ? Ah ! c’est plutôt parce qu’il est disposé à admirer ce qu’elle dit. Et puis, quand ce ne serait qu’une fantaisie commencée ce matin, finie ce soir ; quand demain il viendrait encore me tendre la main et me dire : « Faisons la paix ; » je vois bien que je ne l’ai pas fixé, que je ne le fixerai pas. Voyez quelle belle vie j’aurais, étant sa femme, s’il me fallait toujours pleurer de rage, toujours sécher de jalousie ! Non, non, il vaut mieux se faire une raison et y renoncer.

— Eh bien ! ma chère belle, dit Louise, puisque vous ne pouvez éloigner ce soupçon de votre esprit, il faut en avoir le cœur net. Demain je parlerai à Bénédict, je l’interrogerai franchement sur ses intentions, et, quelle que soit la vérité, vous en serez instruite. Vous sentez-vous ce courage ?

— Oui, répondit Athénaïs en l’embrassant ; j’aime mieux savoir mon sort que de vivre dans de pareils tourments.

— Prenez donc sur vous-même, lui dit Louise, d’essayer de vous reposer, et ne faites rien paraître demain de votre émotion. Puisque vous ne croyez pas devoir compter sur l’attachement de votre cousin, votre dignité de femme exige que vous fassiez bonne contenance.

— Oh ! vous avez raison, dit la jeune fille en se renfonçant dans son lit. Je veux agir selon vos conseils. Je me sens déjà plus forte puisque vous prenez mes intérêts.

En effet, cette résolution ayant ramené un peu de calme dans ses idées, elle s’endormit bientôt, et Louise, dont le cœur était bien plus profondément ébranlé, attendit, les yeux ouverts, que les premières lueurs du matin eussent blanchi l’horizon. Alors elle entendit Bénédict, qui ne dormait pas non plus, entr’ouvrir doucement la porte de sa chambre et descendre l’escalier. Elle le suivit sans éveiller personne, et tous deux, s’élant abordés d’un air plus grave que de coutume, s’enfoncèrent dans une allée du jardin qui commençait à se remplir de rosée.