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Valentine (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 16

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J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 34-35).
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XVI.

Louise était assez embarrassée pour aborder une question si délicate, lorsque Bénédict, prenant le premier la parole, lui dit d’un ton ferme :

— Mon amie, je sais de quoi vous allez me parler. Nos cloisons de bois de chêne ne sont pas tellement épaisses, la nuit n’est pas tellement bruyante autour de cette demeure, et mon sommeil n’était pas tellement profond, que j’aie perdu un seul mot de votre entretien avec ma cousine. La confession que je me proposais de vous faire serait donc parfaitement inutile à présent, puisque vous êtes aussi bien informée que moi-même de l’état de mon cœur.

Louise s’arrêta et le regarda en face pour savoir s’il ne raillait point : mais l’expression de son visage était si parfaitement calme qu’elle resta stupéfaite.

— Je sais que vous maniez la plaisanterie avec un admirable sang-froid, lui répondit-elle ; mais je vous supplie de me parler sérieusement. Il ne s’agit point ici de sentiments dont vous ayez le droit de vous faire un jeu.

— À Dieu ne plaise ! dit Bénédict avec force ; il s’agit de l’affection la plus importante et la plus sacrée de ma vie. Athénaïs vous l’a dit, et j’en jure sur mon honneur, j’aime Valentine de toutes les puissances de mon âme.

Louise joignit les mains d’un air atterré, et s’écria en levant les yeux au ciel :

— Quelle insigne folie !

— Pourquoi ? reprit Bénédict en attachant sur elle ce regard fixe qui renfermait tant d’autorité.

— Pourquoi ? répéta Louise ; vous me le demandez ! Mais, Bénédict, êtes-vous sous la puissance d’un rêve, ou moi-même ne suis-je pas bien éveillée ? Vous aimez ma sœur, vous me le dites ; et qu’espérez-vous donc d’elle, grand Dieu ?

— Ce que j’espère ?… le voici, répondit-il : j’espère l’aimer toute ma vie.

— Et vous pensez peut-être qu’elle vous le permettra ?

— Qui sait ?… peut-être.

— Mais vous n’ignorez pas qu’elle est riche, qu’elle est d’une haute naissance…

— Elle est, comme vous, fille du comte de Raimbault, et j’ai bien osé vous aimer ! Est-ce donc parce que je suis le fils du paysan Lhéry que vous m’avez repoussé ?

— Non, certes, répondit Louise, qui devint pâle comme la mort ; mais Valentine n’a pas vingt ans, et en supposant qu’elle n’eût pas les préjugés de la naissance…

— Elle ne les a pas, interrompit Bénédict.

— Comment le savez-vous ?

— Comme vous le savez vous-même. Notre connaissance avec Valentine date de la même époque, ce me semble.

— Mais oubliez-vous qu’elle dépend d’une mère vaine et inflexible, d’un monde qui ne l’est pas moins ? qu’elle est fiancée à M. de Lansac ? qu’elle ne peut enfin rompre les liens qui l’enchaînent à ses devoirs sans attirer sur elle les malédictions de sa famille, le mépris de sa caste, et sans détruire à jamais le repos de toute sa vie ?

— Comment ne saurais-je pas tout cela ?

— Eh bien ! enfin, qu’attendez-vous donc de sa folie ou de la vôtre ?

— De la sienne, rien ; de la mienne tout…

— Ah ! vous croyez vaincre la destinée par la seule force de votre caractère ! Est-ce cela ? Je vous ai entendu quelquefois développer cette utopie ; mais soyez sûr, Bénédict, que, fussiez-vous plus qu’un homme, vous n’y parviendrez pas. Dès cet instant, j’entre en résistance ouverte contre vous ; je renoncerais plutôt à voir ma sœur que de vous fournir l’occasion et les moyens de compromettre son avenir…

— Oh ! quelle chaleur d’opposition ! dit Bénédict avec un sourire dont l’effet fut atroce pour Louise. Calmez-vous, ma bonne sœur… vous m’avez permis, vous m’avez presque ordonné de vous donner ce nom alors que nous ne connaissions pas Valentine. Si vous y eussiez consenti, j’en aurais réclamé un plus doux. Mon âme inquiète eût été fixée, et Valentine eût pu passer dans ma vie sans y faire impression ; mais vous ne l’avez pas voulu, vous avez rejeté des vœux qui, maintenant j’y songe de sangfroid, ont dû vous sembler bien ridicules… Vous m’avez repoussé du pied dans cette mer d’incertitudes et d’orages ; je me prends à suivre une belle étoile qui me luit ; que vous importe ?

— Que m’importe ? quand il s’agit de ma sœur, de ma sœur dont je suis presque la mère !…

— Ah ! vous êtes une mère bien jeune ! dit Bénédict avec un peu d’ironie. Mais, écoutez, Louise ; je serais presque tenté de croire que vous manifestez toutes ces craintes pour me railler, et dans ce cas vous devez avouer que, depuis le temps qu’elle dure, j’ai assez bien subi la plaisanterie.

— Que voulez-vous dire ?

— Il est impossible que vous me trouviez dangereux pour votre sœur, quand vous savez si bien par vous-même combien je le suis peu. Vos terreurs sont fort singulières, et vous croyez la raison de Valentine bien fragile apparemment, puisque vous vous effrayez tant des atteintes que j’y peux porter… Rassurez-vous, bonne Louise ; vous m’avez donné, il n’y a pas longtemps, une leçon dont je vous remercie, et que je saurai mettre à profit peut-être. Je n’irai plus m’exposer à mettre aux pieds d’une femme telle que Valentine ou Louise l’hommage d’un cœur comme le mien. Je n’aurai plus la folie de croire qu’il ne s’agit, pour attendrir une femme, que de l’aimer avec toute l’ardeur d’un cerveau de vingt ans, que, pour effacer à ses yeux la distance des rangs et pour faire taire en elle le cri de la mauvaise honte, il suffise d’être dévoué à elle corps et âme, sang et honneur. Non, non, tout cela n’est rien aux yeux des femmes ; je suis le fils d’un paysan, je suis horriblement laid, absurde on ne peut plus ; je n’ai pas la prétention d’être aimé. Il n’est qu’une pauvre bourgeoise frelatée comme Athénaïs qui, faute de mieux jusqu’ici, ait pu songer à descendre jusqu’à moi.

— Bénédict ! s’écria Louise avec chaleur, tout ceci est une cruelle moquerie, je le vois bien ; c’est un sanglant reproche que vous m’adressez. Oh ! vous êtes bien injuste ; vous ne voulez pas comprendre ma situation ; vous ne songez pas que si je vous avais écouté, ma conduite envers votre famille aurait été odieuse ; vous ne me tenez pas compte de la vertu qu’il m’a fallu peut-être pour vous sembler si glaciale. Oh ! vous ne voulez rien comprendre !

La pauvre Louise cacha son visage dans ses mains, effrayée d’en avoir trop dit. Bénédict étonné la regarda attentivement. Son sein était agité, une rougeur brûlante se trahissait sur son front malgré ses efforts pour le cacher. Bénédict comprit qu’il était aimé…

Il s’arrêta irrésolu, tremblant, bouleversé. Il avança une main pour saisir celle de Louise ; il craignit d’être trop ardent, il craignit d’être trop froid. Louise, Valentine, laquelle des deux aimerait-il ?

Quand Louise, effrayée de son silence, releva timidement la tête, Bénédict n’était plus auprès d’elle.