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Vie et opinions de Tristram Shandy/3/36

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 105-106).



CHAPITRE XXXVI.

Régime de longue vie.


« Les deux grandes causes, dit le lord Vérulam, qui conspirent ensemble à racourcir la vie, sont premièrement :

» L’air intérieur, lequel, comme une flamme légère, consume sourdement le corps, et le dévoue à la mort ; — secondement, l’air extérieur, qui dessèche le corps peu-à-peu, et le réduit en cendres. — Ces deux ennemis, s’attachant à nos corps des deux côtés à-la-fois, détruisent à la fin nos organes, et les rendent inhabiles à continuer les fonctions de la vie. ».

Cette proposition une fois prouvée ou admise, le moyen de prolonger la vie étoit simple. Il ne s’agissoit, disoit le lord Vérulam, que de réparer le ravage causé par l’air intérieur, en rendant d’un côté la substance du corps plus dense et plus robuste, par un usage habituel d’opiat convenable ; et en tempérant de l’autre l’excès de la chaleur, au moyen de trois grains et demi de salpêtre pris à jeun tous les matins. —

Ainsi garantie des assauts de l’air intérieur, déjà même la surface de notre corps se trouvoit moins exposée à ceux de l’air extérieur. Mais on l’en préservoit mieux encore par une suite d’onctions grasses, lesquelles saturoient tellement les pores de la peau, qu’une particule d’air n’y pouvoit pénétrer, et que rien ne pouvoit en sortir. — Par-là, à la vérité, toute transpiration sensible et insensible étoit arrêtée ; et il pouvoit s’ensuivre plusieurs inconvéniens fâcheux. — Mais l’usage des clystères pourvoyoit à tout, entraînoit les humeurs qui pouvoient refluer, et rendoit le système complet.

Je l’ai promis ; vous lirez tout ce que mon père avoit à dire sur les opiats du lord Vérulam, son salpêtre, ses onctions grasses, et ses clystères. — Vous le lirez : mais non pas aujourd’hui, ni même demain, le temps me presse. Le lecteur est impatient, il faut que j’aille. — Vous lirez ce chapitre à votre loisir (si cela vous convient) aussitôt que la Tristrapédie sera publiée. —

Qu’il suffise pour le moment de dire que mon père traita la conséquence comme le principe. — Et par-là les savans peuvent conclure qu’il éleva son propre système sur les ruines de l’autre.