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Vie et opinions de Tristram Shandy/3/35

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 103-104).



CHAPITRE XXXV.

Sur les charlatans.


Mon père finit par deux apostrophes dirigées, l’une contre Hippocrate, l’autre contre le lord Vérulam.

Il commença par le prince de la médecine, en lui faisant une légère apostrophe sur sa lamentation chagrine : Ars longa, vita brevis. « La vie courte, s’écria mon père, et l’art de guérir difficile ! — Eh ! qui devons-nous en remercier ? et à qui faut-il nous en prendre ? si ce n’est à l’ignorance de ces maudits charlatans eux-mêmes, — et à leurs tréteaux, — et à leurs drogues, — et à leur étalage philosophique, avec lequel, dans tous les temps, ils ont commencé par flatter le monde, et ont fini par le tromper ! — »

« Et toi, lord Vérulam, s’écria mon père, (quittant Hippocrate pour lui adresser sa seconde apostrophe, comme au premier des vendeurs d’orviétan, et le plus propre à servir d’exemples aux autres) — que te dirai-je, grand lord Vérulam ? que dirai-je de ton esprit intérieur, — de ton opium, — de ton salpêtre, — de tes onctions grasses, — de tes médecines, — de tes clystères, — et de tous leurs accompagnemens ? »

Mon père n’étoit jamais embarrassé de savoir que dire à qui que ce fût, ni sur quoi que ce fût, — et il avoit plus de facilité pour l’exorde qu’aucun homme vivant. — Comment il traita l’opinion du lord Vérulam ? vous le verrez : — mais quand ? je ne sais pas. Il faut que nous voyions d’abord ce que c’étoit que l’opinion du lord Vérulam.