La Ronde du Trouvère/La Ronde du Trouvère gentil

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A. Siffer (p. 7-18).

LA RONDE DU TROUVÈRE GENTIL



O u donc est-il mon ami,
Mon trouvère, jeunes filles,
Où donc est-il mon ami,
Mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand l’aubépine était en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand l’aubépine a fleuri.

Il partit aux jours de vaillance,
Il partit et mon cœur en pâtît,
À l’arçon le luth, au poing la lance,
Combattre de fiers ennemis.
Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?


— Il a passé par ici
Quand, les muguets étaient en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand les muguets ont fleuri.

— Il chevaucha vers des pays lointains
Pour combattre de fiers ennemis.
Le luth à l’arçon, la lance au poing,
De beaux royaumes il conquit.
Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand la jacinthe était en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand la jacinthe a fleuri.

Au pays des violettes
Ne l’avez-vous pas vu passer ?
Au son des cors, au son des trompettes,
Le fils du roy vint pour m’épouser.
Beau fils de roy, ne me parle pas,
Ne te mets pas en peine.
Beau fils de roy, point ne m’épouseras,
Mon joli trouvère seul j’aime.
— Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici.
Quand la violette était en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand la violette a fleuri.

Au pays des blancs lilas
N’a-t-on pas vu mon trouvère ?
— Le fils de roy tu épouseras,
Je le veux, me dit mon père,
Le fils du roy tu épouseras
Ou dans le moutier te voileras.
— Point ne veux de ce royal fils
Non plus que couronne de reine ;
Mon joli trouvère seul j’aime.
— Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand les lilas étaient en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand les lilas ont fleuri.

Il revint des pays lointains,
Mon gentil trouvère,
L’épée au côté, le luth à la main,
Et dit à mon père :


J’ai conquis des provinces belles
Au glorieux pays du soleil,
J’ai des vaisseaux sur la mer vermeille
Remplis de joyaux,
J’ai des brocarts d’or et d’argent,
Des colliers en diamant,
Des diadèmes et des couronnes.
À les prendre si ta fille consent,
Mon cœur aussi je lui donne.
— Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand les pommiers étaient en fleurs ;
Il s’en est allé d’ici
Quand les pommiers ont fleuri.

Mon père lui dit : Trop tard tu viens,
Elle a pris voile ce matin.
Qui sème le froment récoltera l’avoine,
Avant que ma fille soit ta compagne.
Dans la chapelle du moutier
J’étais à genoux en prière
Quand mon fidèle trouvère
Sur le chemin vint à passer.
Il chantait bien tristement

La trahison de sa mie,
Il chantait si doucement
Que mes compagnes du couvent
Crurent entendre une litanie
De l’ange au vitrail priant.
— Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand les genêts étaient en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand les genêts ont fleuri.

J’ai fait la morte trois jours entiers
Pour m’échapper du moutier.
— Sur la poitrine il faut lui verser
Du plomb fondu, dit le fils du roy,
Peut-être la morte ressuscitera.
Du plomb fondu l’on me versa,
Mais mon visage point ne bougea.
À pleines volées, tristes, sonnèrent
Les trois cloches du monastère,
Solennellement les nonnes alors
Me vêtirent de blancs habits,
On récita l’office des morts,

Et quand les prières furent finies,
Loin du caveau me suis enfuie.
— Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Il a passé par ici
Quand les rosiers étaient en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand les rosiers ont fleuri.

Où donc est-il celui que j’aime,
Que je cherche et n’ai plus trouvé
Dans les pays de printemps ?
Par quels chemins s’en est-il allé ?
Par quelles routes va-t-il, en peine
De sa mie le délaissant ?
— Par le pays des églantiers
Au primevère en fleurs
Le trouvère, triste, a passé.
Au pays des lilas blancs
Il s’en vint d’amour pleurant,
Jacinthes, violettes et muguets
Ainsi que les jaunes genêts,
Pas plus que les roses fleuries
Ne l’ont consolé de sa mie.


Dans la montagne et la bruyère
N’a-t-on pas vu mon trouvère
D’amour pleurant
D’amour dolent ?

— Il a passé par ici
Quand la bruyère était en fleurs,
Il s’en est allé d’ici
Quand la bruyère a fleuri.

Il s’en est allé chantant :
Au gai pays du printemps
La violette était bien jolie
Près des haies vertes et fleuries,
Mais je préfère les yeux de ma mie.

La pervenche souriait dans les champs
Qui se réveillaient à la vie,
Je lui préfère cependant
Un sourire de ma mie.

Ah ! comme ils étaient frais
Les boutons de roses entr’ouverts
Dans les resplendissants parterres

Tout parfumés.
Et pourtant je leur préfère
Les rouges lèvres de ma mie.

Qu’ils étaient beaux les genêts d’or
Dans le rire de l’aurore,
Pourtant je préfère encore
La chevelure de ma mie.

Mais ma mie a trahi son serment
Et ma vie et ma joie sont flétries
Comme les fleurs du printemps.

Où donc est-il celui que j’aime ?
Qu’il sache enfin que mon amour
Est resté, pour lui, le même
Qu’au premier jour.
Où donc est-il mon joli trouvère gentil ?

— Toutes les fleurs étaient fanées.
Chez nous il s’est arrêté
Quand l’automne dorait la forêt,
Mais son cœur était plein de douleur.

— Je te reverrai donc ici
Mon joli trouvère gentil.

— Hélas ! hélas ! préparez vos pleurs…
On a creusé sa fosse ici
Quand les fleurs se sont flétries.

— Il est donc mort mon ami cher,
Mon joli trouvère gentil !
Ah, ah ! je meurs aussi ;
Qu’on me mette en terre
À côté de lui :
Nous nous verrons en paradis.