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DICTIONNAIRE DES APOCRYPHES.

une composition sans authenticité et sans inspiration, quoiqu’il fût rejeté du canon des Juifs. Peu de temps après, c’est-à-dire au commencement du siècle, Origène affirme expressément qu’il n’était pas reçu par l’Église. Quoiqu’il n’existe aucune preuve qu’il ait été auparavant inséré dans aucun canon de l’Écriture, soit par les Juifs, soit par les chrétiens, nous n’avons rien à dire des arguments que Tertullien apporte en faveur de son inspiration et de son authenticité ; nous ferons seulement remarquer qu’ils auraient de la peine à soutenir le jugement impartial de la critique moderne. Il affirme que ce livre fut écrit par Enoch lui-même, et il en conclut qu’il fut probablement conservé, ou recopié par Noé, et cette conclusion n’est évidemment qu’une simple probabilité, basée sur une pure hypothèse. D’ailleurs, les allusions fréquentes de ce livre au Seigneur, ou plutôt au Fils de l’Homme, qu’il a représenté élevé sur un trône de gloire et de justice, par l’Ancien des jours, peuvent être, au contraire, une preuve qu’il est postérieur au Livre de Daniel, bien loin que ce soit une production antédiluvienne. Enfin, le fait seul bien connu qu’il n’a pas été reçu dans le canon des Écritures, semble être une objection irréfutable contre son authenticité. Car, la citation d’un seul passage par saint Jude ne peut évidemment prouver que cet apôtre ait approuvé tout l’ouvrage, pas plus que les citations faites par saint Paul de quelques poètes païens ne prouvent qu’il ait adopté toutes les parties des ouvrages d’où les citations sont tirées. Tel est le raisonnement de saint Jérôme[1], et il nous semble sur ce point très — satisfaisant. Saint Jude, il est vrai, se sert du mot prophète en parlant de l’Enoch apocryphe ; mais rappelons-nous que saint Paul se sert de la même expression pour désigner même les poëtes profanes. Et comme on n’a jamais mis en doute, avant que le livre fût perdu, que saint Jude en citait réellement un passage, il nous semble que, maintenant que le livre est retrouvé, ce fait ne doit pas davantage être mis en question.

Des observations précédentes, il résulte donc que le livre dont nous donnons aujourd’hui la première traduction française, est vraiment le même que l’ouvrage du même titre, connu par les Pères ; qu’il fut cité par l’apôtre saint Jude, et que non seulement l’Église catholique, mais encore toutes les communions chrétiennes, à l’exception toutefois des Abyssiniens, l’ont toutefois considéré et le considèrent encore comme une œuvre apocryphe. Il nous reste maintenant à chercher quel en a été l’auteur, et à quelle époque on doit le rapporter. Dans une recherche de ce genre, il semble que nous allons errer de conjecture en conjecture, sans un fil conducteur, à travers un labyrinthe de doute et de perplexité. Ce serait en effet notre cas, si nous cherchions à soulever une hypothèse ou des preuves purement extrinsèques. Mais nous avons cru que nous pourrions arriver, sinon à une certitude complète, du moins à une approximation très-raisonnable en nous appuyant surtout sur des arguments intrinsèques tirés de l’ouvrage lui-même.

Pour ce qui est de l’auteur présumé, si ce livre, comme on ne saurait en douter, est l’œuvre d’une seule et même personne, il est facile de se convaincre que cette personne était un Juif, et qu’il l’écrivit en hébreu. Ce fait résulte d’une foule de passages aussi clairs que décisifs. Pour prouver qu’il a du être écrit en hébreu, j’en appellerai d’abord au témoignage de Scaliger, qui, pour le dire en passant, se fit cette opinion sur le fragment conservé par George Syncelle. Rendant compte des motifs qui l’ont poussé à transcrire et à publier ce qu’il appelle des mensonges juifs et des fables stupides, il dit : Sed quia ex Hebraismo conversæ sunt ut etiam mediocriter Hebraice perito constare potest, et vetustissimus est liber, et a Tertulliano ex eo quadam adducuntur, quæ huic alludunt, et quod caput est, locus, qui in Epistola Jude de angelis prævaricatoribus producitur, manifesto ex hoc fragmento excerptus est, malui tædium describendi devo rare, quam committere ut illis benevoli le ctores diutius carerent[2].

Mais ce n’est pas le seul témoignage que nous puissions apporter. On sait que les plus anciens monuments de la cabale sont contenus dans le Zohar, espèce de commentaire philosophique sur la loi, combinant ensemble les opinions théologiques et les subtilités allégoriques de l’école du mysticisme. Dans cette fameuse compilation, qu’on a longtemps regardée comme le trésor de sagesse de la nation juive, il est fait de temps en temps mention du livre d’Enoch, comme d’un livre conservé de génération en génération. Le passage suivant sera une preuve suffisante que les cabalistes étaient familiers avec une composition écrite dans leur propre langue, sous le titre de livre d’Enoch, et non pas

  1. « Putant quidam apostolum reprehendendum, quod impudenter lapsus sit, et dum falsos doctores arguit, illum versiculum comprobavit… Quibus breviter respondendum est sicut in eo quod ait. Corrumpunt mores bonos colloquia mala (Prov. xv, 33) ; et in illo : Ipsius enim et genus sumus (Act. xvii, 28), non statim totam Menandri Comœdiam, et Arati librum probavit, sed opportunitate versiculi abusus est : ita et in præsenti loco (Tit. 1, 12), non totumi opus Callimachi, sive Epimenidis, quorum alter laudes Jovis canit, alter de oraculis scriptitat, per unun versiculum confirmavit, sed Cretenses lantum mendaces vitio gentis increpavit, non ob illam opinionem, qua sunt arguti a poetis, sed ob ingenitam mentiendi facilitatem de proprio eos gentis auctore confutans. Qui autem putant totum librum debere sequi cum qui libri parte usus sit, videntur mihi et apocryphum Enochi de quo apostolus Judas in epistola sua testimonium posuit, inter Ecclesiæ Scripturas recipere. (Comm. in Tii. 1, 12.)
  2. Chron. Euseb. , pag. 105.