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DICTIONNAIRE DES APOCRYPHES.

reconnaît pas. Les Pères et les conciles, qui nous ont donné des catalogues des livres canoniques, ne reçoivent que deux livres d’Esdras. Enfin saint Jérôme se déclare nettement contre les deux derniers livres d’Esdras, dans sa préface sur les livres canoniques du même auteur[1]; et dans son ouvrage contre Vigilance, il rejette expressément le IV livre avec beaucoup de force. Cet hérétique avait rapporté quelques passages du faux Esdras[2] pour prouver que la prière pour les morts était inutile. Saint Jérôme réfute ses preuves et lui dit : Tu vigilans dormis, et dormiens scribis, et proponis mihi librum apocryphum, qui sub nomine Esdræ a te et a tui similibus legitur. Je n’ai jamais lu ce livre, ajoute saint Jérôme ; car à quoi bon lire ce que l’Eglise rejette ?

Entin, le profond oubli où ce IV livre est tombé parmi les Grecs, où on ne le trouve plus, depuis longtemps, en leur langue, quoiqu’il ait été cité par les anciens Pères de cette nation, et l’indifférence qu’on a eue pour lui parmi les Latins, où il est très-rare dans les anciens exemplaires manuscrits et dans les anciennes éditions[3], tout cela montre l’idée qu’on en a eue depuis longtemps, et que si quelques anciens ont été surpris par le nom d’Esdras, l’erreur et la surprise n’ont pas été de longue durée.

Génébrard se trompe en plus d’une manière en parlant de ce livre : premièrement, en ce qu’il avance que le prince de la Mirande avait le IV livre d’Esdras en hébreu. Pic[4] cite simplement le IV livre d’Esdras, et dit qu’il avait en hébreu les soixantedix livres de la science occulte, qu’Esdras se vantait d’avoir composés. La seconde erreur de Génébrard est qu’il met soixantedouze livres, pour les ajuster au nombre des soixante-douze membres prétendus de la grande synagogue, dont il dit qu’Esdras I recueillit les sentiments de ces soixantedouze livres. I suppose que le IV livre d’Esdras était du nombre de ces livres ; mais Pic de la Mirande n’en dit rien ; il insinue même le contraire, lorsqu’il cite cet ouvrage, comme pour donner de l’autorité à ces livres de la science occulte des Hébreux. Et quand le IV livre d’Esdras aurait été de ce nombre, en serait-il plus canonique et plus sacré ? Ne sait-on pas ce que c’est que la cabale et la science occulte des Hébreux ?

III. Un autre motif qui doit obliger tous ceux qui aiment la vérité à rejeter ce livre, c’est qu’il est rempli d’erreurs. Par exemple, il dit[5] que les âmes des saints sont détenues dans l’enfer, jusqu’à ce que le nombre des élus soit rempli, et que le jour du jugement soit arrivé, et qu’alors toutes les ames en seront délivrées. Il compare[6] le jour du jugement à une couronne ou à un anneau où il n’y a ni premier ni dernier, Ainsi les âmes recevront toutes ensemble la béatitude ; ies premières ne préviendront pas les dernières, et celles-ci ne seront point après les premières. Il nous conte une fable ridicule au chapitre vi, lorsqu’il dit que Dieu, au commencement du monde, créa deux animaux d’une grandeur monstrueuse, l’un nommé Hénoch et l’autre Léviathan. Comme ils ne pouvaient contenir ensemble dans la septième partie de la terre, Dieu les sépara et mit Hénoch dans un quartier de la terre où il y a mille montagnes, et il plaça Léviathan dans la mer, où il le garde pour en faire quelque jour un festin à ses élus. Erreur puisée dans la tradition des rabbins. Nous avons parlé ailleurs de son opinion sur la proximité du jour du jugement, et de ce qu’il dit du passage des dix tribus dans le pays d’Arseret[7], et enfin des saintes Ecritures rétablies par Esdras.

On peut ajouter à ces sentiments erronés la généalogie qu’il donne d’Esdras au commencement de cet ouvrage, et qui ne convient ni avec le III livre[8], ni avec le 1"[9], qui portent le nom du même auteur. Cette diversité a donné lieu à quelques an ciens de reconnaître que cet Esdras, auteur du IV livre, était différent du vrai Esdras dont on a le premier livre reçu dans l’Eglise. L’ancien manuscrit de l’abbaye de Saint-Germain l’appelle Salathiel, au commencement du IV livre, qui est le chapitre des imprimés : Anno tricesimo ruine civitatis, eram in Babylone, ego Salathiel, qui et Esdras, etc.[10]. Mais, pour l’écrivain de ce livre, il est certain qu’il s’est donné pour le vrai Esdras à la tête du premier chapitre, où il étale sa généalogie par Eléazar, fils d’Aaron.

I ! commet une faute grossière lorsqu’il dit que Dieu dissipa les peuples des deux provinces de Tyr et de Sidon en faveur de son peuple sorti d’Egypte[11]. Et un peu après : Lorsque vous étiez dans le désert sur le fleuve de l’Amorrhéen, affligés de la soif, et blasphé mant mon nom, je ne vous ai point envoyé du feu pour vous punir ; mais j’ai adouci l’eau du fleuve en y jetant du bois[12]. Il nous parle en cet endroit d’un miracle dont Moïse ne dit pas un mot, où il confond deux choses fort différentes : l’adoucissement des eaux arrivé à Mara[13] peu après la sortie d’Egypte, et ce qui arriva sur le torrent d’Arnon, frontière du pays occupé par les Amorrhéens[14]. Ailleurs[15], il parle des douze petits prophètes, quoique les
  1. Hieron. ep. ad Domnion. et Rogal.
  2. Ex IV Esdr., vii, 36... 44.
  3. Ils sont très-rares dans les anciens manuscrits ; et je ne les voit pas dans nos éditions avant celle de Nuremberg de 1521.
  4. 880
  5. III Esdr. vi, 1, 2.
  6. Ibid., c. v, 42.
  7. Voy. notre dissertation sur le pays où les dix tribus se sont retirées.
  8. 111 Esdr. vi , 1, 2.
  9. I Esdr. vII, 1, 2.
  10. IV Esdr. I, 1.
  11. IV Esdr. 1, 11 : In oriente provinciarum duarum populos Tyri et Sidonis dissipavi.
  12. Ibid., vers. 22, 25.
  13. Exod. xv, 24, 25.
  14. Num. xxi, 16
  15. IV Esdr. 1, 39,40