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LE NIGER

et disparaître. La scène avait été si captivante que l’idée même de demander mon winchester ne m’était pas venue.

Le fusil cependant était toujours prêt, soit pour jeter un peu de perturbation (impossible d’arriver jamais à un plus appréciable résultat !) dans les familles d’hippopotames qui par trois, par quatre, vers la tombée du jour, pointaient leurs mufles roses au-dessus des eaux, soit encore pour taquiner les nombreux caïmans qui, tout le jour, se prélassaient en siestes ensoleillées sur les bancs de sable.

La gent volatile, elle, ne s’en tirait pas à si bon compte, les canards sauvages notamment. À volonté je conviais l’un d’eux à ma table, en tant que rôti ou ragoût, tellement leurs bandes étaient fréquentes et peu farouches. Mais véritablement innombrables étaient les blanches aigrettes, tes oiseaux préférés, ô Niger !

Tes rives s’en trouvent comme mouchetées de flocons d’une neige rare, que le soleil lustre de reflets soyeux. Les lignes gracieuses de leurs silhouettes élancées, leur col souple, leurs jambes hautes et fines, se détachent sur le vert des herbes, sur le fauve des grèves, en si élégantes silhouettes que l’on a quelque remords à les tirer. Hélas ! leur arrêt de mort est écrit et attaché à la naissance de leur cou gracile. Là est plantée (et non sur leur tête) une touffe de plumes délicieusement effilées et délicates, image même de celles qui les portent, et également de celles qui seules devraient s’en parer. De ces plumes, en effet, montées sur une agrafe de pierreries, est faite cette précieuse parure, l’aigrette, qui met une si Jolie pointe d’orgueil sur le front des brunes comme des blondes. Aussi, l’appât d’un pareil butin que l’on voit déjà paradant sur quelque tête aimée, dissipe bien vite tout remords et fait presser la gâchette.

La confiance des élégantes bêtes est très grande, car l’indigène, qui dédaigne leur chair et ignore la valeur de leur dépouille, ne les a jamais chassées. Familièrement, leur vol