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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

l’eau n’y stagne pas. Par 2 et 3 mètres de profondeur, de hautes herbes émergent, drues et vertes. On pense avoir devant soi de grandes prairies. Un de nos moutons s’y trompa ! Il s’élança par-dessus bord, croyant être arrivé à un pâturage, alors qu’il allait à un suicide.

Entre des berges parfaitement nettes, quoique formées par les herbes uniquement, serpente le Kolikoli qui a apporté les eaux et les a répandues au loin. Non moins délimité dans cet élément bizarre, se dessine un lac qui porte le nom de Korienzé.

En pénétrant dans cette région, mes Bosos opinent pour abandonner le cours facile, mais infiniment capricieux et tortueux du Kolikoli. La route sera plus courte en coupant droit à travers la mer verte. Cela me va à merveille ! Pagayer devient dès lors impossible. Arcboutés sur leurs bambous, mes hommes poussent ferme la barque dans les hautes herbes qui s’écartent sur les bords, s’inclinent sous la quille avec force frôlements et frottements. Du coup, l’on ne pense plus être sur l’eau. C’est une sensation bien exotique ! Il vous semble — sous les tropiques et par un soleil de feu — glisser en traîneau à travers une steppe verte.

Cette région de verdures navigables est véritablement un monde à part. Des sentiers aquatiques la sillonnent. Le passage répété des pirogues a fait disparaître les herbes et tracé des rubans d’eau, de même qu’à terre, le passage des hommes et des bêtes montre le sol nu. Ces sentiers, ainsi que le veut le cliché, sont gentiment fleuris. De placides nénuphars les enguirlandent joliment de leurs calices blancs, mauves ou jaunes. Ils sont aussi encombrés d’une sorte de liane aquatique de forme curieuse : on croirait voir flotter des chapelets de cervelas. Et ces lianes ont encore avec ce terme de comparaison trivial peut-être, mais on ne peut plus exact, ceci de conforme, c’est qu’elles sont comestibles et très appréciées des indigènes en temps de disette.