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LE NIGER

Noir. Le chemin des nombreux bateaux chargés des produits du Massina et du Farinanké passait par là. Kaid-Ali, le chef des pirates, pour les piller à loisir et sans en manquer un, avait eu l’ingénieuse idée de tendre une chaîne en fer en travers du fleuve.

Ces populations, éloignées des côtes à plus de 1.500 kilomètres, n’ont, comme bien l’on pense, aucune idée de la mer, ni surtout du rôle de déversoir qu’elle joue à l’égard des fleuves. Ce que devenait le Niger au delà des parages qu’ils connaissaient, ne leur importait guère. Cependant j’essayais souvent dans nos causeries de diriger leur pensée sur ce point curieux. Ayant un jour sous la main un Boso qui avait beaucoup navigué et d’intelligence alerte, je lui fis énumérer toutes les villes devant lesquelles il avait passé ou qu’il savait être plus avant encore : Saréféré, Kabara, Gâo. Et il s’arrêta.

— Eh bien, et au delà, qu’est-ce que devient le fleuve ?

— Au delà ? fit-il en réfléchissant ; au delà, les poissons l’avalent.

Avais-je trouvé dans un village un milieu particulièrement riche en connaissances et en verbiage, j’y séjournais le lendemain pour reprendre les causeries nocturnes. Souvent aussi je repartais dans la nuit pour jouir pleinement, sur le fleuve, de la bienfaisante fraîcheur. Au loin, sur les bords de la grande nappe d’eau, des feux brillaient près des lieux habités, comme des phares. En approchant, il était rare de ne pas percevoir le bourdonnement du tam-tam et la cadence des battements de mains d’un bal nègre, tandis qu’ailleurs, pâturant dans les prairies désertes, les hippopotames noctambules nous offraient la sérénade de leurs hennissements. En mars, d’énormes incendies embrasaient les rives. C’est la manière dont le noir défriche et fume ses champs, anéantissant les hautes herbes et autres parasites à la veille des semailles, et demandant à leurs cendres un