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RESTES DE LA SUCRERIE DE WALIBOU, PRÈS DE CHÂTEAU-BELAIR. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

assez foncée à certains endroits, et proviennent des dernières éruptions. Celles du 7 mai avaient absolument la teinte gris-perle des cendres du mont Pelé, lesquelles, pendant les éruptions ultérieures, ont toujours été de la même couleur et présentent toutes, au toucher, une subtilité étonnante : on croirait toucher à de la poudre de riz. Beaucoup de cendres de la Soufrière, des mois de juin, septembre et octobre, ressemblent à des grenailles ; j’en ai ramassé dans les environs de Georgetown qui faisaient l’effet de plombs de chasse. Depuis mon retour en Europe, il y a eu encore une assez forte éruption à Saint-Vincent ; c’était le 22 mars. Le gouverneur m’a envoyé un échantillon des cendres tombées dans la ville de Kingstown même ; celles-là sont toutes fines, presque noires, et ont un léger reflet métallique.

Je reste en stupéfaction devant le désert qui s’étend de tous côtés, et je vais pendant une heure ou deux, dans différentes directions, tout en me méfiant des fentes qui se sont produites dans le sol. Les pluies torrentielles de l’été et de l’automne ont fortement raviné et fendillé la couche énorme de cendres qui s’étend à perte de vue ; elles ont créé, en certains passages, de véritables petits ravins. Mes compagnons m’ont quitté depuis longtemps, un sac sur l’épaule et le bâton ferré à la main. Je regagne la plage, et mes bateliers, après m’avoir reconduit à Château-Belair, reçoivent l’ordre de retourner à l’anse pour attendre le retour des ascensionnistes.

Château-Belair, que l’éruption du 7 mai avait épargné, en s’arrêtant à 3 kilomètres plus au nord, a été moins heureux, quinze jours plus tard. Une pluie de « lapillis » et de pierres a démoli tous les toits, lesquels toutefois, à mon passage, étaient pour la plupart remplacés. Il n’y a pas eu de morts, rien qu’un petit nombre de blessés, La dévastation de Saint-Vincent, qui a la forme d’un œuf, se décrit par une ligne presque droite, tracée de l’ouest à l’est. Toute la partie nord, que j’évalue à 45 pour 100 de l’île, est complètement ravagée ; la partie sud, soit 55 pour 100, est indemne. La superficie dévastée est évaluée à 48 milles carrés par le professeur Hovey, tandis que pour la Martinique, il en compte 36. Le mille anglais est de 1 609 mètres.

Cette estimation, par rapport à la Martinique, me conduit à l’observation que généralement on se fait une idée bien exagérée de la dimension de la partie détruite. En somme, cette partie dévastée est à la superficie totale de la Martinique ce que la Bretagne et une grande partie de la Normandie sont à la superficie totale de la France.

Vers le coucher du soleil, interrogeant l’horizon, j’aperçois, au détour d’une falaise, le bateau qui ramène les deux vaillants explorateurs. Ils sont brisés de fatigue, couverts de sueur et non moins de cendres, mais sains et saufs. Pendant que M. Sapper dépose son sac, qui contient des matières volcaniques