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ramassées dans le cours de l’expédition et qui pèse au moins 25 kilos, il me raconte les péripéties de leur périlleuse ascension. Le cratère, dont avec son compagnon il a pu faire presque tout le tour, s’est montré clément, en ce sens qu’une brise, chassant les vapeurs, en a découvert les parois. C’est bien du plus ancien, du grand cratère, que sont parties les éruptions. La bouche a environ 5 kilomètres de tour et 150 mètres de profondeur ; le fond était occupé antérieurement par un lac de couleur laiteuse. Bien que les éruptions de mai l’aient vidé, un nouveau lac s’est formé depuis, dont on évalue la hauteur à 600 ou 630 mètres au-dessus du niveau de la mer. La couleur de l’eau est noirâtre à la suite de la masse de cendres qui y a été déversée, A quelque distance du grand cratère, il s’en trouve un plus petit ; c’est de celui-là que provenait l’éruption de la Soufrière, en 1812, la dernière avant le grand cataclysme de 1902.

M. Sapper avait constaté la présence de plusieurs fumerolles dans les environs du cratère, et s’était trouvé à certain endroit entouré de vapeurs asphyxiantes. Les mêmes constatations avaient été faites par les savants américains, les professeurs Hovey et Heilprin qui, tous les deux, ont fait l’ascension de la montagne à plusieurs reprises, pendant leur séjour en mai et en juin.

Ceux-ci ont affirmé, dans leurs rapports, que la grande éruption du 7 mai à Saint-Vincent a été absolument pareille à celle de la Martinique du 8, au point de vue des gaz projetés par les deux volcans. S’il y avait eu à proximité de la Soufrière une ville importante, comme c’était malheureusement le cas dans les environs du mont Pelé, cette ville aurait été détruite et pulvérisée comme Saint-Pierre, et pas un seul de ses habitants n’aurait survécu : voilà l’unique raison pour laquelle le nombre des victimes a été relativement restreint. Il n’y avait, à différentes distances, que quelques hameaux insignifiants, dont les habitants ont péri, tandis que de ceux qui se sauvèrent dans la direction de Georgetown, les uns succombèrent dans leur fuite et les autres ne purent atteindre la côte qu’atrocement brûlés. Parmi ces derniers, il y en a qu’on a pu guérir tant bien que mal, mais la majorité a succombé après d’atroces douleurs.

Les matériaux projetés par la Soufrière contenaient, comme à la Martinique, des fragments de roches supérieures ainsi que de la lave, mise en mouvement par le bouillonnement intérieur. La quantité de pierres et de tufs a été plus importante à Saint-Vincent, quoique la dimension des blocs n’ait pas atteint le volume de ceux projetés par le mont Pelé. M. Hovey a trouvé entre la Rivière-Sèche et la Rivière-Blanche un bloc mesurant 7 mètres de hauteur sur 10 de long et 7m50 de large. M. Heïlprin émet l’avis que ce bloc provient de l’éruption du 6 juin, et lorsque, le 25 juin, M. Hovey l’a mesuré, la chaleur l’empêchait de le toucher, Mais dans les deux îles il y a eu une émission formidable de conglomérats, auxquels on a donné le nom de bombes. Ces bombes, variant de quelques centimètres à 1 mètre d’épaisseur, ont été projetées jusqu’à une distance de 800 mètres, suivant les savants américains, de 500, suivant M. Lacroix ; j’en ai vu une à la Martinique pesant 150 kilos et une autre, à Saint-Vincent, de 130. Au sortir des cratères, elles se trouvaient à l’état pâteux, comme le pain prêt à être introduit dans le four. Bientôt refroidies, elles se craquelaient et présentaient les fentes les plus bizarres.

LA SOUFRIÈRE DE SAINT-VINCENT EN ÉRUPTION, 18 MAI 1902. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Quant à la quantité de cendres tombée sur l’île de Saint-Vincent, elle est de beaucoup supérieure à l’avalanche qui a couvert le nord de a Martinique. J’en parlerai plus tard en explorant les environs de Château-Belair. Un navire anglais, se trouvant à 275 milles au sud, huit heures après l’éruption du 7 mai, en a reçu 1 demi-centimètre sur le pont, et un voilier américain presque 1 centimètre, lorsque, le lendemain de l’éruption du 6 juin, il se trouvait à 102 milles à l’ouest de la Martinique. Pendant trois heures, ce navire a traversé un nuage de poussière. M. Hovey, qui était à Georgetown le même jour,