Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/483

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petit port sur la Vilaine, animé de chalands qui amènent du vin et remportent du bois. De Messac, je vais à Pipriac, et de Pipriac à Saint-Just, où abondent les monuments mégalithiques, les menhirs, les dolmens, les cromlechs, les peulvens, les tombelles, toutes les pierres réunies, alignées, mises en rond, dirigées de l’est à l’ouest. C’est, après celui de Carnac, l’ensemble de pierres taillées le plus considérable de la Bretagne.

CHÂTEAUBRIANT : LA GALERIE À COLONNETTES, MENANT À UN PAVILLON CONSTRUIT ENTRE LES DEUX CHÂTEAUX.

Ce ne sont pas seulement les monuments druidiques qui abondent dans cette région, ce sont les châteaux. Dans le triangle formé par Châteaubriant et Redon à la base, Rennes au sommet, il n’est guère de massif de verdure d’où n’émerge le toit et les tourelles de quelque manoir, il n’est guère de butte sur laquelle ne s’obstine quelque ruine. Ce sont les restes du château des barons de Vitré, près de l’étang de Marcillé, le château de la Motte au Teil, le château de Rohan, près de la forêt de la Guerche, le château de Salles et le château d’Huguères, près Rougé, le château de Véréal et le château du Coudré, à Bain de Bretagne. Autour de Châteaubriant, c’est Briotais, Ferrière, Fougerais, La Galissonnière, La Mercerie, La Trinité, La Vannerie. À Bruz, c’est Blossac. À Pléchatel, c’est Driennais, la Pommeray, la Gaudinelais. À Messac, c’est la Coëfferie, le Chastra, le Harda… Rien d’étonnant si tout le pays fut ravagé au cours d’un soulèvement de 1790. Deux mille Bretons, divisés en bandes, grossies de recrues dans chaque bourg, parcoururent la région, armés de fusils, de fourches, de faux, un surgissement des Jacques d’autrefois, et ceux-ci, comme leurs ancêtres, brûlant les châteaux, saccageant tout sur leur passage, réclamant l’abolition des servitudes. Les châtelains fuyaient de tous côtés, allaient chercher refuge à Rennes. Ceux qui étaient surpris et arrêtés n’obtenaient la vie sauve qu’à la condition de signer une renonciation à leurs droits anciens, rédigée dans les termes suivants : « Je déclare renoncer à mes fiefs, dîmes, rôles, afféagements, lods et ventes, rachats et droits de recette, dont je fais remise pour le passé et l’avenir aux habitants de la paroisse de…, sur la demande qu’ils m’en ont faite, et de plus je déclare que lesdits paroissiens sont de très honnêtes gens, et se sont comportés avec toute la décence possible. » Plusieurs domaines furent entièrement détruits, ceux de la Chapelle-Bouexic, de Bois-Sauvage, de Château-des-Champs ; les fossés de Brilhac furent comblés. La révolte englobait les territoires de la Chapelle, Angan, Guer, Riminiac, Maure, Loutehel, Campel, Comblesac, Marcent, Pleuran, etc. Un bataillon de la garde nationale bourgeoise fut envoyé de Rennes avec quatre canons, les émeutiers se dispersèrent, mais prêts à se reformer au premier signal. Les prêtres étaient impuissants contre cette colère paysanne. Aux remontrances de leurs recteurs, les paroissiens répondaient par ce proverbe : N’e ket gad marvaillou e pacer ann dleou. (Ce n’est pas avec des contes que se règlent les comptes.) L’insurrection ne fut vaincue qu’à l’arrivée du général Beysser, venu de Rennes à la tête d’une colonne composée de gardes nationaux et de bataillons des troupes régulières.

CHÂTEAUBRIANT : LE CHÂTEAU NEUF, PETIT PALAIS ORNÉ DE LA RENAISSANCE.

Je quitte l’histoire pour le paysage. Je pars des pommiers et des châtaigniers de Pipriac pour gagner Ploërmel par Maure et Guer. Encore des châteaux : du Tertre, de la Ville Hue et de Coëtbo. Le caractère du paysage breton s’affirme de plus en plus, le granit affleure la terre, la dorure éclatante des genêts et la